Le commerce a été très actif sur la foire néerlandaise du 10 au 19 mars.
MAASTRICHT - « Vous pouviez sentir de l’argent très sérieux dans l’air. » Ce constat d’Andrew Fabricant, de la galerie Richard Gray (Chicago, New York), résume l’atmosphère fébrile et lucrative de la dernière foire de Maastricht, aux Pays-Bas. Un sentiment que confortent les cinquante et un jets privés affrétés par la société NetJet pour le vernissage. L’argent était palpable, solide mais sans esbroufe. Nul besoin de people pour faire de Maastricht un succès commercial ! « On a fait en deux jours autant qu’en cinq sur Art Basel Miam Beach », nous a confié un marchand. D’ailleurs, une galerie comme Hopkins-Custot (Paris) aurait-elle pu céder en Floride un tableau d’Eugène Boudin, acheté illico par un grand collectionneur hollandais ? L’arrivée de bonnes enseignes américaines dans le secteur moderne a drainé dans son sillage quelques collectionneurs d’outre-Atlantique, notamment Eli Broad. « Le jour du vernissage, il y avait plus d’Américains que l’an dernier », nous a confirmé Michael Findlay, de la galerie Acquavella (New York). Certains amateurs auraient même préféré Maastricht à l’Armory Show, qu’avaient pour leur part déserté les poids lourds new-yorkais Marian Goodman, Barbara Gladstone et Gagosian.
L’empire Gagosian, qui vient de s’étendre avec la location d’un second espace à Chelsea, n’est pas passé inaperçu sur Tefaf. Les lunettes de soleil s’imposaient sur un stand où la puissance en watts des spots le disputait aux millions de dollars égrenés sur les murs. Une fois digérée cette débauche de pouvoir, on repérait avec étonnement un Van Dongen et un Renoir, et un beau Cézanne présenté lors de l’exposition « What’s modern » organisée par la galerie en 2004. Ce tableau, ayant autrefois appartenu à l’éditeur américain Si Newhouse, était proposé pour 9 millions de dollars (7,4 millions d’euros).
Pop art anglais
Étoffé, le secteur moderne a gagné en volume sans faire pour autant un bond qualitatif spectaculaire. Vraie plaie du secteur ancien, la raréfaction n’épargne pas non plus le XXe siècle. Les marchands conviennent d’ailleurs de l’extrême difficulté d’acheter auprès des particuliers. « Que faire lorsque les gens pensent détenir un ticket de loterie gagnant en vendant aux enchères ? », s’interroge Andrew Fabricant. Les grands Picasso, du moins destinés à la vente, étaient dès lors aux abonnés absents. Du maître catalan, Anisabelle Berès (Paris) a toutefois présenté pour 3,8 millions de dollars le projet d’une affiche de théâtre daté de 1904. Faute de chefs-d’œuvre labellisés, privilège pour l’heure d’Art Basel, l’œil averti repérait de belles pièces inhabituelles, comme L’Encens (1898) de Fernand Khnopff. Sorti par Hopkins-Custot d’une collection d’entreprise japonaise, ce tableau est réservé depuis un mois par un musée. De même, le Rosenquist monochrome de 1961, Exit (400 000 dollars), rescapé de la dernière exposition organisée en novembre à New York par Acquavella, tranchait avec la palette consacrée de l’artiste pop. Waddington (Londres) a quant à lui surpris les visiteurs avec un rarissime ensemble de pop art anglais. Les amateurs ne s’y sont pas trompés en emportant la veille du vernissage quatre des cinq œuvres des années 1960 de Peter Blake. La galerie Applicat-Prazan (Paris) n’a enfin pas démérité avec un accrochage très cohérent, où un Soulages ancien renvoyait à un Wifredo Lam, présenté voilà deux ans par les Boulakia (Paris).
Litanie des redites
Face à la montée en puissance des modernes, la qualité des tableaux anciens était en berne. Certes, les Wildenstein (New York) avaient joué le jeu de la rareté avec La Visitation de Philippe de Champaigne (3,5 millions de dollars) ou Au cirque dans les coulisses (1,7 million de dollars), une grisaille étonnante de Toulouse-Lautrec. En revanche, il fallait ravaler sa déception face au manque de matière de L’Apôtre saint Jacques le Majeur par Rembrandt, une toile de surcroît mal accrochée par
Salander O’Reilly (New York).
Plus que l’absence de chefs-d’œuvre, c’est le manque de renouvellement des stands qui prêtait le flanc à la critique. Un tableau ne cesse pas d’être beau à force d’être revu, mais une galerie risque de perdre en crédibilité par excès de récurrence. French & Company (New York) détient sans doute la palme du monolithisme. La galerie n’a quasiment rien changé à son accrochage depuis deux ans ! Elle a tout juste ajouté, pour le prix déroutant de 5 millions de dollars, un grand mobile doré de Calder, artiste que l’on a connu bien plus inspiré…
La litanie des redites mériterait à elle seule un catalogue. La galerie Salomon Lilian (Amsterdam) a vainement remis sur le tapis le Philosophe de Jan Lievens, au même prix que l’an dernier, soit 2,5 millions d’euros. Le marchand a été plus chanceux avec l’autoportrait de Willem Drost (450 000 dollars), cédé le jour du vernissage à un amateur américain, ou le paysage hivernal de Jacob Van Ruysdael (800 000 euros), emporté par un client néerlandais. La galerie Grassi (New York) a aussi accroché sur le même mur que l’an dernier une belle scène de la vie de Lorenzo Giustiniani par Francesco Morone. Pourquoi le marchand aurait-il plus de chance de le vendre cette fois-ci, alors que le public d’art ancien ne tend pas à s’élargir ? Sans doute parce que le panneau a entre-temps figuré dans l’exposition « Geschichten auf Gold » à la Gemäldegalerie de Berlin. Un musée européen l’a du coup réservé lors du vernissage. « C’est vrai que les marchands amènent les mêmes tableaux d’une année sur l’autre. Pourquoi ne vend-on qu’après trois ans ? Il n’y a pas de règle », convenait Marco Grassi.
Le manque de saveur ou de nouveauté du côté des tableaux anciens a profité aux curiosités, avec
notamment l’aréopage d’objets en ambre (5 000 à 600 000 euros) convoqué par Kunstkammer
Georg Laue (Munich). En revanche, l’arrivée de nouveaux exposants n’a pas réussi à doper le secteur des arts asiatiques. De même, le textile tend chaque année à se réduire comme peau de chagrin.
Malgré les bémols, Maastricht a damé le pion à ses concurrentes. Si la Tefaf donne du fil à retordre à la Biennale des antiquaires de Paris, elle pourrait à long terme rivaliser avec le secteur moderne d’Art Basel.
- Nombre de visiteurs : 84 000 - Prochaine édition : du 9 au 18 mars 2007
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Abonnez-vous dès 1 €Bien que les arts décoratifs du XXe siècle restent minoritaires à Maastricht, ses trois uniques représentants, Philippe Denys (Bruxelles), Downtown (Paris) et Frans Leidelmeijer(Amsterdam) associé au producteur de Ron Arad, Ernest Mourmans, valaient à eux seuls le détour. Difficile en effet de résister au magnifique stand de Downtown, entre les deux suspensions en aluminium d’Ingo Maurer pour l’Opéra de Tel Aviv (120 000 euros), achetés en novembre 2005 chez Artcurial, et la table de Jean Prouvé (400 000 euros) pour le camp de vacances de Saint-Brévin (Loire-Atlantique), acquis en septembre 2005 chez Wright à Chicago. Le retour des Américains et le brassage de la clientèle ont d’ailleurs été profitables à ce petit noyau. L’un des grands clients de Downtown s’avère être aussi collectionneur de peintures du XVIIe siècle. « On a déjà vendu quatre pièces, nous a déclaré François Laffanour, directeur de la galerie parisienne. Pour les œuvres importantes, les tractations sont plus longues, mais, avant même que je ne retourne à la galerie, des amateurs sont venus à Paris pour revoir d’autres choses. » De son côté, le peintre espagnol Miquel Barceló a emporté chez Frans Leidelmeijer un fauteuil de Gerrit Rietveld de 1918-1920 (220 000 euros). « J’ai vendu 80 à 85 % de mon stand, nous a confié pour sa part Philippe Denys. La clientèle de Maastricht a fortement changé. Elle est devenue plus cosmopolite. Bien au-delà des résultats financiers, Maastricht a pris une longueur d’avance sur les autres foires. Quand on est là, on se rend compte de ce qu’est dans son ensemble le marché de l’art en 2006. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : « Money’s in the air »