Un certain nombre d’œuvres spoliées pendant la guerre n’ont pu être restituées car elles auraient transité par le marché de l’art. Vendeurs et acheteurs auraient été peu désireux par la suite de s’expliquer sur le détail de leurs opérations. Le colloque organisé par la Direction des Musées de France (DMF), le 17 novembre, sur "le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la Seconde Guerre mondiale" a été l’occasion, notamment, d’évoquer les responsabilités du marché dans la non restitution des "MNR" (Musées nationaux récupérations).
PARIS - Dans une communication à la fois rigoureuse et sensible, l’historienne Laurence Bertrand-Dorléac a souligné l’exceptionnelle prospérité du marché de l’art en France pendant la guerre, montrant au passage que cette richesse devait, certes, au trafic d’œuvres spoliées et à la valeur "refuge" que pouvait constituer l’art, mais également à la dynamique d’un marché en renouvellement.
Ainsi était citée la création en février 1942 de la Galerie de France, qui affirmait son ambition de "défendre avec énergie les jeunes peintres indépendants" et, dans la presse de 1942, à propos de diverses expositions, ont été relevés les noms de 70 galeries qui ne figuraient pas toutes dans la "liste Schenker" des marchands travaillant avec les nazis. À Drouot, près de 2 millions d’objets ont été adjugés chaque année à partir de 1941. Mais les archives des galeries, comme les procès-verbaux des ventes publiques, restent d’accès difficile (ainsi, la recherche sur une vente publique de février 1941 n’a pu aboutir, tous les procès-verbaux de cette période ayant disparu...), et beaucoup reste à faire pour identifier ces transactions. En outre, de très nombreux intermédiaires sont intervenus dans ces affaires. On comprend donc certaines des difficultés à retrouver les propriétaires des "MNR".
C’est là affaire d’historiens mais, à l’évidence, tous les esprits ne semblent pas encore prêts à assumer les conséquences d’investigations sur cette époque de "fausses continuités qui camouflaient l’enfer", comme l’a qualifiée Laurence Bertrand-Dorléac. Le représentant de la Belgique s’étonnait d’ailleurs que la France ne dispose pas d’un centre de documentation sur la Seconde Guerre mondiale.
Le journaliste Hector Féliciano a critiqué l’inertie du Musée national d’art moderne pour retrouver les propriétaires d’un tableau de Léger en s’attachant à démontrer que la recherche était aisée. Il a affirmé qu’en un après-midi (sic !), il avait pu prouver qu’un Picasso du Musée de Rennes avait appartenu à Alphonse Kahn. Le directeur des Musées de France, Françoise Cachin, a réfuté ces arguments avec vivacité. Philippe Dagen, du Monde, a fait constater – sans commentaire – que le représentant de la DMF, qui venait de relater l’action remarquable de Rose Valland au Jeu de Paume, n’avait pas eu accès aux archives de celle-ci, conservées au Quai d’Orsay…
En rappelant avec insistance que la Résistance réussissait à bloquer un train d’œuvres d’art en partance pour l’Allemagne, au moment où le dernier convoi de déportés quittait Drancy sans rencontrer d’obstacles, un des participants au colloque montrait que toute tentative de clarification pouvait même paraître dérisoire.
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Marché de l’art et spoliation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Marché de l’art et spoliation