Marché européen : les Anglais fourbissent leurs armes

Marchands et auctioneers militent contre l’harmonisation des taxes souhaitée par Bruxelles

Le Journal des Arts

Le 4 juillet 1997 - 905 mots

Numéro deux au niveau mondial, le marché de l’art britannique occupe la première place en Europe. En 1996, il représentait 60 à 70 % de la totalité du marché européen, soit un chiffre de 2 milliards de livres. Cependant, la perspective de l’adoption, en Grande-Bretagne des lourdes taxes (TVA à l’importation, droit de suite) sur les ventes, liées à l’harmonisation européenne, a déjà décidé marchands et collectionneurs à vendre ailleurs, et les importations ont chuté de 28 % en 1996. Londres est désormais en perte de vitesse face à sa principale rivale, New York.

LONDRES - "Si nous devons harmoniser les taxes, pourquoi ne pas aligner le reste de l’Europe sur la Grande Bretagne, plutôt que de détruire le seul marché de l’art international au sein de la CEE", estime Anthony Browne, président de la British Art Market Federation (BAMF). Conscients que leur survie est en jeu, les marchands britanniques ont créé cette fédération avec les maisons de vente pour lutter contre la "bureaucratie" de Bruxelles, la recherche d’un "terrain d’égalité" fiscal menaçant selon eux non seulement le marché de l’art britannique, mais aussi le marché européen. Jusqu’en 1995, Londres était le seul État-membre de la CEE à bénéficier d’une TVA à taux zéro sur les œuvres d’art importées. Dans le cadre de l’harmonisation européenne, la Grande-Bretagne a été contrainte d’appliquer cette taxe, mais à un taux de faveur de 2,5 %, de juin 1995 à juin 1999, un taux minimum de 5 % étant appliqué dans le reste de la CEE. Les négociations avec la Com­mission européenne commenceront au début de l’année prochaine, et un rapport récemment demandé par la BAMF, prévu pour l’automne, permettra de mettre en valeur les points forts du marché britannique. Dès 1987, l’économiste d’Oxford Peter Oppenheimer avait démontré que l’imposition de la TVA sur les œuvres d’art priverait le fisc de recettes. "Elle asséchera l’approvisionnement d’œuvres dans le pays, de telle sorte que le fisc sera privé à la fois de la TVA à l’importation et de la TVA sur les bénéfices résultant de ces ventes." Il démontrait aussi que les taxes pouvaient déplacer les marchés : la joaillerie a ainsi quitté Londres du jour au lendemain pour Genève et Zurich lorsqu’elle a été assujettie à une TVA de 17,5 % en 1973, les taxes n’étant que de 7 % en Suisse.

Chute des importations venues de Suisse
Même avec un taux de 2,5 %, les effets de la TVA sont visibles. Les importations d’œuvres d’art en Grande-Bretagne ont baissé de 17 % en 1995, et de 28 % en 1996. Celles qui viennent de Suisse, traditionnel point d’arrivée des marchandises vers le marché britannique, ont chuté de 60 % l’an dernier pour les seuls peintures  (voir le tableau des importations en 1996 établi par The Antique Trades Gazette) Les importations en Grande-Bretagne étaient pourtant en augmentation régulière depuis 1995, avec une exception en 1991 lors de l’effondrement du marché. Selon Malcolm Hoard, de l’Association des antiquaires de Londres et de Province, "si les Européens veulent l’harmonisation, ils devraient faire pression pour un taux de 2,5 % dans toute l’Europe, plutôt que d’augmenter le taux en Grande-Bretagne." La Grande-Bretagne a également subi une pression croissante de la part de la Communauté européenne pour adopter le droit de suite. Le 9 avril dernier, le Parlement européen a voté en faveur de cette directive, en dépit de nombreux amendements et d’une opposition venant de Grande-Bretagne et d’Irlande. Anthony Browne n’est pas très optimiste quant à la réussite du lobbying britannique. "Onze des quinze États-membres acceptant déjà le droit de suite comme faisant partie intégrante de leurs lois sur la propriété intellectuelle, la Grande-Bretagne a une tâche extrêmement difficile pour convaincre la Commission et les autres États-membres." (le tableau II évalue le préjudice que pourrait causer le droit de suite sur l’économie britannique)

Pour évaluer l’impact du droit de suite, il est important de distinguer le premier et le second marché. En effet, moins d’1 % des œuvres d’art contemporain sont revendues. Aux États-Unis, où il y a environ 200 000 artistes en activité, les œuvres de 200 à 300 artistes apparaissent sur le second marché, et cinq d’entre eux réalisent 31,3 % des ventes. En France, 75 % du droit de suite bénéficie à six familles. Anthony Browne attire l’attention sur les coûts pour les vendeurs de l’acquittement du droit de suite. Au-dessus de 40 000 livres (390 000 F), il est intéressant d’envoyer un tableau à New York pour qu’il y soit vendu. Toutefois, une grande part des œuvres d’art contemporaines s’échangent pour moins de 20 000 livres. En 1995, les œuvres vendues sur le marché britannique susceptibles d’être soumises au droit de suite ont atteint 300 millions de livres. 50 % des vendeurs n’étaient pas établis à Londres mais avaient choisi de vendre dans cette ville. Ces tableaux iront désormais à New York. L’économiste belge Victor Ginsburgh rappelle qu’entre 1993 et 1995, sur les 400 œuvres assujetties au droit de suite d’une valeur de plus de 3 millions de francs, les commissaires-priseurs français en ont vendu moins de 20, les 95 % restants ayant été vendus à Londres et à New York.

I. Importations de tableaux en 1996 en Grande-Bretagne en provenance de :
États-Unis £283 (- 16 %)
Suisse £87 (- 60 %)
Japon £11 (- 39 %)
Israël £8 ( 160 %)
Hong Kong £5 (- 58 %)
Australie £6 (=)

Les chiffres sont en millions de livres

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°41 du 4 juillet 1997, avec le titre suivant : Marché européen : les Anglais fourbissent leurs armes

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque