Julian Agnew, héritier de l’illustre galerie d’art londonienne établie depuis 1876 au 43 Old Bond Street, occupe aujourd’hui moins de la moitié des locaux. Comme il l’avait annoncé (voir le JdA n° 36), il n’a conservé que le premier étage et a mis en location, par l’intermédiaire de sa société Agnew’s Property Investment Ltd, le reste de la galerie. Évoquant ses projets pour ce célèbre immeuble – qui serait désormais bénéficiaire –, il donne son sentiment sur le marché de l’art en général et sur les difficultés rencontrées par les marchands.
Vos projets immobiliers sont-ils autant une stratégie financière qu’une réponse à la situation actuelle du marché ?
Ils ne sont pas directement liés au marché de l’art car, en tant que propriétaires fonciers, nous devons gérer l’immeuble comme un simple bien immobilier. Ayant tous sous-estimé l’importance et la durée de la récession, nous avons dû réduire certaines de nos activités, notre personnel – qui est passé de 32 à 16 employés – et notre stock.
Comment considérez-vous le marché aujourd’hui ?
Les débuts de la reprise datent de 1994, mais elle n’a pas eu lieu dans tous les domaines. Chose extraordinaire, actuellement la peinture anglaise du XVIIIe siècle est beaucoup moins chère que celle du XIXe, et les œuvres italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles sont encore très bon marché comparées à la peinture hollandaise du XVIIe. Les sujets religieux et classiques se vendent aujourd’hui beaucoup moins bien, cette modification du goût des collectionneurs étant probablement due à une éducation différente.
Quelle comparaison faites-vous entre la condition des marchands et celle des maisons de ventes aux enchères ?
Sotheby’s et Christie’s sont des sociétés solides qui jouissent de ressources importantes sans avoir besoin de stock, alors que les marchands sont pénalisés par la faiblesse de leur capital. Ceci résulte en partie de l’extrême fragmentation de leur activité. Pour y remédier, ils tendent de plus en plus à se réunir en syndicats. Mais cette solution n’est pas entièrement satisfaisante : certains de ces partenariats se forment avec un objet bien précis ; pour un objet différent, on devra donc en constituer un autre, et les marchands risquent alors de se retrouver en concurrence dans une transaction. Cette façon de travailler très spéciale leur fait manquer beaucoup d’affaires. Mais les fusions et les consolidations demeurent pourtant rares, car peu aiment travailler ensemble. Et bien que certains marchands aient disparu, les rapprochements n’ont pas été suffisants pour consolider le marché et permettre à ceux qui restent de gagner de l’argent.
Comment, selon vous, arrivent-ils à s’en sortir ?
Les transactions sont actuellement suffisantes pour que les marchands puissent gagner leur vie. Mais comment savoir si leur activité est rentable, étant donné les sommes investies dans le domaine de l’art ? D’ailleurs, il est très rare qu’une opération obtienne un retour sur investissement de l’ordre de 20 à 30 %, alors que c’est ce qu’on pourrait espérer.
Diriez-vous que Londres garde l’avantage sur les autres places ?
Il est très agréable d’habiter ici, mais le commerce est tellement international que vivre à Londres, New York ou Paris ne change pas grand chose pour la plupart d’entre nous. Il est évident que nous avons encore à Londres une très grande part du marché, mais le nouveau système fiscal pourrait faire évoluer cette situation.
Pensez-vous que 1999, avec l’élévation à 5 % de la TVA sur les importations des pays qui ne sont pas membres de la Communauté européenne, va être une année décisive ?
Nous allons assurément en pâtir, même si cela ne se fera pas du jour au lendemain. Les marchands, qui sont aujourd’hui de plus en plus accablés de paperasserie et d’impôts, se laisseront finalement séduire par des lieux où les choses sont moins compliquées et moins chères.
Que se passera-t-il quand Paris s’ouvrira aux maisons de ventes aux enchères ?
La situation du marché de l’art en France ressemblera alors beaucoup à celle de la Grande-Bretagne. Les transactions n’y seront peut-être pas aussi importantes qu’à Londres, mais l’Europe va bientôt devenir un ensemble de centres nationaux : le marché se développera à Madrid, Berlin, etc.
Et le marché italien ?
Nous avons beaucoup travaillé en Italie à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix. Les scandales et les enquêtes de la justice ont été très nuisibles au marché qui, en ce qui nous concerne, ne s’est pas encore complètement relevé. Mais l’avantage de Italie réside dans l’intérêt qu’on y porte encore à ce que j’appelle les vieux canons de l’œuvre d’art.
Si les autorités italiennes relâchaient leur contrôle sur les exportations, auraient-elles la surprise de découvrir que l’Italie importe plus qu’elle n’exporte ?
Absolument. C’est le cas depuis longtemps, mais les gens refusent tout simplement de faire revenir les tableaux dans leur pays. Une libéralisation du marché augmenterait le nombre des collectionneurs en Italie.
Votre fonds de peinture du XXe siècle a augmenté. Quels sont les artistes qui vous intéressent ?
Nous essayons de réunir un petit groupe d’artistes figuratifs (par opposition à l’art minimal ou conceptuel) sans pour autant revenir au passé. Je crois que la demande est importante dans ce domaine, surtout en Grande-Bretagne. Nous commençons à vendre certains de nos artistes aux États-Unis et en Australie. Notre exposition “Sidney Nolan” a d’ailleurs attiré beaucoup de monde. Nous nous intéressons à la peinture australienne du XXe siècle car elle appartient à la catégorie dont je parlais : figurative mais très contemporaine.
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« Les marchands sont pénalisés par la faiblesse de leur capital »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°46 du 24 octobre 1997, avec le titre suivant : « Les marchands sont pénalisés par la faiblesse de leur capital »