Un heaume primitif pulvérise son estimation. L’art islamique est en très bonne forme. Les marchands préfèrent du mobilier de choix chez Me Picard.
PARIS - Niché entre une médiocre toile de Picabia et une paire de candélabres montés en lampe, chez Mes Pescheteau-Badin, Godeau et Leroy le 17 novembre, un très rare heaume de la Colombie-Britannique a créé l’événement. Datant du XIXe siècle, sculpté en bois rouge avec de puissantes formes animalières, le masque est surmonté d’une crête en tête d’oiseau monstrueux, dont le bec, entrouvert, est armé de dents en métal. Estimé entre 50 000 et 60 000 francs, le heaume est parti pour 1 909 127 francs, devenant le deuxième objet d’art primitif le plus cher au monde vendu aux enchères, après le masque Dogon du Mali adjugé 2 300 000 francs par Mes De Quay et Lombrail, le 30 juin 1994, également à Drouot.
Le miracle du dattier, invendu
Importantes par leur volume – 420 lots, dont 292 ont été vendus – ainsi que leur grande variété, les vacations des 6 et 7 novembre chez Me Jacques Tajan ont totalisé un produit de 7 319 100 francs. Bien au-delà des espérances de l’expert Lucien Arcache, qui en attendait deux millions de moins, ce chiffre a été aussi surprenant que la frilosité des collectionneurs français, qui ont acheté moins de dix pour cent des lots.
Parmi les tableaux orientalistes, ceux de Jacques Majorelle, fils du célèbre ébéniste, se sont bien vendus – 230 000 francs, sans les frais, ont été payés pour une technique mixte de 1941, Anémiter, vallée d’Ounila, Grand Atlas, et pour une détrempe, Vue d’Anémiter, estimées chacune entre 150 000 et 180 000 francs.
Parmi les céramiques, une collection de sept belles coupelles de Kutahya du XVIIIe siècle, décorées de vifs croquis coloriés de femmes arméniennes, a été achetée pour 221 708 francs par un client turc, contre une estimation haute d’environ 170 000 francs. "Un rare et très important coffret" ayyoubide n’a, lui, atteint que 200 000 francs, son estimation basse, tandis qu’un élégant pilavlik en tombaq, soit un plat à riz turc en étain doré, avec une patine admirable, datant de la première moitié du XIXe siècle et estimé entre 150 000 et 200 000 francs, a été adjugé 300 000 francs.
Le clou de la vente d’archéologie et d’arts d’Orient de Mes Laurin, Guilloux, Buffetaud Tailleur, le 8 novembre – 113 lots sur 208 vendus pour 3 545 450 francs, sans les frais –, était une miniature du célèbre Siyere Nebî (Vie du prophète) de 1595, de l’atelier impérial d’Istanbul, très recherché par les collectionneurs et les musées. Estimée 300 000 francs, la miniature est pourtant restée invendue. Avant d’arriver chez Me Buffetaud, cette représentation du miracle du dattier au berger aurait été montrée par le vendeur chez trop de marchands – d’où le manque d’intérêt de ces derniers.
Un goût très sûr, très classique
Dans la même vente, une rare tête de statue de Sekhmet en forme de lionne, estimée entre 800 000 et un million de francs, a été adjugée 1,5 million de francs, et un manuscrit arménien inédit des Évangiles, orné de quatre miniatures en pleine page, éclatantes de fraîcheur, et provenant de l’ancienne collection de la comtesse de Béhague, a presque triplé son estimation haute pour atteindre 300 000 francs. En revanche, les objets en métal et céramique iraniens ont déçu : "Le marché compte très peu d’acheteurs iraniens," commente Me Buffetaud. "Les clients arabes, pour leur part, préfèrent, de très loin, les objets de leurs propres pays."
La fraîcheur des 34 tableaux de Pont-Aven de la succession de Marcelle Le Corronc, le 30 octobre, chez Mes Laurin Guilloux Buffetaud Tailleur – complétée par des lots beaucoup plus connus –, explique leur succès : 23 se sont vendus pour 2 904 042 (avec les frais), dont La Rade de Lorient, vers 1895, d’Henry Moret, estimé entre 400 000 et 500 000 francs, adjugé 730 000 francs, et trois œuvres majeures de l’Irlandais Roderic O’Connor, dont deux ont été acquises par un collectionneur compatriote.
Associé avec Me Lucien Solanet, Me Jean-Louis Picard a encore prouvé qu’il sait trouver, comme personne, des objets totalement frais sur le marché. D’où leur succès. Sa dispersion, le 17 novembre, d’une collection privée française de mobilier et d’objets d’art, d’un goût très sûr et très classique, a totalisé avec les frais 13 496 000 francs, soit 93 % de vendus.
Me Marc-Arthur Kohn, à Bains-les-Bains les 28 et 29 octobre, lors de sa seconde vente depuis la rentrée consacrée au stock du marchand Bernard Steinitz, n’a vendu que 23 des 95 lots, et à des prix plutôt modestes, pour 2,7 millions de francs. Jugement d’un antiquaire parisien : "Tous les professionnels connaissaient les objets par cœur, et aucun n’a voulu soutenir une vente de stock de marchand."
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Paris : l’Orient conquérant à Drouot
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Paris : l’Orient conquérant à Drouot