Lorsqu’elles sont en bon état, les tapisseries françaises des manufactures royales”¯sont de fabuleux objets d’art. Cependant, leur présence s’avère rare dans les salles de ventes.
Les belles tapisseries françaises des manufactures royales n’ont rien à envier à leurs cousines flamandes si l’on en juge par les bons résultats obtenus en ventes publiques. Le 2 décembre 2005 à Drouot chez Beaussant Lefèvre, trois tapisseries de la manufacture royale des Gobelins, provenant du château de Vaux-le-Vicomte, ont été vendues avec succès. « Malgré une provenance de château qui produit toujours son effet, il n’est jamais évident de vendre des pièces classées “Monuments Historiques” et donc frappées d’interdiction de sortie du territoire, comme ce fut le cas pour ces trois tapisseries, note Jacques Bacot, l’expert en mobilier en charge de la vente. Le classement divise au moins par deux les prix. » Les tapisseries de Vaux-le-Vicomte n’ont pas pour autant été préemptées. La Chancellerie aux armes de France et de Navarre, tapisserie au sujet allégorique que le roi remettait en présent au Garde des Sceaux (celle-ci est aux armes du chancelier Voyer de Paulmy d’Argenson), est allée remeubler un château privé français pour 125 100 euros, au double de son estimation. Le siège de Douai et Le château de Versailles ont été adjugés 131 050 et 69 100 euros à des professionnels.
Une clientèle fortuite
« La tapisserie n’est pas vraiment un objet de salle de vente », souligne un marchand spécialisé. D’une part, les maisons de ventes disposent de peu d’espace d’exposition pour les mettre en valeur. D’autre part, la clientèle n’est pas très large et difficile à cibler. Les institutions internationales sont souvent les plus intéressées. Et les collectionneurs privés se renouvellent peu par manque de place… Aussi, toute interdiction de sortie du territoire national est-il préjudiciable au marché des tapisseries déjà pénalisé par la question des dimensions des pièces. Certaines font plus de cinq mètres de large et il est parfois difficile de trouver un pan de mur sans fenêtre ni cheminée qui leur corresponde.
Deux critères sont déterminants dans le choix d’une pièce de qualité : la beauté et la rareté du sujet, combinées à l’état de conservation. Si un trou se restaure, une pièce trop abîmée perd jusqu’au trois quarts de sa valeur. La fraîcheur des coloris est essentielle, puisque l’on ne peut plus intervenir une fois les couleurs passées. Certains sujets sont plus rares et attrayants que d’autres, telle la tenture de l’Histoire de l’Empereur de Chine tissée à Beauvais, vibrante d’exotisme. Trois pièces de la série qui avaient gardé leur éclat, provenant du château de Chiffrevast (Manche), ont été proposées aux enchères le 23 octobre 2006 à Drouot par la SVV Beaussant Lefèvre. La plus grande, L’audience du Prince, est montée à 416 000 euros au profit d’un marchand. Adjugée 297 850 euros, celle illustrant Les Astronomes a été présentée quelques mois plus tard sur le stand de la galerie Kugel à la foire Tefaf Maastricht. La plus petite, Le Thé de l’Impératrice, a finalement été préemptée 166 800 euros par le Mobilier national. Le 21 juin à Paris chez Christie’s, une tapisserie des Gobelins représentant une scène de la série de Don Quichotte, estimée de 150 000 à 200 000 euros, a été retirée de la vente à la demande de son propriétaire parce que l’État venait de la déclarer « Trésor national ». L’intérêt qu’elle suscite au regard des pouvoirs publics tient à sa provenance : Monsieur de Machaut, Garde des Sceaux sous le règne de Louis XV, dont elle porte les armes. Mais « outre ce pedigree, le sujet est ennuyant et l’estimation était trop chère, tandis que les armes de France rapportées par-dessus la tapisserie n’étaient pas très esthétiques », s’accordent à dire plusieurs spécialistes.
Nombre de sujets ont été repris par plusieurs manufactures, souvent traités dans une autre palette, avec des alentours différents et des dimensions variables. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les ateliers d’Aubusson ont essayé de rivaliser avec la manufacture royale de Beauvais. Elle a répondu à l’époque à la demande privée dans l’esprit des tapisseries royales, alors que les Gobelins qui travaillaient traditionnellement pour le roi s’ouvraient aux demandes de la noblesse. Mais il n’existe pas vraiment de hiérarchie entre les centres de tissage car « il vaut mieux choisir une belle pièce d’Aubusson bien conservée, à l’instar d’une petite tapisserie d’Aubusson de l’Histoire d’Alexandre vendue 22 100 euros (au double de l’estimation) le 20 juin à Drouot chez Piasa, plutôt qu’une tapisserie de Beauvais en moyen état ou encore qu’une production des Gobelins dont le thème serait “barbant”, aime à rappeler la spécialiste Nicole de Pazzis-Chevalier (galerie Chevalier, Paris). Cette dernière fera d’ailleurs une présentation de « Tapisseries françaises du XVIe au XXe siècle », au Salon du collectionneur dès le 15 septembre.
La tenture des Anciennes Indes qui comprend huit tapisseries, introduit un nouveau thème exotique qui fut très apprécié aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle a été réalisée d’après des peintures d’Albert Van der Eeckhout et Frans Post, les premiers artistes envoyés au Brésil peindre le Nouveau Monde. Ces pièces furent offertes en 1679 par le prince Jean-Maurice de Nassau à Louis XIV. Cette série tissée par la manufacture royale des Gobelins entre 1692 et 1740 est d’autant plus rare qu’elle ne fut pas reprise par les ateliers de Beauvais ou d’Aubusson. Sur les quatre pièces auréolées de la provenance Bruni-Tedeschi, portées aux enchères le 21 mars 2007 à Londres chez Sotheby’s, Les Pêcheurs (ill. ci-contre) et Le roi porté par deux Maures se sont envolées au-delà de leur estimation, à 264 000 livres (390 000 euros) chacune. La scène féroce du Combat des animaux et L’indien à cheval, sujet un peu moins spectaculaire, ont été adjugés 168 000 livres l’unité (248 000 euros). Les collectionneurs brésiliens ont été les premiers à se battre pour acquérir ces paysages du Nouveau Monde. Si l’originalité et la rareté du sujet, l’état apparent des tapisseries ainsi que la fraîcheur des coloris en ont fait des pièces hautement désirables, les professionnels émettent cependant une réserve : les parties les plus faibles, en soie, ont été restaurées par un tissage à la machine. Ce travail n’a pas été fait dans les règles de l’art, et il est difficilement réversible sans occasionner des dégâts. Enfin, il ne donne pas la même satisfaction esthétiquement parlant qu’une restauration faite à la main.
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L’état de conservation prime
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : L’état de conservation prime