Depuis les années 1990, la ligne de partage entre l’art et la mode est des plus troubles.
Il est symptomatique qu’en juin dernier, l’exposition inaugurale du nouveau Jeu de Paume ait rendu hommage à un photographe de mode, Guy Bourdin (cf. L’Œil n° 559). Il est tout aussi surprenant que la cinquième meilleure enchère d’un artiste français aux États-Unis en 2003 soit celle de Patrick Demarchelier, le photographe des stars. Chaque secteur emprunte à l’autre ses codes, ses compositions et surtout ses modes de narration comme l’illustrait l’exposition « Fashioning Fiction Photography » cet été au Museum of Modern Art. Exception faite des grands noms, les prix restent mesurés.
D’après Artprice, 86 % des photos de mode ont été adjugées à moins de 10 000 euros. Pour que les œuvres puissent se targuer d’une pertinence artistique, l’originalité de la composition doit l’emporter sur tout message publicitaire. Atmosphère théâtralisée, simplicité graphique et lecture immédiate sont les ingrédients de ce mélange. Décédé cette année, Helmut Newton est perçu comme un empêcheur du bon goût de tourner en rond. Son travail se lit comme une ethnographie des années 1970-1990, version chic-choc. Ses prix ont fortement progressé quelque temps avant sa mort pour atteindre 40 000 à 150 000 dollars. Guy Bourdin est l’un des rares photographes à avoir utilisé la couleur, notamment avec ses campagnes pour la marque Charles Jourdan. Dans des mises en scène un brin perverses, il escamotait ses modèles ou tronquait une partie de leur corps. À la Fiac en octobre dernier, la galerie Patricia Dorfman présentait quatre photos, tirages posthumes à dix-huit exemplaires, entre 8 000 et 9 000 euros. Malgré quelques balbutiements, il semble peu probable que la photo de mode sorte de son ghetto d’amateurs « branchés ». Des réserves qui n’entament pas l’optimisme du collectionneur Jean di Sciullo qui, après avoir lancé le photojournalisme aux enchères, récidivera en juin 2005 avec une vente dédiée à la mode.
Certains artistes comme Daniele Buetti jouent avec l’iconographie de la mode pour mieux la stigmatiser en incisant par exemple des scarifications sur des images de top models. La galerie Clairefontaine présente dans le cadre de Paris Photo deux photos représentant des femmes-mannequins désabusées sous une pluie diamantée pour 5 550 et 7 100 euros. La galerie Jousse Entreprise déploie de son côté jusqu’au 7 novembre les images de défilés de Frank Perrin. Ces clichés, dont les prix varient de 1 200 à 3 000 euros, dépeignent le rituel des podiums, de plus en plus transformés en superproductions. Ils sont aussi un condensé de la vie post-moderne, entre solitude et spectacle.
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Mode et art contemporain : liaisons dangereuses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Mode et art contemporain : liaisons dangereuses