La maison de ventes Artcurial organise le 21 juin sa première vente orientaliste et africaniste, pour laquelle vous êtes l’expert, avec votre confrère Félix Marcilhac. Allez-vous participer à la tenue de vacations régulières à l’hôtel Dassault ?
Non, je ne pense pas, même si j’apprécie le dynamisme d’Artcurial et l’accueil chaleureux qui m’est accordé. Je collabore avec des commissaires-priseurs depuis 1960, à Londres, puis à Paris, mais j’ai beaucoup d’autres projets en cours, qui me tiennent à cœur. Je prépare notamment trois livres dont un sur les peintres occidentaux qui ont travaillé au Maroc entre 1900 et 1956. Cela me prend beaucoup de temps et je n’arrive pas à tout faire ! Mais je reste partante pour présenter aux enchères des tableaux « top qualité ». J’interviens si cela en vaut la peine comme dans la vente de Me Guillaume Cheroyan à Elbeuf [Seine-Maritime]. Ce commissaire-priseur détenait un magnifique tableau de Rudolf Ernst, artiste recherché par le marché international pour ses belles compositions orientalistes. La Cueillette des roses, conservée dans une collection particulière normande depuis quarante ans, a été adjugée 211 338 euros le 2 avril, soit un record en France pour l’artiste.
Le catalogue que vous présentez pour cette vente chez Artcurial est petit…
Oui, avec seulement 67 numéros (estimation globale 660 000 euros), ce n’est pas une vente fleuve. Mais, pour réunir des œuvres de qualité, cela m’a demandé un temps considérable. Ce marché est devenu très difficile. Les beaux tableaux se font rares et j’ai refusé énormément de pièces, médiocres ou incertaines quant à leur authenticité.
Sotheby’s et Christie’s organisent également des ventes thématiques à Londres et à New York. Êtes-vous en concurrence avec ces maisons ?
Pas tout à fait, car ces auctioneers s’intéressent surtout au marché des tableaux orientalistes du XIXe siècle. De plus, beaucoup d’artistes en France comme Jean-Léon Gérôme ou Ludwig Deutsch vendaient leurs œuvres, par le biais d’agents, à des pays anglo-saxons. Donc, cela est rare de trouver leurs tableaux ici. Si les commissaires-priseurs français arrivent à en avoir dans leurs ventes, ils se vendent très bien. Ce marché est international et les collectionneurs ont des yeux partout. En revanche, le marché est meilleur en France pour les Orientalistes du XXe siècle, dont beaucoup ont peint en Afrique du Nord, et aussi pour les artistes français et belges qui ont voyagé en Afrique centrale. Ces Africanistes passent moins bien à Londres et à New York, pour une question de goût et de connaissance.
Qui sont les acheteurs de tableaux orientalistes ?
Je présente un panorama de peintures illustrant un bon nombre de pays. C’est important, car ces tableaux sont disputés par différents marchés nationalistes. Les Marocains qui achètent les scènes et vues du Maroc apprécieront la Sortie de S. M. le sultan Mohamed V sur le Méchouar, Rabat, par Geneviève Gallibert, toile estimée 5 000 euros. Elle sera reproduite dans mon prochain livre sur le Maroc avec Cavaliers à l’aube, Sud-Marocain, par Fernand Lantoine, tableau estimé 25 000 euros. Les Tunisiens, les Algériens, les Turcs, les Libanais, défendent également leurs peintures. Mais le marché évolue peu à peu. Les collectionneurs du Moyen-Orient sont de plus en plus actifs et achètent de tout, car les artistes ne sont pas venus peindre chez eux. D’autre part, certains artistes sont très cotés, indépendamment des considérations géographiques de leurs sujets. Ainsi l’Afrique noire d’Henry Pontoy et de Jacques Majorelle (deux grands peintres du Maroc) est aussi prisée par les Marocains. Majorelle est notamment représenté par une Scène de marché à Kayes (Soudan français, actuel Mali), estimée 70 000 euros. Étienne Dinet, artiste attaché à l’Algérie, converti à l’islam en 1913 – dont est proposé un très beau diptyque, Le Départ pour la guerre sainte, estimé 60 000 euros –, est aussi collectionné par les acheteurs du Maroc, de Turquie et du Moyen-Orient.
La femme orientale est-elle un sujet vendeur ?
Oui, bien sûr. Elle est très souvent présente dans les scènes de la vie quotidienne, de fête, de cérémonie. Mais les tableaux des harems où on voit la femme orientale dénudée et lascive illustrent surtout le fantasme d’Européens. Par choix personnel et aussi par respect pour mes collectionneurs orientaux, je n’ai pas voulu intégrer ce thème racoleur dans cette vente.
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Lynne Thornton, historienne de l’art et expert spécialisé en orientalisme et africanisme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : Lynne Thornton, historienne de l’art et expert spécialisé en orientalisme et africanisme