Dès la publication des catalogues des deux ventes d’art impressionniste et moderne chez Christie’s et Sotheby’s, il est apparu que ces maisons de vente proposaient des pièces de choix : Monet, Van Gogh, Picasso, Matisse, Modigliani, Kandinsky… Mais le marché était-il prêt à payer le prix de la qualité ? Il l’a fait, à quelques exceptions près, mais surtout, il a déboursé des sommes non négligeables pour des tableaux de moindre importance, ce qui donne peut-être la mesure la plus exacte des moyens et de la confiance des acheteurs. Vers la fin de la seconde vacation, toutefois, ce bel élan est retombé.
NEW YORK (de notre correspondant) - Christie’s a donné le coup d’envoi des ventes d’automne d’art impressionniste et moderne dans une ambiance survoltée, le soir du 7 novembre.
Christopher Burge proposait 62 lots, dont Le Miroir de Picasso (estimation non publiée entre 10 et 15 millions de dollars). Ce chef-d’œuvre avait été acquis par le marchand japonais Shigeki Kameyama chez Sotheby’s New York, en 1989, pour 26,4 millions de dollars. Pas moins de cinq concurrents, parmi lesquels Bruno Meissner et Nahmad et associés, ont croisé le fer avant que la toile ne soit adjugée 18,2 millions de dollars (89 millions de francs) à l’un des deux enchérisseurs par téléphone.
Cinquante-cinq lots ont été vendus pour la somme de 97,82 millions de dollars (478 millions de francs), un excellent résultat. Parmi les sept tableaux à ne pas avoir trouvé preneur, seule Une fenêtre sur jardin de Bonnard, estimée entre 2 et 2,5 millions de dollars, peut être qualifiée d’œuvre majeure.
Les enchères ont commencé avec un ensemble de sept lots (catalogue séparé) provenant de la succession de l’industriel suisse Jack Koerfer. L’un d’eux, un petit bronze d’Henri Laurens, a été retiré de la vente. La plus belle pièce, un Portrait d’Oscar Miestchaninoff par Modigliani, estimé entre 6 et 8 millions de dollars, est parti sur enchère téléphonique à 8,5 millions de dollars (41,5 millions de francs). Le marchand londonien Desmond Corcoran, pour le compte de Lefevre, a déboursé 6,4 millions de dollars (31,2 millions de francs) pour L’Indépendant, une nature morte cubiste de Picasso dans son état d’origine, jamais vernie ; à la réception qui suivait la vente, on apprenait qu’il avait déjà reçu une offre à un prix supérieur.
53,7 millions de francs pour un Picasso
Deux amateurs enchérissant par téléphone se sont disputés le Garçon à la collerette de Picasso (estimation non publiée 10 millions de dollars), dont la qualité suscitait des avis contradictoires. Il a été adjugé 11 millions de dollars (53,7 millions de francs). Deux œuvres plus tardives de Matisse ont atteint 5,8 millions de dollars chacune (28,3 millions de francs). Enfin, un Autoportrait à la gouache d’Egon Schiele, estimé entre 500 000 et 700 000 dollars, a été acquis sur enchère téléphonique, par l’intermédiaire de Michael Findlay, pour 1,7 million de dollars (8,3 millions de francs).
Des œuvres secondaires chez Sotheby’s
Le scénario était bien différent chez Sotheby’s, le soir du 8 novembre. Si les quinze lots de la succession de Joseph H. Hazen ont remporté un vif succès, la vacation comportait surtout des tableaux d’intérêt secondaire, et la longue dispersion des 88 lots a eu raison de la patience du public. Simon de Pury les proposait, avec sa fougue habituelle, et dénichait des amateurs pour 56 d’entre eux, totalisant 102 329 100 millions de dollars (500,3 millions de francs).
Estimée entre 600 000 et 800 000 dollars, une belle aquarelle de Daumier est partie, sur enchère téléphonique, à 1,1 million de dollars (5,3 millions de francs), échappant à Jose Mugrabi. L’ancienne directrice du département d’Art contemporain de la maison, Lucy Mitchell-Innes, a emporté, pour 820 000 dollars (4 millions de francs), un Paysage de Pissarro estimé entre 600 000 et 800 000 dollars. Un Paysage à Louveciennes de Sisley, bien connu du marché, a été adjugé 580 000 dollars (2,8 millions de francs), contre une estimation de 600 000 à 800 000 dollars.
Un Van Gogh à 110 millions de francs
Le bruit courait que le prix de vente des peintures de la collection Hazen, prêtées ces dernières années au Fogg Art Museum de Harvard, aurait été garanti à hauteur de 27 millions de dollars par Sotheby’s. Mais la vente seule de l’écran d’arbres désespérément fermé que Van Gogh a peint le mois de son suicide, en 1890, a rapporté 24,5 millions de dollars (110 millions de francs). Parti sur enchère téléphonique, c’est un montant aussi remarquable qu’inattendu, et le plus élevé de la semaine.
Une merveilleuse composition de Léger (estimation non publiée entre 5 et 7 millions de dollars) a été acquise par Nahmad et associés pour 6 millions de dollars (29,3 millions de francs). Das Jungste Gericht de Kandinsky (estimation non publiée entre 5 et 7 millions de dollars) a atteint 4,75 millions de dollars (23,2 millions de francs). Sept amateurs se sont disputés un somptueux Portrait de Jacqueline en costume turc, peint par Picasso en 1955 et estimé entre 3 et 4 millions de dollars. Il a finalement été adjugé sur enchère téléphonique pour 4,2 millions de dollars (20,5 millions de francs).
Il convient de noter également la belle performance d’une Vue de la Seine à Rouen (1872) de Monet, estimée entre 2 et 3 millions de dollars. Fort de sa provenance irréprochable (Havemeyer et Whitney Payson), elle a été adjugée sur enchère téléphonique à 4,1 millions de dollars (20 millions de francs). Après quoi, les déconvenues se sont succédé.
Un Renoir et un Chagall ravalés
Personne ne s’est intéressé au lot reproduit sur la couverture, la Place de la Trinité de Renoir (estimation entre 6 et 8 millions de dollars). En dépit du bruit qu’a fait ces dernières semaines la récente apparition de l’Autoportrait à la palette de Chagall (estimation entre 7 et 9 millions de dollars), le tableau n’a pas davantage attiré les acheteurs.
Par ailleurs, deux tableaux sont réapparus sur le marché. Une composition sur le music-hall, peinte par Picasso à Paris en 1901, Le Divan japonais (estimation entre 4 et 6 millions de dollars), figurait à la vente Dorrance du 18 octobre 1989 chez Sotheby’s New York, où il avait atteint 8,25 millions de dollars. Curieusement vendu au beau milieu de la soirée, il a dû se contenter de 3,3 millions de dollars (16,1 millions de francs).
Quant à La Belle Épicière de Modigliani (estimation non publiée entre 7 et 8 millions de dollars), elle a été adjugée 6 millions de dollars sur enchère téléphonique (29,3 millions de francs). Elle avait été adjugée 63 millions de francs à Alain Delon et à la famille Bouygues lors de la vente Bourdon, dispersée par Me Guy Loudmer le 25 mars 1990, à Paris.
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Les prix d’Amérique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Les prix d’Amérique