Le cinquième colloque sur les aspects juridiques du commerce international de l’art, organisé à Vienne du 28 au 30 septembre par l’Institut du droit et des pratiques des affaires internationales de la Chambre de commerce internationale de Paris, a été plus \"politisé\" que les précédents, notamment par les interventions de la forte délégation américaine conduite par John H. Merryman, professeur à l’université de Stanford, président de l’International Cultural Property Society.
VIENNE - Le professeur Merryman souhaite que l’on reconnaisse la légitimité d’un commerce de l’art licite, ce que presque personne ne conteste. Mais au cours d’une intervention, très argumentée et souvent fondée sur des faits avérés, il a tenté de démontrer que cette légitimité devait, en contrepartie, tenir pour illégitimes ou inefficaces les attitudes des pays "nationalistes" ou "rétentionnistes", comme il les qualifie. M. Merryman propose une définition des objets culturels "inamovibles", pratiquement restreinte aux objets voués à une croyance ou à un culte "encore pratiqué", sous réserve encore que la restitution soit accompagnée d’une garantie de retour aux dits cultes et croyances. Ainsi, selon lui, les biens culturels de civilisations, religions ou croyances disparues ne devraient plus être protégés, sauf vol caractérisé.
La protection encourage le marché noir
Évoquant la difficile question des fouilles archéologiques, le professeur Merryman souligne que les législations de protection encouragent le marché noir. Pour freiner ce dernier, il formule diverses propositions : "encourager" les fouilles clandestines, à condition qu’elles soient supervisées par des scientifiques (une telle expérience serait tentée avec succès sur le site sicilien de Sélinonte) ; récompenser les découvertes fortuites et indemniser les agriculteurs ou entrepreneurs pour les dommages causés à leurs activités ; céder les objets "redondants" des collections publiques pour atténuer la pression de la demande et procurer des ressources financières permettant de mieux protéger et de documenter les richesses patrimoniales.
Un autre orateur a même évoqué l’opportunité de "privatiser" les fouilles archéologiques. Si chacune de ces propositions, prise isolément, n’est pas dénuée d’intérêt, leur cumul devient inquiétant. Appliqué au patrimoine, il s’apparente à la doctrine prônée par le FMI, demandant aux pays pauvres de faire preuve d’austérité.
Pays "sources" et surplus
Le professeur Merryman a décrété "l’échec" de la convention Unesco sur la protection des biens culturels contre les trafics illicites (Paris, 1970), tenant sans doute pour négligeable l’adhésion de 81 États dont les États-Unis ! Il a "expédié" comme hypothétiques les propositions pour une harmonisation des règles de restitution des biens culturels, adoptées par l’Unidroit après plusieurs années de travail, auxquelles il a participé sans parvenir à y imposer toutes ses options.
"Le choix, s’il y en a un, est entre un marché licite et un marché noir", concluait M. Merryman, qui propose aux pays acheteurs d’exiger des pays "sources" qu’ils prennent des mesures pour protéger et développer leurs ressources archéologiques, comme vendre leurs "surplus" par exemple.
Une meilleure coopération internationale
Les réponses ont étonné par leur caractère mesuré. De la part d’archéologues ou de conservateurs, on aurait pu attendre des protestations véhémentes devant cette offensive des "californian boys". Claude Daniel Ardouin, représentant les musées de l’Ouest africain, a mis en avant une meilleure coopération institutionnelle internationale, qui "permettrait aux publics des pays pauvres de bénéficier, à travers des expositions et des programmes éducatifs, des résultats des travaux dont leur histoire et leurs cultures ont fait l’objet, et qui demeurent, soit monopolisés par les chercheurs, soit accessibles seulement aux publics des pays riches".
Clemency Chase Coggins, de l’université de Boston, réfutant les arguments de M. Merryman, observait particulièrement que "le marché de l’art opère en secret et impose la confidentialité à tous les niveaux, pour protéger les sources, les acheteurs et lui-même". Elle relevait que "les collectionneurs et les musées ont traditionnellement accepté ces restrictions pour se protéger eux-mêmes". "Si toutes ces transactions étaient publiques et aussi honnêtes, il n’y aurait pas de marché illicite", ajoutait-elle, en affirmant que le plus important, au-delà des soucis nationaux et des lois, était "la vérité sur l’objet". En exigeant que les objets soient sérieusement documentés, et les procédures d’acquisition rendues publiques, les musées, les marchands et les collectionneurs feraient beaucoup pour contrer les trafics illicites.
Objets volés et exportations illicites
D’autres intervenants, au contraire, partageaient certaines des vues de M. Merryman, en particulier l’idée de distinguer clairement objets volés et exportations illégales, et de céder les excédents des musées. L’Association des marchands d’art ancien de Londres rappelait, en particulier, qu’il n’y a guère plus de 25 ans, le Musée du Caire vendait encore des antiquités égyptiennes, tandis que d’autres intervenants affirmaient que la Chine vendait actuellement des pièces archéologiques. Face à cette position "ultra", d’autres orateurs se sont voulus rassurants en rappelant que les États-Unis ont ratifié et mis en force la convention Unesco de 1970, et que le projet de convention Unidroit devrait être soumis à une conférence diplomatique à Rome en 1995.
Malgré le peu de temps dont ils ont disposé, les représentants de nombre de pays présents et d’institutions internationales, sans prétendre vouloir, comme M. Merryman, "reconstruire le régime international de la propriété culturelle", ont exposé comment ils s’efforcent de préserver le patrimoine culturel tout en créant les conditions d’un développement ordonné des échanges de biens culturels.
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L’offensive des "californian boys"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : L’offensive des "californian boys"