NEW YORK / ETATS-UNIS
Dans un monde où la création est devenue multipolaire, la capitale économique des États-Unis reste l’épicentre de la reconnaissance artistique et du marché de l’art.
Espace « naturel » de la modernité, la ville, toute ville, reste le lieu le plus propice à la formation et au développement de groupes d’artistes. L’importance et la variété des domaines où ils peuvent s’exprimer, la concentration d’une population cosmopolite font de la cité un melting-pot universel qui défie les barrières culturelles. Rares sont les villes où toutes ces conditions ont été réunies de manière aussi exemplaire qu’à New York, et ce dès la fin des années 1930. Au nombre déjà important des artistes américains s’ajoutent de nombreux créateurs que la situation politique en Europe force à fuir. Il s’agit d’une rencontre exceptionnelle, même si elle est due aux événements funestes.
On connaît la suite. Selon la thèse de Serge Guilbaut, New York aurait volé l’aura artistique parisienne (et européenne) après la Seconde Guerre mondiale. Malgré la légère tendance paranoïaque qui caractérise le fameux livre de l’historien de l’art français (1), il faut se rendre à l’évidence ; l’apothéose Rauschenberg, lequel obtient le Grand Prix à la Biennale de Venise 1964, n’est que l’aboutissement de ce qui commence dans les années 1940 avec le phénomène justement nommé par un autre ouvrage, celui d’Irving Sandler, Le Triomphe de l’art américain (éd. Carré, 1990). De fait, le tsunami provoqué par l’expressionnisme abstrait, dont l’autre appellation, « l’école de New York », est éloquent, se voit prolongé par Jasper Johns et Robert Rauschenberg qui, à leur tour, cèdent la place à une autre déferlante, celle du pop art – l’enfant chéri de la culture populaire américaine, devenue entre-temps universelle. Suivront les dernières avant-gardes héroïques : l’art minimal, l’art conceptuel, ou encore le Land Art. La force de frappe économique américaine, la situation précaire dans l’Europe d’après guerre, l’évolution des médias font que l’art des États-Unis domine outrageusement aussi bien la scène internationale que le marché.
Un mythe, plus qu’un centre
Dans ce contexte, New York, plus qu’un centre, devient un mythe. On oublie parfois qu’une activité dense se développe également sur la Côte ouest, surtout en Californie. On se rappelle à peine que c’est au Black Mountain College, en Caroline du Nord, au cœur de l’Amérique profonde, qu’on assiste aux premiers happenings et à la collaboration entre John Cage et Rauschenberg. Mais on ne prête qu’aux riches et New York est le lieu où se font et se défont les gloires artistiques dans des galeries (Leo Castelli) ou des lieux singuliers (la Factory de Warhol). Les années 1950 voient affluer des créateurs qui ne sont plus des refugiés mais des chercheurs d’or. Dans cette course, les Français restent plutôt timides et il faut attendre les Nouveaux Réalistes pour les remarquer. Preuve de ce succès, le titre « The New Realists » attribué à la première exposition aux États-Unis (en 1962, à la Sidney Gallery) qui réunissait des artistes français et américains. Mais le succès quasi-immédiat des artistes américains fait que le pop art trouva rapidement ses lettres de noblesse et projeta une ombre géante sur les Nouveaux Réalistes, cantonnés à un mouvement « régional ».
La tradition des artistes installés à New York perdure, même si les bars légendaires dans le Village où fraternisaient les premiers « géants » de l’avant-garde ont été récupérés depuis par les cafés Starbucks. Surtout, on peut tracer depuis la fin des années 1960 une carte géographique de l’évolution du prix du mètre carré d’après les déambulations des galeries et des plasticiens dans cette ville. Tout laisse à penser que les prometteurs immobiliers suivent de près ces déplacements : SoHo, Chelsea, TriBeCa sont les différents quartiers qui tour à tour deviennent d’importants centres de création, entraînant chaque fois un nouvel exode des artistes vers des lieux plus abordables.
Cependant nous sommes, depuis au moins deux décennies, comme le suggère le sculpteur français Alain Kirili, qui travaille à New York depuis 1980, dans un monde multipolaire où les artistes surgissent un peu partout. Deux décennies qui succèdent à la guerre froide, et au cours desquelles Berlin a pris de l’importance auprès de la jeune génération. Sans doute, le poids de l’art allemand a joué dans ce retour vers l’Europe, mais, de façon plus pragmatique, la raison principale fut la possibilité d’y obtenir pour un prix dérisoire l’équivalent de la superficie qu’offraient les fameux lofts américains.
Une esthétique lisse
Les créateurs continuent toutefois d’être attirés par la Grosse Pomme, mais davantage comme un lieu de visibilité incontournable que comme un lieu où l’on vit. On assiste, pour citer encore une fois Kirili, à l’embourgeoisement de la ville. Une double conséquence : d’une part, il n’est plus possible pour les artistes, américains ou étrangers, de se loger à Manhattan et c’est vers Brooklyn qu’ils se dirigent. Mais, d’un autre côté, et selon les journalistes locaux, l’amélioration toute récente de l’économie aux États-Unis entraîne une demande accrue pour les œuvres d’art. Cette retombée positive explique le succès de certaines galeries, surtout à Chelsea.
Pour autant, ce succès commercial n’est pas source d’invention plastique. Le paysage esthétique new-yorkais récent, éclectique, se caractérise par une tendance décorative, tantôt dans le domaine abstrait, tantôt dans le post-« pop art » dominé par le kitsch. Ce n’est pas une simple coïncidence si , en ces premiers jours de septembre, le Rockefeller Center, sur la 5e Avenue, au cœur de New York, semble en avance pour le décor de fêtes de fin d’année. De fait, le sapin géant que l’on y trouve d’habitude à Noël est remplacé par le non moins géant Split Rocker, un jouet hybride couvert des fleurs, réalisé par Jeff Koons. Accessoirement, l’opération est financée par Gagosian, dont la galerie expose l’artiste en même temps que le Whitney Museum (lire p. 25).
Richessse des musées
L’étoile commencerait-elle à pâlir ? N’exagérons rien, car la quantité des galeries à New York est telle qu’on y trouve des manifestations dignes d’un musée aussi bien que le travail de jeunes artistes, qui exposent notamment dans le Lower East Side. Surtout, il reste la richesse inégalable des musées, qui ne cessent de s’agrandir, avec en premier lieu le MoMA (Museum of Modern Art), ce lieu magique, véritable livre l’histoire de l’art contemporain, et le Metropolitan Museum of Art, musée encyclopédique de l’art du XIXe et du XXe siècles. Ces deux musées majeurs possèdent des collections exceptionnelles d’art français depuis les impressionnistes avec, en point d’orgue, une salle magnifique de Matisse au MoMA. En revanche, et ce n’est pas une surprise, l’art d’après-guerre est surtout américain. « L’exception française » reste Dubuffet, très tôt présent dans les musées aux États-Unis. Cependant, les autres pays ne sont pas mieux lotis et l’on demeure étonné par la sous-représentation de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, pour ne citer qu’eux (hormis Joseph Beuys, le troisième larron dans la sainte trinité composée également de Marcel Duchamp et d’Andy Warhol).
Pour achever le panorama de l’art américain, c’est le Whitney Museum qu’il faut visiter, car on y trouve des artistes locaux peu connus en dehors des États-Unis.
Quant aux œuvres plus récentes, il faut se diriger pour les voir soit au New Museum, tout au sud de Manhattan, soit au PS1, une ancienne école de Queens transformée en galerie d’art réputée, très branchée, dépendant du MoMA.
Indiscutablement, New York reste le lieu incontournable pour voir et pour vendre l’art. Si à l’ère de la globalisation la création n’a plus de frontières, la puissance économique et médiatique de cette ville n’a pas de prix. Ou plutôt, si.
(1) Comment New York vola l’idée d’art moderne, éd. Jacqueline Chambon, 1e éd. 1996.
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New York règne sur l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : New York règne sur l’art