ROYAUME-UNI
Depuis quinze ans, l’État britannique soutient la vente d’œuvres d’artistes vivants via un crédit à taux zéro, dont il partage le coût avec les galeries. 5,7 millions d’euros ont ainsi été prêtés l’année dernière.
Royaume-Uni. Impossible de parcourir la Porthminster Gallery, l’une des principales galeries de la ville de St Ives, en Cornouailles, sans voir les affiches et les prospectus du programme « Own Art » (Détenez de l’art) : ils sont posés ou accrochés tout autour des œuvres. « Emportez une partie de cette galerie chez vous », dit l’un des posters. « Récupérez-le vous-même ! », encourage l’autre. Un autre se veut plus explicite : « Achetez des œuvres en plusieurs échéances à taux zéro. » Il propose des prêts de 100 à 25 000 livres sterling (112 à 28 000 €) remboursables en dix ou vingt mois. Own Art a été lancé en novembre 2004 par Arts Council England, l’organisme qui gère les financements artistiques en Angleterre, afin de remplacer plusieurs opérations régionales destinées à faciliter l’acquisition d’œuvres d’artistes contemporains. Il a été rejoint en 2006 et en 2011 par ses homologues écossais et nord-irlandais, Creative Scotland et Arts Council of Northern Ireland. Le pays de Galles possède son propre système.
Concrètement, un particulier intéressé par l’œuvre d’un artiste vivant doit remplir un dossier dans la galerie qui l’expose. Il doit indiquer son barème de revenus, s’il possède déjà un crédit, s’il est majeur et s’il est installé au Royaume-Uni depuis plus de trois ans. « Entre le renseignement du formulaire et la réponse d’Hitachi Capital, l’institut de crédit du programme, il ne s’écoule bien souvent qu’une quinzaine de minutes », indique Charlotte Bain, codirectrice de la galerie Hang-Up, installée dans l’est de Londres et spécialisée dans le street art. « Si la réponse est positive, le client peut partir immédiatement avec l’œuvre sans avoir dépensé la première livre sterling. » Son premier remboursement n’interviendra que quatre semaines plus tard.
Hang-Up signe entre trois et sept contrats Own Art par semaine, qui concernent les artistes avec lesquels la galerie travaille en direct. « Cela se révèle très utile pour nous car le risque repose entièrement sur Hitachi Capital, explique Charlotte Bain. Même si l’acheteur ne rembourse in fine pas son prêt, la galerie est payée dans les trois jours de la signature, ce qui permet aussi à l’artiste d’être rémunéré rapidement. »
Pour les galeries, cette double assurance, celle d’être payée et de l’être rapidement, joue pour beaucoup dans leur intérêt pour le programme. Mary-Alice Stack, la directrice de Creative United, l’organisation à but non lucratif chargée d’Own Art, rappelle en effet que « lorsque le programme a été lancé, les galeries utilisaient largement des systèmes de crédit informels, comme le chèque antidaté, encaissé bien plus tard. La galerie et l’artiste ne recevaient ainsi l’intégralité des revenus de leurs ventes que de nombreux mois après celles-ci ». D’où la volonté des galeries de mettre Own Art en avant. Comme à la Porthminster Gallery, à Hang-Up ou dans quelques-unes des 276 galeries inscrites au programme. Et ce même si chaque œuvre achetée via Own Art a un coût immédiat pour la galerie : « Nous prenons en charge une partie du coût du crédit, car s’il est gratuit pour le client, quelqu’un doit bien le supporter ! », souligne Charlotte Bain.
Mary-Alice Stack détaille le fonctionnement financier d’Own Art. « Le taux réel se situe autour de 6 % pour les prêts inférieurs à 2 500 livres sterling (2 800 €), dont 2,5 % sont pris en charge par la galerie et le reste par Arts Council England, Creative Scotland et Arts Council of Northern Ireland. Pour les prêts supérieurs à 2 500 livres, la galerie doit couvrir l’intégralité du coût du prêt au-delà de ce montant. » Ce détail explique pourquoi peu de galeries proposent un crédit supérieur à cette somme. Plusieurs galeries ont néanmoins confié qu’elles réfléchissaient à étendre leur offre jusqu’à 28 000 euros. Ce crédit pourrait aussi servir à remplacer une possible réduction sur le prix de l’œuvre dans le cadre d’une négociation.
La directrice de Creative United voit dans ce programme« une manière efficace d’utiliser l’argent public : Own Art a indéniablement servi à réaliser des ventes qui n’auraient pas eu lieu sans lui, tout en rendant l’art plus accessible à un public nouveau et plus divers ». Elle indique que 92 % à 93 % des demandes de crédit sont acceptées par Hitachi Capital, spécialisée dans le crédit à la consommation et gestionnaire du programme depuis onze ans. 85 % des acheteurs ont répondu à la dernière enquête d’opinion de Creative United qu’ils n’auraient pas pu acquérir leur œuvre sans ce prêt, et 23 % des acheteurs ont des revenus annuels inférieurs à 26 000 euros.
Lors de l’année fiscale 2017-2018, 5 152 prêts ont été attribués via Own Art pour un montant total supérieur à 5,5 millions d’euros, soit un prêt moyen de 1 072 euros. « Divers types de collectionneurs utilisent Own Art, mais ce sont principalement des personnes dans la trentaine qui veulent commencer une collection et peuvent mettre de côté 50 livres (57 €) par mois », précise Charlotte Barnard, chargée de la gestion du programme à l’Institute of Contemporary Arts (ICA), à Londres. « Même s’il encourage le consumérisme, Own Art a ouvert l’art aux non-privilégiés. » Même son de cloche à la Porthminster Gallery de St Ives. « Environ 30 % de nos clients utilisent le programme, assure Megan Jenkins, l’assistante de la galerie. Une partie importante d’entre eux n’en avaient jamais entendu parler car ils connaissent mal le monde de l’art et ne sont pas des collectionneurs. Indéniablement, il rend l’art accessible à un plus grand nombre. »
Si la Royal Academy of Arts comme l’ICA proposent aussi le recours à ce programme pour la vente de leurs lithographies, Own Art est relativement peu visible à Londres : seules 41 des 276 galeries participantes sont installées dans la capitale, selon son site Internet. La sous-représentation du principal centre artistique du Royaume-Uni s’explique peut-être par l’histoire du programme : il n’avait initialement été proposé qu’aux galeries situées en dehors de Londres. Plus probablement ne s’adresse-t-il pas aux galeries londoniennes les plus réputées. Outre que le montant maximum du prêt subventionné (2 800 €) ne les concerne pas véritablement, sans doute n’ont-elles pas envie d’entamer leur image d’un espace d’entre-soi où se réunissent et se mélangent la jet-set et le milieu de l’art.
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« Own Art », un crédit gratuit pour l’achat d’œuvres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : « Own Art », un crédit gratuit pour l’achat d’œuvres