Jacques Walter, ancien propriétaire du Jardin à Auvers de Van Gogh, a remporté une victoire juridique. Fort de son succès, il poursuit son combat contre l’État pour obtenir la restitution d’une partie de la célèbre collection Walter-Guillaume de l’Orangerie.
PARIS - Le tribunal du 1er arrondissement de Paris a rendu le 22 mars un jugement sans précédent compte tenu des sommes en jeu, qui pourrait peser lourd sur l’attitude de l’État face à la circulation des biens culturels. Il pourrait freiner la libéralisation que semblait amorcer la loi du 31 décembre 1992, instaurant le "certificat" de libre circulation. On peut estimer que l’État va mettre en œuvre tous les moyens juridiques pour ne pas acquitter une somme dépassant 400 millions de francs – supérieure au montant total consacré par l’État aux acquisitions d’œuvres d’art – et revenir ainsi à une attitude largement dénoncée dans le passé. Le débat entre conservateurs du patrimoine, collectionneurs et acteurs du marché de l’art va-t-il une nouvelle fois se retrouver dans une impasse ?
Présidé par Mme Le Duvehat, le tribunal a condamné l’État à verser 422 187 693 francs d’indemnités à Jacques Walter, ancien propriétaire du "Jardin à Auvers" de Van Gogh, en compensation du préjudice résultant du classement du tableau comme "monument historique" par un décret du 28 juillet 1989. Le classement, comme le prévoit la loi de 1913, a eu pour effet d’interdire la sortie de l’œuvre du territoire français. Le Jardin à Auvers a été mis en vente en décembre 1992 à Drouot, où l’homme d’affaires Jean-Marc Vernes, l’a acquis pour 55 millions de francs. Sur le marché international, selon les Walter, le tableau aurait été adjugé six fois plus cher.
"La mission de l’État"
L’État a aussitôt fait appel du jugement et demandé la levée de l’exécution provisoire. Jacques Toubon a affirmé que "le ministre de la Culture (Ndlr : Jack Lang, à l’époque) n’avait fait qu’assurer ainsi la mission de l’État, qui est la conservation du patrimoine français, en mettant en œuvre les moyens légaux de prévenir l’exportation des chefs d’œuvre relevant manifestement des trésors nationaux". Le 28 juin, la Cour d’appel de Paris va considérer l’appel formulé par l’État contre l’ensemble du jugement rendu en faveur de Walter par le tribunal d’instance.
Le jugement du 22 mars représente une belle victoire pour Jacques Walter et son fils, Jean-Jacques Walter, qui bataillent devant les tribunaux depuis plusieurs années. Ils ont même porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, qui doit rendre son jugement le mois prochain ou en juin.
Les Walter ont toujours soutenu que le classement de leur tableau, l’un des tout derniers peints par Van Gogh à Auvers-sur-Oise, quelques jours avant son suicide, était totalement abusif, puisqu’il s’agissait d’une œuvre peinte par un étranger, qui avait été réimportée en France par un résident suisse, Jean-Jacques Walter, qui de surcroît conservait son bien à Monte-Carlo. Mais le Conseil d’État avait rejeté, le 31 juillet 1992, leur recours contre la décision de classement.
Le 28 mai dernier, les Walter, soutenus par leurs avocats Me Marie-Odile Lardin-Beauvisage et Me Sauveur Vaisse, remportaient une première victoire devant le tribunal d’instance. Celui-ci ne suivait pas l’argumentation de l’administration, qui plaidait l’incompétence de cette juridiction au profit d’un tribunal administratif. Il décidait que Jacques Walter devait être indemnisé. Il nommait l’expert parisien André Schoeller, qui estimait en décembre dernier le tableau à 320 millions de francs.
"Tradition de spoliation"
Après l’affirmation du principe en mai, le tribunal vient donc de décider le montant à verser. Ce jugement "mettra peut-être fin à la tradition de spoliation pratiquée par l’État", a déclaré Jean-Jacques Walter au Journal des Arts. "L’État viole la loi de 1913 qui prévoit une indemnité , il viole les principes généraux du droit qui stipule qu’on doit indemniser une personne quand on lui fait subir un dommage, et il viole la Convention des droits de l’homme qui dit les mêmes choses. Il viole de surcroît la Constitution, qui ajoute que la compensation doit être préalable!", a-t-il ajouté.
La collection Walter-Guillaume
Les Walter ont engagé une bataille sur un autre front. Par une assignation du 29 décembre 1992, ils demandent la révocation de l’acquisition par le Louvre de la collection Walter-Guillaume, fleuron aujourd’hui du Musée de l’Orangerie. Cet ensemble de tableaux modernes avait été rassemblé par Jean Walter, père de Jacques et grand-père de Jean-Jacques. Ils contestent l’authenticité de la transaction effectuée en deux fois, en 1958 et en 1963. Selon eux, la transaction entre Juliette Lacaze, veuve de Jean Walter, et le Louvre, n’aurait été "qu’une fiction" destinée à permettre à Mme Lacaze de tourner l’obligation légale de réserver une part de l’héritage – "la part réservataire" prévue par la loi – aux héritiers de Jean Walter.
Les Walter soutiennent que Mme Lacaze aurait versé l’argent à la Société des Amis du Louvre. Celle-ci l’aurait transmis au Musée du Louvre, qui l’aurait utilisé pour effectuer la transaction...et payer Mme Lacaze. Cette somme aurait été de 3 850 000 francs, montant "dérisoire" fort suspect aux yeux des Walter, fils et petit-fils. Le tribunal de grande instance de Paris doit examiner le 27 avril la demande d’injonction faite par les Walter aux Amis du Louvre, de fournir la liste des souscripteurs qui auraient contribué à l’achat de la collection Walter-Guillaume.
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L’État condamné à payer 422 187 693 francs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : L’État condamné à payer 422 187 693 francs