Collectionneurs - Entreprise

FINANCES

Matis réinvente les fonds d’investissement en art

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 20 février 2025 - 815 mots

La jeune entreprise française affiche des performances indéniables grâce à un modèle qui s’apparente à celui des partenaires des galeries.

Arnaud Dubois et François Carbone, les co-fondateurs de MATIS. © Julien Mouffron-Gardner
Arnaud Dubois et François Carbone, les co-fondateurs de MATIS.
© Julien Mouffron-Gardner

Paris. Les fonds d’investissement en art ont mauvaise réputation, et on ne compte plus ceux qui ont fermé en catimini. En 1998, la BNP (Banque nationale de Paris) avait dispersé aux enchères ce qu’il restait de la collection qui constituait l’actif de son véhicule financier ; plus tard c’est l’Art Collection Fund basé au Luxembourg qui fermait boutique. L’an dernier, le FrenchArtFund s’évanouissait avant même d’être lancé, alors qu’il avait pourtant obtenu le précieux accord de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Matis (également régulée par l’AMF), créé il n’y a pas encore deux ans, échappera-t-il à cette malédiction qui pèse sur ces fonds ? Il semblerait que oui, à lire le bilan de la société. Et ce pour la bonne raison que Matis n’est pas un fonds d’investissement à proprement parler.

Contrairement à des fonds communs de placement qui détiennent plusieurs actions, Matis constitue une société particulière qui ne possède qu’une seule œuvre d’art. Les actionnaires de cette société (un « club deal ») ne doivent débourser que 20 000 euros pour entrer dans cette société – au lieu de 100 000 euros pour des fonds classiques –, sous la forme d’obligations convertibles en actions. Autre différence, Matis ne verse pas de coupon, les collectionneurs investisseurs sont rémunérés lorsque l’œuvre est cédée. Et cela peut aller très vite. Une œuvre d’Anselm Kiefer a ainsi été revendue au bout de trente-sept jours avec un gain net pour l’investisseur de 8 %. À ce jour, la durée moyenne de détention est de deux ans, avec une rentabilité moyenne de 15 à 20 %.

Des partenariats avec les galeristes

L’autre particularité de Matis est que l’œuvre est mise en dépôt chez un galeriste qui en assure la commercialisation. Aux États-Unis, la société Master Works, sur un modèle un peu différent, vend, elle, directement les œuvres. Bien souvent ce sont les galeristes eux-mêmes qui sollicitent Matis pour que la société achète une œuvre qu’ils ont en dépôt. En ce sens, Matis fonctionne comme un partenaire financier. C’est un modèle ancien mais jamais documenté : le marché bruisse de rumeurs sur des collectionneurs anonymes qui financent l’acquisition d’œuvres et sont intéressés à leur revente. Mais en l’espèce, il y a un « plus » : les équipes de Matis produisent un rapport très complet sur l’œuvre, son histoire, son marché afin de convaincre de potentiels acheteurs. Lors de l’édition 2024 d’Art Basel à Bâle, des dizaines d’œuvres appartenant à Matis figuraient sur les stands.

Comme pour toute transaction mobilière ou immobilière, la performance repose sur la qualité et sur le prix du bien acquis. « Nous n’achetons que desblue chips” [valeurs sûres]», explique Arnaud Dubois l’un des deux cofondateurs avec François Carbone. En l’occurrence, ce sont les œuvres d’une soixantaine d’artistes historiques d’après guerre ou contemporains (Pierre Soulages, Andy Warhol, Niki de Saint Phalle…), et pour des prix compris entre 500 000 euros et 5 millions d’euros. « Un artiste atteint sa maturité au bout de soixante à soixante-dix ans », précise-t-il. Autrement dit, sauf exception, les cotes des artistes d’avant guerre auraient atteint leur plafond. La société dispose à cet effet d’une trésorerie d’environ 6 millions d’euros par mois, ce qui lui permet d’intervenir très vite et donc d’obtenir des prix d’achat plus bas.

Trouver de nouveaux « blue chips »

Pour l’instant, le modèle de Matis semble tenir. En 2024, sa première année de plein exercice, la société a réalisé un chiffre d’affaires (constitué de sa commission sur la revente des œuvres) de 3,7 millions d’euros et dégagé un résultat brut d’exploitation de 370 000 euros, ceci malgré une équipe déjà étoffée, de vingt collaborateurs. L’entreprise a collecté 30 millions d’euros, acquis 43 œuvres dont 8 ont été revendues. Elle revendique 1 600 clients. Ces investisseurs sont approchés directement ou par l’intermédiaire des gestionnaires de patrimoine des banques.

Les objectifs de l’entreprise sont ambitieux puisqu’elle vise une collecte de 100 millions d’euros en 2025 et de 500 millions d’euros dans quelques années. Pour cela, elle va ouvrir un bureau en Suisse et un autre en Italie, lesquels seront chargés de faire la promotion de son produit de placement auprès des banques locales.

Sur le papier, le modèle est convaincant. « Le marché est sain, il n’y a pas d’endettement [comme dans l’immobilier]», affirme Arnaud Dubois. Mais, comme le reconnaît lui-même le cofondateur, le risque [au sens économique du terme] réside dans la capacité à trouver des « blue chips ». Un artiste décédé étant un artiste qui ne produit plus, le nombre de « blue chips » actuel est limité – et le potentiel de croissance de leur cote est contraint par la situation économique et géopolitique mondiale.

Si le patrimoine des grandes fortunes ne cesse de monter, celles-ci vont-elles continuer à investir dans l’art ? Quant aux futurs « blue chips », soient les œuvres d’artistes plus jeunes ou encore vivants, les aléas sont encore plus nombreux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°649 du 14 février 2025, avec le titre suivant : Matis réinvente les fonds d’investissement en art

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque

GESTION DES COOKIES