Dessin

L’hymne (inquiet) à la vie de Giacometti

Claude Bernard consacre une nouvelle exposition aux dessins d’Alberto Giacometti

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 485 mots

PARIS - D’où vient la fascination qui saisit le visiteur au milieu de cette forêt de dessins ? Têtes anonymes ou célèbres, figures debout, nus, natures mortes, paysages, atelier de l’artiste rue Hippolyte-Maindron à Paris. D’où vient la puissance dramatique de ces sujets somme toute banals ? de la puissance de vie qui habite les choses et les êtres qu’Alberto Giacometti croque, habité par cette recherche ardente de vérité, par ce souci d’« incarner la réalité », selon les mots de son ami Louis Clayeux ?

C’est en hommage au critique d’art qui fut, de 1948 à 1965, le directeur artistique de la galerie Maeght que Claude Bernard a organisé cette belle exposition non commerciale. Elle réunit une soixantaine de dessins datant de 1917 à 1963 pêchés aux meilleures sources, auprès de collectionneurs privés, de galeristes réputés et de la Fondation Alberto-et-Annette-Giacometti qui a prêté six feuilles et une dizaine de photographies.

On retrouve, sur les cimaises, son entourage familier, sa femme Annette, son frère Diego et quelques proches : les poètes René Char et Pierre Reverdy, l’éditeur Tériade, l’écrivain James Lord, le galeriste Pierre Loeb. Tous ces portraits rayonnent d’une intense présence physique à l’image de Loeb, pommettes saillantes et traits marqués, tout occupé à fumer sa pipe. Les orbites qui mangent son visage semblent s’ouvrir sur des cavités vides. Sisyphe des Grisons, Giacometti a traqué le mystère de la vie derrière un visage et dans les yeux de ses modèles. Le regard concentré et absorbé de Tériade, volontaire et visionnaire de Reverdy, celui tantôt doux et disponible, tantôt inquiet d’Annette. « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. […] L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose […]  », écrivait Jean Genet dans son admirable texte L’atelier d’Alberto Giacometti (éd. L’Arbalète, rééd. 2007).

Quant aux natures mortes et paysages, ils paraissent comme embobinés, enlacés de traits gommés ou estompés qui les relient à l’espace dans lequel ils baignent. La montagne vibre d’une pulsation. Les arbres vivants sont croqués comme des figures, les pierres comme des têtes. Ces traits inquiets sont à la fois implacables et hésitants. Ils sont faits de bouillonnements, d’accumulations, de retours et d’interruptions anxieuses, fragiles et ténues. « Ce qu’il faut dire, ce que je crois, c’est que, qu’il s’agisse de sculpture ou de peinture, il n’y a que le dessin qui compte », soutenait Giacometti qui dessinait partout : en voiture, dans la rue, au café, chez des amis tout aussi bien que dans son atelier.

Alberto Giacometti. Dessins

Jusqu’au 16 février, Galerie Claude Bernard, 7-9, rue des Beaux-arts, 75006 Paris, tél. 01 43 26 97 07, www.claude-bernard.com, du mardi au samedi 9h30-12h30, 14h30-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : L’hymne (inquiet) à la vie de Giacometti

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