La galerie parisienne orchestre une rare réunion d’artistes surréalistes jusqu’au 31 mai.
PARIS - Sur le papier, l’angle des grands formats adopté par la Galerie Malingue, à Paris, pour son exposition de seize artistes surréalistes peut laisser perplexe. Car le cercle mené par André Breton n’a pas vraiment érigé la taille en cheval de bataille. Toutes les œuvres à l’affiche ne sont d’ailleurs pas de si grande dimension. Pour ce qui est de la grandeur en termes de renommée, on peut regretter l’absence de Man Ray. Et s’étonner inversement de la présence de Jacques Hérold, décalé dans cette réunion de monstres sacrés. Passés ces légers bémols, le visiteur a droit à quelques moments de pur bonheur, pour peu qu’il se perde dans le labyrinthe des compositions, qu’il s’immerge dans le réalisme magique d’une Dorothea Tanning, dans sa voûte de drapés maniéristes et son échiquier d’objets intrigants, ou dans l’univers aussi énigmatique que hiératique d’un Paul Delvaux. C’est au prix d’un tel abandon qu’il pourra mieux les décrypter, entendre la partition commune que jouent certaines toiles.
Un dialogue tout en ricochets et en réparties s’établit d’emblée. Inspiré du roman éponyme de Wilhelm Jensen, Gradiva d’André Masson donne le ton. L’histoire originelle est celle d’une cristallisation amoureuse. L’archéologue Norbert Hanold, tombé raide devant un bas-relief, lui donne vie dans ses rêves situés dans une Pompéi gagnée par les braises du Vésuve. Dans la version de Masson, on devine la mue de la femme de pierre en chair. Une incarnation sous le signe toutefois de la putréfaction, symbolisée par le bourdonnement des mouches.
L’idée de dualité se décline aussi dans l’étrange cérémonie mortuaire mise en scène par Victor Brauner ou dans une transparence de Picabia. Étrange gémellité entre le jeune garçon endormi dans son lit et sa poupée masculine dans Chambre d’Amis de Tanning. Double encore, dans le même tableau, avec cette jeune prépubère debout sur le pas de la porte, faisant dos à son propre fantôme les yeux bandés. Autre seuil, autre double avec l’adolescent et la femme assise, pétrifiée telle une Eve éternelle dans la Visite de Delvaux. Le parfum de Gradiva plane encore, tant l’étrange ombre portée de la femme semble la statufier en déesse. Tanning comme Delvaux explorent les sujets chers aux surréalistes, comme le passage du réel au rêve, traduit chez l’un et l’autre par la porte. Chez Masson, la traversée du miroir devient brèche dans le mur. Autre thème commun, celui de la sexualité en herbe, troublante. S’agit-il d’adultes coincés dans des corps d’enfants ? Ou de l’inverse ?
Le liant se fait moins entre la femme alanguie d’Hérold et la parturiente de briques couleur linceul d’Hans Bellmer, qu’il eut mieux valu associer au Magritte livide de L’Aube à Cayenne. Le fil des résonances se poursuit toutefois dans la seconde salle, articulée autour de l’idée d’espace. Une spatialité dominée par le Forçat de la Lumière de Matta dont la plénitude solaire aspire littéralement le spectateur au point d’étouffer presque les autres tableaux. Un seul résiste : la Harpe astrale de Wifredo Lam, touffue, luxuriante, claustrophobique. Un sentiment de suffocation tropicale adouci par une texture suave étonnamment proche du pastel. Mais à peine tourne-t-on le dos au souffle du Matta qu’on peut se laisser emporter par les siphons cosmiques d’Óscar Domínguez. Le piège complexe de tentacules du Ciel de pieuvre de Wolfgang Paalen peine, en revanche, à enserrer le spectateur.
Si les deux premières salles bruissent de connivences, la dernière orchestre plutôt des monologues de titans. Aucune conversation possible entre le Paysage au Coq de Miró, prêté par la Fondation Beyeler, et le calme pré ou post-cataclysmique d’Yves Tanguy. Aucun échange ne s’instaure entre la Horde compacte de Max Ernst et l’inquiétant Phosphène de Laporte de Dalí. Si le Miró en impose par sa taille, c’est Dalí qui magnétise. Que voit-on ? Quatre têtes jaillies d’un cyprès, nimbées d’une aura fluorescente. Les yeux écarquillés, littéralement allumés, fixent le spectateur, créant un malaise proche sans doute des jeux extrêmes auxquels se livrait l’artiste. Des jeux qui, pour reprendre Robert Desnos, vous conduisent « sous les grands eucalyptus du cauchemar et sous les mélèzes murmurant de l’inspiration ».
GRANDS SURRÉALISTES, jusqu’au 31 mai, Galerie Malingue, 26, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 42 66 60 33, du mardi au vendredi 10h30-12h30 et 14h30-18h30, lundi et samedi 14h30-18h30.
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Malingue voit grand
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Malingue voit grand