Collectionneurs - Foire & Salon

Les techniques du dessin

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 18 février 2015 - 1030 mots

PARIS

Un pastel a-t-il plus de valeur qu’une sanguine ? Dans le dessin, la technique utilisée par un artiste est loin d’être le premier critère pour fixer son prix. Et pourtant…

Au Salon du dessin ancien, qui se tient cette année du 25 au 30 mars, le collectionneur tombera peut-être sur le dessin d’un couple endormi sous une couverture d’Egon Schiele. Ce dessin de jeunesse, minimaliste, tient à quelques lignes tracées au crayon, sur un papier bruni qui renforce la tendresse et l’intimité de la scène. Un joyau que la Galerie Le Claire Kunst propose pour environ 150 000 euros.  « Un grand nu de Schiele, de dimensions plus importantes, avec de la couleur, peut atteindre un à deux millions d’euros », estime le galeriste Gerhard Kehlenbeck. Question de technique utilisée ? Pas seulement. Le prix d’un dessin tient d’abord à son auteur, son sujet, sa période au sein de l’œuvre de l’artiste, à son état de conservation et à sa provenance. Cependant, les techniques – crayon graphite, fusain, sanguine, encre, lavis, pastels, aquarelles… – interviennent également dans l’évaluation du prix d’une œuvre sur papier… « Les effets plus ou moins spectaculaires d’un dessin en dépendent », observe la galeriste Sylvie Prouté. Aussi, si le choix d’une technique est rarement déterminant pour les collectionneurs, ces derniers ne manquent pas de s’y intéresser… Car il existe, de fait, une hiérarchie des techniques de dessin. Au sommet ? « Sans doute la peinture à l’huile, car on s’approche du tableau sur papier… et le marché considère que la peinture constitue un stade plus abouti de la pensée de l’artiste », répond Tudor Davies, expert de la vente de dessins provenant de la célèbre Triton Collection Foundation chez Christie’s le 25 mars 2015, où sera notamment proposée une huile sur papier de Picabia estimée entre 350 000 et 550 000 euros.

On considère que la technique du dessin de base est le graphite. Le fusain, qui demande un plus grand contrôle de l’artiste, est souvent considéré comme plus riche et donc plus cher. « Et l’encre, qui constitue comme un intermédiaire entre dessin et tableau, a encore plus de valeur », souligne Tudor Davies. La qualité du papier entre également en ligne de compte. Enfin, les techniques mixtes, comme celle dite des « trois crayons », qui marie la sanguine, l’encre et les rehauts de craie, sont particulièrement prisées, pour les subtils effets qu’elles sont susceptibles de produire…

Pastels
Vers 1900, Odilon Redon abandonne soudain ses mélancoliques monochromes fantastiques pour des motifs floraux aux accents symbolistes – les cinq pétales de ces pensées réalisés au pastel pourraient ainsi symboliser les plaies du Christ. La couleur apparaît : ainsi les vases de fleurs, caractéristiques de son œuvre tardive, n’existent qu’en couleurs. Dans les ventes aux enchères, les prix des dessins noirs de Redon fluctuent généralement entre 50 000 et 200 000 €, tandis que ceux en couleurs s’échelonnent le plus souvent entre 100 000 et 750 000 €.

Sanguine
Ce dessin sur papier bleu de Tiepolo – dont les études de tête à la sanguine sont assez rares sur le marché – comporte des traces de craie blanche. Au XVIIIe siècle, se développe en effet la technique, particulièrement recherchée, « des trois crayons », où la sanguine est utilisée avec la « pierre noire » et des rehauts de craie. « La sanguine, par son mystère, sa luminosité et sans doute sa couleur si propre à rendre le modelé des chairs, attire beaucoup les collectionneurs », remarque la galeriste Sylvie Prouté. Cette pierre d’oxyde ferrique argileux est devenue l’outil de prédilection pour les études anatomiques et le portrait vers la fin du XVe siècle.

Lavis d’encre de Chine et de crayons de couleurs
Une aquarelle ? On le dirait... Mais ce dessin du symboliste belge Léon Spilliaert est en réalité un lavis d’encre de Chine et de crayons de couleur. « Et surtout, en s’approchant, on observe la présence de paillettes d’argent », relève Gilles Marquenie, de la Galerie Patrick Derom. Cette marine réalisée en 1908 fait en outre partie de la période et des sujets les plus prisés de l’artiste. « Après 1915, Spilliaert utilise principalement l’aquarelle. Sa technique est plus simple, et ses dessins moins intéressants. » Par ailleurs, les dessins des symbolistes belges, comme aussi Félicien Rops ou Fernand Khnopff, sont généralement plus prisés que leurs huiles sur toile, moins intimistes…

Fusain et encre
Dans cette nature morte au fusain exécutée en 1909, époque des recherches cubistes de Picasso, le peintre des Demoiselles d’Avignon a accentué les contrastes avec de l’encre de Chine. Un dessin de base se fait au graphite. Le fusain demande plus de maîtrise – et donne donc plus de valeur au dessin. « Sa valeur s’accroît encore si le fusain est estompé – comme ici – ou si l’artiste a utilisé de l’encre. Cette pièce relève ainsi plus de l’œuvre sur papier que de la simple étude », observe Tudor Davies, directeur du département art impressionniste et moderne chez Christie’s.

Questions à… Gerhard Kehlenbeck, galeriste (Galerie Le Claire Kunst, Hambourg)

Certaines techniques vous semblent-elles plus prisées que d’autres par les collectionneurs ?
Depuis quatre ou cinq ans, notre clientèle s’intéresse particulièrement à la couleur, c’est-à-dire aux pastels et aux aquarelles, qui deviennent très populaires au XIXe siècle avec les impressionnistes et les symbolistes. Mais chaque élément qui donne de la couleur, ou qui accentue un effet d’ombre ou de lumière, a son importance : un papier coloré, un rehaut à la craie, une encre de Chine… Et ces éléments sont pris en compte dans le prix d’un dessin – car la couleur coûte souvent davantage !

Quelles seraient les raisons de cet intérêt des collectionneurs pour la couleur ?
Il tient sans doute au caractère décoratif des dessins. Les collectionneurs veulent pouvoir éventuellement accrocher ces œuvres sur papier dans leur salon… Un dessin coûte bien moins cher qu’un tableau de Degas ou Caillebotte, qui peut valoir des millions. Ainsi, une petite aquarelle de Boudin peut se trouver entre 5 000 et 10 000 euros. On peut acquérir un pastel entre 100 000 et 150 000 euros, alors qu’un tableau sur un sujet comparable peut dépasser le million d’euros…
Pratique

Salon du dessin ancien, du 25 au 30 mars 2015 au Palais Brongniart à Paris, www.salondudessin.comaximpo

Vente d’œuvres sur papier de la Triton Collection Foundation chez Christie’s à Paris, le 25 mars 2015, www.christies.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : Les techniques du dessin

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