Maastricht, baromètre du marché

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 mars 2005 - 1149 mots

Du 4 au 13 mars, Maastricht se met en quatre pour séduire les collectionneurs internationaux. Une occasion de prendre le baromètre du marché.

Après un début d’année ronronnant, la Tefaf (The European Fine Art Fair) ouvre le feu des grands rendez-vous antiquaires internationaux. Beaucoup de professionnels en profitent pour y prendre le pouls du marché. Comme sa consœur de Bâle, la foire de Maastricht a pris ses quartiers dans une bourgade tranquille, où l’attention n’est pas dévoyée par une débauche d’offres culturelles. Contrairement à la Biennale des antiquaires, qui joue la carte de la séduction avec force décors et paillettes, la Tefaf impose un ton sobre et une organisation au cordeau. Une approche sans falbalas qui séduit depuis toujours les amateurs nordiques. « Les clientèles allemande, hollandaise et belge, sont naturellement captives. Les efforts à l’internationalisation de Maastricht ont toutefois payé. On a vu l’an dernier de nombreux Italiens et des Sud-Américains », remarque l’antiquaire Nicolas Kugel. De nouveaux clients qui ne pallient pas encore l’absence des Américains depuis quatre ans. Si la guerre en Irak a jeté une chape de plomb sur la foire en 2003, la chute du dollar a précipité la défection des collectionneurs d’outre-Atlantique en 2004. En septembre dernier, ces derniers n’avaient d’ailleurs pas délié leur bourse à la Biennale des antiquaires où ils se sont déplacés plus en touristes qu’en acheteurs.

Tableaux anciens à l’honneur
Les tableaux anciens sont à Maastricht ce que les arts décoratifs sont à la Biennale des antiquaires : le nerf de la guerre. Contrairement au mobilier du XVIIIe siècle, le marché des tableaux anciens souffre plus d’une raréfaction des pièces que d’une désaffection des acheteurs. Les nombreux achats effectués par les musées ont asséché ce secteur. Dans un contexte de pénurie galopante, beaucoup de marchands guettaient les ventes de janvier à New York pour renflouer leurs stocks. D’ailleurs ces dernières se sont plutôt bien déroulées ; le 26 janvier, Christie’s a totalisé 25,9 millions de dollars, son chiffre le plus important depuis 2000. Sotheby’s engrangeait, le 27, 16,9 millions de dollars. Face aux marchands britanniques et italiens particulièrement actifs lors de ces ventes, les galeries françaises se sont révélées timorées. Il ne serait pas surprenant de retrouver à Maastricht certains lots de ces vacations, la quête de l’inédit étant de plus en plus ardue, les redites sont nécessairement fréquentes. Le marchand allemand de tableaux anciens Konrad Bernheimer estime que seuls 5 à 10 % des clients internationaux arpentent l’ensemble des salons. Il trouve du coup naturel que les mêmes tableaux soient présentés d’une manifestation à l’autre. Le manque d’achats spontanés semble lui donner raison. Les transactions tendent à se dilater sur plusieurs mois, ce qui met à mal le concept cardinal des foires : l’unité de lieu et de temps !

Peinture flamande et hollandaise
Le goût des collectionneurs d’art ancien reste très affûté. « Les gens recherchent des choses très spécifiques. On dit toujours qu’ils recherchent des choses très importantes, c’est vrai et faux. Il faut trouver des choses très précises, rares dans leur genre, mais pas forcément chères », remarque le courtier Étienne Breton. Les peintures flamandes et hollandaises ont toujours la grâce des acheteurs. Le marchand londonien Jean-Luc Baroni prévoit une huile sur papier représentant une tête par Pier Paul Rubens. Ce dessin avait servi d’esquisse pour la tête d’un roi dans L’Adoration des mages, tableau accroché au Prado. La galerie Didier Aaron affiche un cuivre de Sébastien Bourdon vers 1640, représentant une scène d’intérieur d’auberge dans un esprit hollandais. « Cette œuvre a plusieurs avantages, précise Laure Pouzol. Il s’agit d’un artiste important recherché par les musées. C’est une période qu’on connaît peu et qui n’est pas toujours bien représentée dans les collections publiques. De surcroît, il peut plaire à des amateurs de bambochades des écoles du Nord. » Un choix on ne peut plus stratégique ! De son côté, le galeriste Emmanuel Moatti taquine la fibre de la clientèle belge avec Les Musiciens, une huile de 1828 de François-Joseph Navez.
La peinture italienne gagne aussi du terrain grâce à l’entrée en lice depuis trois ans de nombreux collectionneurs transalpins. La galerie Sarti présente un fleuron de l’art du Pérugin que les amateurs ont pu admirer lors d’une récente rétrospective à Pérouse. Cédé dans une procédure de deaccessioning par le musée de Washington, ce Portrait de jeune homme avait été acheté par les Sarti en vente publique. Retiré lors d’une Biennale des antiquaires, ce tableau est aujourd’hui reconnu par les spécialistes de l’artiste, à commencer par Filippo Todini, spécialiste de la peinture ombrienne, qui en a confirmé l’attribution par ses recherches. De son côté, le jeune galeriste parisien Maurizio Canesso propose un épisode de La Jérusalem délivrée de Gregorio de Ferrari, tableau baroque issu d’une collection helvétique. Un choix circonstancié puisque depuis cinq ans les prix de la peinture baroque ont progressé de 50 %.

Arts décoratifs du XVIIIe siècle
Habituel parent pauvre de la biennale, le secteur des arts décoratifs du XVIIIe siècle voit arriver la galerie Segoura. Celle-ci prend le relais des Steinitz qui déclarent se retirer faute d’avoir obtenu l’emplacement réclamé depuis plusieurs années. « Paris est incontournable, mais tout le monde parle de Maastricht où se déplacent les conservateurs du monde entier », observe Marc Segoura. Bien qu’ils prévoient quelques meubles de grand genre, les Segoura ont judicieusement préféré se concentrer sur les tableaux anciens. Leur escarcelle comporte une paire de toiles de Fragonard représentant L’Amour Folie et L’Amour en sentinelle ainsi qu’une composition néoclassique de Jean-Marie Vien, provenant des collections du duc d’Orléans. Le flambeau du XVIIIe est aussi défendu par la benjamine de la profession, Flore de Brantes. Celle-ci prévoit une console italienne du XVIIIe siècle en bois doré ainsi qu’un baromètre Louis XVI surdimensionné, sans compter sa spécialité « maison », la table et les chaises de salle à manger. Maastricht attire enfin les férus de curiosités, adeptes de menus plaisirs en argent ou en céramique. La curiosité prend ses aises chez les Kugel mais aussi à la galerie Kunstkammer Georg Laue dont les associations hétéroclites surprennent toujours les visiteurs.
Depuis dix ans, la Tefaf cherche à fortifier son secteur XXe siècle, sous la houlette du marchand britannique Leslie Waddington. Les galeries modernes quittent d’ailleurs de plus en plus le giron des foires d’art contemporain pour être happées par celles des antiquaires. L’arrivée cette année du poids lourd new-yorkais Bill Acquavella vient raffermir une section encore empreinte de classicisme. Si la Biennale des antiquaires peine encore à franchir le cap des années 1950-1960, l’art plus contemporain apparaît lentement à Maastricht. Toutefois, malgré la présence de noms hype comme Julian Opie chez Alan Christea ou Olafur Eliasson chez Von Bartha, le pôle n’est pas encore à la mesure d’un mini-Bâle. Le contemporain trace son sillon, piano, piano...

Tefaf (The European Fine Art Fair), 4-13 mars, MAASTRICHT (Pays-Bas), Maastricht Exhibition and Congress Centre (MECC), forum 100, tél. 31 43 383 83 83, www.tefaf.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°567 du 1 mars 2005, avec le titre suivant : Maastricht, baromètre du marché

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