Cet héritier de l’abstraction américaine investit les murs de la galerie Xippas de ses motifs et compositions géométriques et redessine l’espace dans un parcours labyrinthique.
Paris. Derrière les grilles de la fausse froideur de sa géométrie, Peter Halley est un artiste plein d’humour et de facétie. Il en donne une nouvelle fois la preuve avec « Au-dessous/Au-dessus », cette deuxième exposition parisienne chez Renos Xippas, qui travaille par ailleurs avec lui depuis trente ans et l’a exposé à Athènes, Genève, Montevideo.
Ici, Peter Halley a en effet investi les deux entrées de la galerie, l’une vers le premier étage et l’autre vers le sous-sol, en transformant la première en tombeau égyptien et la seconde en boîte de nuit, ce qui est à peu près la même chose, au sens strict des termes. En s’inspirant, comme une évidence ironique du tombeau de Néfertari, il a ainsi tapissé tous les murs et plafonds du long couloir qui mène aux salles du haut, d’un papier adhésif spécialement imprimé de façon numérique pour l’occasion. Celui-ci reprend l’organisation à la verticale des hiéroglyphes pour aligner les petits dessins à la géométrie souple, que Peter Halley (né en 1953 à New York) dessinait dans ses carnets tout au long des années 1980 et qu’il a ici scannés et réorganisés.
On retrouve dans la grande salle du haut ce principe du papier encollé aux murs, mais cette fois dans une version douce à la couleur plus pastel (mauve lavande) et surtout comme support à la présence de quatre grands tableaux en rupture avec ce fond puisqu’ils sont, eux, flashy et fluo. À l’aspect lisse du mur, ils opposent en plus leurs surfaces en crépi peintes avec du Roll-A-tex, un agent de texture épaississant, qui peuvent rappeler des façades de la Nouvelle-Orléans où Peter Halley vécut un temps dans les années 1970. Si ces toiles semblent à première vue différentes les unes des autres, elles ont pourtant bien la même composition mais qui, tournée chaque fois à 90 degrés, engendre leur déclinaison, directement inspirée des principes du slapstick, cette forme de comique de geste caractéristique du cinéma burlesque américain. Un immense mur, donc, comme une constellation de gommettes, sur lequel on retrouve surtout la géométrie apparemment rigoureuse et en même temps ludique de Halley qui, devant ses compositions, rappelle avec un air malicieux : « Je fais un carré, je mets des barres dessus, ça fait une fenêtre de prison ». Ce qui pour lui n’a rien d’innocent, puisqu’il s’est toujours beaucoup intéressé à la ville, à l’architecture, notamment carcérale (sur laquelle il a lui-même écrit), à l’idée de cellules et à une réflexion sur la géométrisation de l’espace social, inspirée par Michel Foucault et son Surveiller et punir. On peut aussi voir dans ces compositions l’image des circuits électriques imprimés, des diagrammes, en somme des références qui injectent là encore du réel dans la géométrie. « Mon travail a toujours été une sorte de critique ou de remise en question de cette forme d’art, qu’est l’art géométrique », indique l’artiste, capable de faire sourire un carré.
Le principe du papier encollé avec motifs se poursuit dans l’escalier qui conduit au sous-sol (ouvert pour la première fois au public), mais dans une tonalité bleu fluo typique des discothèques. Et dans une grande salle très enveloppante, c’est sur des carrés et rectangles remplis de textes écrits par Jill Gasparina (la commissaire de l’expo), en vert sur fond noir, et liés aux questions développées par l’artiste depuis les années 1980, que sont accrochés trois grands tableaux en référence au néoplasticisme de Piet Mondrian ou Théo van Doesburg. On l’aura compris, l’installation de Peter Halley, totalement immersive, met en abîme et développe à l’échelle de la galerie entière, les formes et structures mêmes, cellules et conduits, constitutives de ses tableaux. Elle rappelle aussi la magistrale façon dont il investit un espace, questionne l’architecture, et réfléchit aux notions de circulation et de labyrinthe.
Situés autour de 120 000 euros, les prix ne semblent pas excessifs en regard de ceux qui peuvent atteindre le million de dollars en ventes publiques. « Mais à ces prix-là, il s’agit de tableaux historiques des années 1980 », précise Renos Xippas. Une époque où Pater Halley était sans doute plus « starifié »qu’aujourd’hui.
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Les gommettes de Halley
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Les gommettes de Halley