L’artiste, empruntant à l’histoire de la chorégraphie et de la performance, a fait passer un souffle émancipateur dans l’espace de la galerie.
Bruxelles. Pour son exposition personnelle chez Clearing, Lili Reynaud-Dewar a plongé le grand espace de la galerie dans une atmosphère où se mêle au froid polaire une chaleur d’âtre. Dans cette ambiance à la fois intime (de l’espace domestique) et intimidante (de l’immense atelier reconverti en galerie), l’artiste a fait rouvrir une cheminée et installé deux banquises de polystyrène. Un oxymore qui évoque l’amour dans un temps post-sida (la banquise renvoie ici à celle réalisée par General Idea en 1994). L’artiste éclaire la pénombre de lampadaires accompagnés de trois projections vidéo. Dans chacune d’elles, un lieu différent apparaît : l’exposition de Bruno Gironcoli dans l’espace même de la galerie, une exposition dans le centre d’art Wiels voisin et un champ où broutent des moutons. L’artiste danse dans ces différents contextes à la fois nue et habillée d’une pellicule de maquillage gris qui la révèle autant qu’elle la protège. Mise à nu par elle-même, l’artiste emprunte tout un vocabulaire de gestes à l’histoire de la chorégraphie et de la performance. Elle y affirme son corps dans une stratégie auto-émancipatrice du cadre dans lequel elle intervient : les formes masculinistes autoritaires de l’artiste autrichien ou l’espace de l’institution.
Dans le troisième film, Lili Reynaud-Dewar apparaît pour la première fois dans un site naturel. On l’y voit danser parmi les moutons dont elle perturbe la chorégraphie tel un renard aux aguets. Pour cette pièce nouvelle qui donne à l’exposition son titre, elle s’inspire de l’ouvrage Lady into Fox (1922)de David Garnett. L’histoire de la métamorphose en renard d’une épouse bourgeoise échappant à la soumission conjugale. Le processus d’émancipation tournera mal puisque le renard sera tué par des chasseurs. Plusieurs mannequins en pose nu incliné (genrés mais asexués) viennent en outre rythmer l’espace de l’exposition. Ces éléments pointent l’influence de Donna Haraway et de son Manifeste cyborg (1984) sur l’œuvre de Lili Reynaud-Dewar. L’artiste a recours à cette figure croisant l’homme et la machine afin de sortir d’une vision essentialiste de la femme et de relire une histoire des oppressions. Par superpositions affinitaires, elle recycle en performances les stratégies émancipatrices qui en sont les corollaires. Comme c’est le cas pour cette exposition, elle produit également des environnements dans lesquels ses objets flirtant avec le design incitent le visiteur à se positionner physiquement dans des systèmes établis de la représentation.
Un peu à la manière d’une rock star, l’artiste a bénéficié récemment d’expositions internationales ayant fait le tour du monde, notamment la dernière, « Dents, Gencives, Machines, Futur, Société » qui a été présentée en 2016 au Kunstverein de Hamburg, au Théâtre des Amandiers à Nanterre et chez Kamel Mennour à Paris ; en 2017 au Museion de Bolzano (Italie) et à De Vleeshaal à Middelburg (Pays-Bas). Prochaine étape cet automne à Melbourne (Australie). Une construction internationale de projets que permet la représentation de son travail par des galeries en France (elle a quitté Kamel Mennour en 2017), en Belgique (Clearing) et en Autriche (Emanuel Layr à Vienne), ainsi qu’aux États-Unis (branche new-yorkaise de Clearing). Les vidéos, éditées à un exemplaire (plus une épreuve d’artiste), sont vendues 25 000 euros (HT), les mannequins 15 000 euros et les lampadaires 12 000. Son travail est présent dans les collections du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou ainsi que dans la collection Pinault.
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Lili Reynaud-Dewar, le renard et le cyborg
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Lili Reynaud-Dewar, le renard et le cyborg