La Galerie Pascal Gabert met en scène boîtes et dessins de l’artiste qui lève le masque sur sa double identité à coups d’autoportraits et d’aventures invraisemblables.
PARIS - Depuis ses débuts et sa première boîte en 1968, Gilles Ghez (né en 1945 à Paris) est une figure singulière du monde de l’art. Et même doublement singulière, pour ne pas dire plurielle. Car il y a d’une part l’artiste qui réalise des boîtes et d’autre part le personnage principal de ces dernières, son double donc, le fameux Lord Dartwood qu’il s’est créé en 1987.
Double aveu
Le premier est un homme érudit, lettré, dandy avec un goût immodéré pour les chaussures, sur mesure de préférence, de son bottier de Londres. Il cultive le souci du détail – notamment les camaïeux de couleurs vestimentaires – et parle lentement, d’une voix élégante et grave. Le second, Lord Douglas Dartwood, est selon le portrait qu’en donne Ghez : « un Anglais, aventurier cynique, ancien officier de l’armée des Indes, baroudeur international, aussi peu soucieux de l’Angleterre que de colin-tampon ». Un double à qui il fait partager ses goûts (les chaussures), mais qui est aussi son opposé fantasmé, puisque si l’on voit souvent Dartwood au volant d’une voiture, Ghez ne conduit pas. De même, si le Lord sillonne le monde, l’artiste est surtout, lui, un adepte du voyage en chambre. « Dartwood est la métaphore des aventures imaginaires du moine bénédictin que je suis, parce qu’un peintre est quelqu’un qui reste seul et enfermé dans son atelier toute la journée », précise Ghez qui rappelle à ce propos l’étonnement que portait Delacroix (comme il l’écrit dans son journal) à toutes les petites choses de la vie réelle, lorsqu’il sortait de chez lui en fin de journée pour aller chez le barbier. Comme Ghez. Si l’on retrouve évidemment Douglas Dartwood dans cette nouvelle exposition à la galerie Pascal Gabert (qui le montre depuis trente ans), celle-ci a néanmoins lieu à une date clef dans la carrière de l’artiste. En effet, si tout le monde avait quand même noté, depuis longtemps, la ressemblance entre Douglas Dartwood et Gilles Ghez, ce dernier ne l’avait jamais officialisée. Or là, il lève vraiment le voile en l’intitulant « Tu es moi », à lire également au sens de meurtre dans une version lacanienne évidente. À force de se représenter avec de plus en plus de ressemblances, de se confondre, Ghez a franchi le pas. Le sous-titre est d’ailleurs encore plus explicite « Autoportraits d’une vie ».
Des boîtes pleines de sens
Les quelque trente-cinq œuvres ici réunies, qui pour la plupart étaient présentées dans une importante exposition à la Villa Tamaris de La Seyne-sur-Mer en avril et mai derniers, ne constituent cependant pas une révolution et s’inscrivent parfaitement dans le travail de l’artiste. On retrouve donc Ghez-Dartwood dans toutes les boîtes, toujours embarqué dans d’invraisemblables aventures : ici en voyeur, observant Jupiter en train de se transformer en cygne devant Léda nue se rafraîchissant les pieds dans une cascade ; là déguisé en Vishnou à Bollywood ; ailleurs débarquant sur une île avec son bateau à la main qu’il va laisser tomber pour deux accortes sirènes ; ou encore reçu en grande pompe par la femme d’un maharadjah, etc. On découvre aussi des saynètes et des télescopages d’images surréalistes, comme ces clefs qui ont des visages pour rentrer dans les serrures (voyeur toujours) dans cette œuvre intitulée Loulou, l’ouvreuse rouge de la falaise des Amours. Car Ghez est aussi resté fidèle à ses titres à tiroirs, ses doubles sens, son humour, sa poésie endémiques et sur un autre plan à son bestiaire, tigres, dragons, singes qui s’en donnent à cœur joie.
Entre Indiana Jones, Kipling, Conrad, en passant par Swift et son Gulliver dans les rapports inversés d’échelle, les boîtes de Ghez témoignent encore une fois de cet étonnant mélange de travail de peinture (les références y sont nombreuses, notamment à Hokusai), de sculpture (il fabrique le moindre détail, en bois, en carton…), de collage, de décor théâtral, de bandes dessinées (auxquelles il ne manque que les bulles), de plans cinématographiques.
Comprise entre 3 000 euros pour les plus petites boîtes et 20 000 euros pour la plus grande (et entre 1 200 euros et 1 600 euros pour les aquarelles), sa cote est pour le moins raisonnable pour un artiste qui produit peu, le temps de réalisation de chaque œuvre étant très long.
Son marché est celui d’amateurs qui le découvrent ou le suivent depuis longtemps et ne revendent pas en ventes publiques.
Nombre d’œuvres : 30 boîtes et 5 aquarelles
Prix : entre 1 200 € et 20 000 €
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Les jeux de miroirs de Gilles Ghez
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Les jeux de miroirs de Gilles Ghez