Art contemporain

Les repentirs heureux de Vincent Gicquel

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2020 - 482 mots

L’artiste revient à ses personnages nus, délavés et aux coulures colorées pour ces toiles fraîchement terminées.

Paris.« Qu’est-ce que je fais là ? » La question posée par le titre de l’exposition de Vincent Gicquel (né en 1974), à la galerie Thomas Bernard, renvoie autant à une interrogation existentielle qu’à la possibilité de s’engouffrer dans l’histoire de l’art. Ou comment peindre après les « très grands » – Caravage, Picasso, Bacon – dont les œuvres prennent presque toute la place. Vincent Gicquel compare sa vocation à « un besoin pressant, organique ». On retrouve, dans la dizaine de tableaux tout juste sortis de son atelier, les personnages apparus dans son œuvre en 2015-2016. Ces créatures indistinctes, mais très identifiables, dévisagent le spectateur dans un dénuement hébété. Alors qu’il n’y a rien autour d’elles à quoi se raccrocher, elles font écho au désir du peintre, cette envie urgente de s’emparer de ce medium et de « tous les possibles qui y restent attachés ».

L’échelle des toiles, pour la plupart verticales, les place à hauteur de regard et oblige à une confrontation directe quand les postures, sexes exhibés, rictus idiots, mains fouaillant des corps soumis pourraient inciter à détourner les yeux. La peinture, pour sa part, coule, suinte, s’échappe en forme de décor. Et lorsque face à ces scènes primitives surgies d’un passé refoulé ou esquissant un futur proche du néant, on voudrait regarder ailleurs, elle use de la séduction des couleurs. Verts, bleus, roses même, qui parfois peuvent évoquer Henri Matisse, avec ici des spirales graphiques qui font songer à Christopher Wool. « Je sais ce que j’emprunte à qui », assure tranquillement Vincent Gicquel. Fils d’une professeure de dessin des Beaux-arts, cet « autodidacte » connaît ses classiques.

La récurrence de ses personnages pourrait faire craindre un effet de répétition, un systématisme. Mais cette production récente témoigne aussi d’un renouvellement de son approche. Le détour par l’aquarelle, à l’occasion d’une exposition à La Criée, centre d’art de Rennes, en 2018, a ainsi allégé la matière de ses peintures, souligne le galeriste Thomas Bernard : « Le grain de la toile est plus apparent, il y a davantage de lavis. » L’élaboration de chaque tableau, dans une succession de repentirs qui laissent apparaître des fantômes, des traces, confère de la profondeur à ses visions. Sa palette chromatique, son usage des transparences, son exploration de nouveaux formats horizontaux, ses références, tout cela donne également le sentiment de sa maîtrise et la mesure de ses doutes.

Il s’agit de sa sixième exposition personnelle à la galerie, qui promeut son travail depuis 2009. Avec opiniâtreté d’abord, avec prudence depuis que plusieurs des œuvres de ce quadragénaire jusqu’ici passé sous les radars du marché ont intégré la collection Pinault – certaines furent présentées lors de l’exposition « Debout » à Rennes, en 2018 – suscitant un nouvel intérêt. Les prix ont donc augmenté, mais ils restent raisonnables, entre 10 000 et 45 000 euros. « Nous essayons d’éviter l’effet d’engouement », explique Thomas Bernard.

Vincent Gicquel, Qu’est-ce que je fais là ?,
jusqu’au 11 janvier 2020, Galerie Thomas Bernard – Cortex Athletico, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°536 du 3 janvier 2020, avec le titre suivant : Les repentirs heureux de Vincent Gicquel

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