Fiscalité - Galerie

Marion Papillon

Les galeries demandent que les œuvres restent taxées à un taux réduit

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 1046 mots

En remettant en question la TVA réduite appliquée aux œuvres des artistes vivants, l’application d’une directive européenne en 2022 a créé un mouvement de panique chez les galeristes, qui dénoncent une menace pour le marché de l’art.

Une directive européenne adoptée en avril 2022 inquiète le milieu de l’art, pourquoi ?

Cette directive menace de faire passer la taxe sur la valeur ajoutée pour l’achat des œuvres aux artistes et leur importation (depuis des pays extra-européens) à un taux de 20 % en 2025, contre 5,5 % aujourd’hui. En fait, il s’agit de l’aboutissement au niveau européen de six années de discussions sur la TVA à taux réduit, avec pour objectif que chaque pays examine la liste des items (une trentaine) qui pouvaient jusqu’à présent en bénéficier et en choisisse vingt-quatre. L’Europe cherche en effet à diminuer le nombre et les différences de taux d’un pays à l’autre (en France, la TVA sur le sel est ainsi de 2,1 %, mais de 5 % sur les livres, etc.). En transposant cette directive européenne, qui donne un cadre, dans la loi française, la France peut tout à fait décider de conserver une TVA à taux réduit sur les œuvres d’art.

Cette directive implique-t-il d’autres changements importants du régime de la TVA ?

Le vrai problème concerne le système de la TVA sur la marge appliquée à la circulation des biens culturels. Il permet aux marchands d’art d’appliquer le taux de TVA de 20 % uniquement sur la marge bénéficiaire. Je prends souvent l’exemple d’un garagiste qui achète une voiture 10 000 euros et la revend 12 000 euros. Ce garagiste va appliquer, comme il en a le droit, la TVA sur les 2 000 euros de différence entre le prix d’achat et le prix de vente. Car s’il l’appliquait sur le montant total de la transaction, il ne ferait aucun bénéfice.

À quel moment s’applique le taux de TVA à 5,5 % sur une œuvre d’art ?

Le taux de 5,5 % s’applique à l’œuvre d’art que l’on achète à un artiste ou que l’on importe. Or, la directive stipule que si l’on applique le système de la marge, le produit initial ne peut pas bénéficier d’une TVA à taux réduit. Si on veut conserver le système de la marge, les artistes devront appliquer une TVA de 20 % sur leurs œuvres. Un marchand qui achète à un artiste va donc payer cette TVA de 20 % et la répercuter sur son prix de vente. Cela revient à une augmentation de prix de 15 %. Ce qui valait 10 000 euros va d’un coup en valoir 11 500 euros.

Cela aurait-il un impact très négatif sur le marché de l’art en France ?

Oui, car un particulier ou une institution qui ne peuvent pas déduire la TVA à l’achat auraient alors tout intérêt à acheter de préférence à l’étranger, dans un pays où la TVA serait moins importante.

La galeriste Nathalie Obadia a évoqué dans la presse « une catastrophe pour le marché français, qui assécherait sa création et tout le système économique qui en dépend, alors que la France est en train de retrouver son dynamisme ».

En effet, jusqu’à présent, la France avait la TVA la plus faible d’Europe et un marché de l’art très développé avec des foires importantes et un excellent réseau de galeries. Sa situation était donc bien meilleure que celle de ses voisins et concurrents, notamment depuis le Brexit. Selon une étude d’Arts Economics, la part de la France dans le marché de l’art européen est de 50 %, quand elle n’est que de 14 % pour l’Allemagne. Très clairement, si la France perd son avantage sur le taux de TVA, elle perdra en compétitivité.

Cependant tout n’est pas encore joué…

L’Europe impose que cette directive soit mise en place avant le 1er janvier 2025. Le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) a souhaité entamer une discussion dès 2023 avec le ministère dans la perspective du projet de loi de finances 2024. Un groupe de travail sur la TVA du marché de l’art se met en place sous la direction de Bertrand Dumont, directeur de cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et d’Emmanuel Marcovitch, directeur de cabinet de Rima Abdul-Malak, la ministre de la Culture. Ensuite, il y aura une étape parlementaire : à l’automne, ce projet de loi de finances sera débattu à l’Assemblée et au Sénat.

Que demandent exactement les galeristes dans le cadre de ce projet de loi de finances ?

Plusieurs choses. La première, que les œuvres d’art restent taxées à un taux réduit : c’est important pour les importations, et bien évidemment pour les artistes qui vivent et travaillent en France. Ensuite, nous demandons, si nous devons renoncer au système de taxation sur la marge, à ce que la TVA à 5,5 % soit appliquée à l’ensemble des transactions marchandes d’une œuvre.

Votre but est aussi, dites-vous, de protéger les artistes en début de carrière.

Les artistes qui commencent à vivre de leur travail doivent atteindre un certain volume de chiffre d’affaires pour être assujettis à la TVA. À partir de ce seuil, ils payent 5,5 % de taxes. S’ils devaient d’un coup augmenter les prix de leurs œuvres pour pouvoir régler une TVA à 20 %, cela rendrait celles-ci trop chères par rapport à leur cote. Ils seraient donc au contraire contraints de diminuer leurs prix – et par conséquent leurs revenus – pour être en mesure de payer cette taxe élevée.

Appliquer une TVA à 5,5 % sur toutes les transactions d’œuvres d’art peut aussi apparaître comme une concession généreuse accordée aux marchands.

Aux yeux du grand public, cela risque en effet de laisser penser que nous essayons d’échapper à la taxation. Or, si on considère que la marge moyenne des marchands est environ de 30 %, taxer comme aujourd’hui cette marge à 20 % équivaut à peu près à taxer l’intégralité de la transaction à un taux de 5,5 %.

Il faut que tout change pour que rien ne change ?

Bercy a compris très tôt que cette directive pourrait avoir un effet néfaste sur le marché de l’art français. Ils nous ont donc fait cette proposition de taxer à 5,5 % sur l’ensemble de la chaîne. Reste à étudier cette solution afin de s’assurer qu’elle n’aura pas non plus un impact négatif sur les finances publiques et d’en convaincre le Parlement.

Galeriste (Galerie Claudine et Marion Papillon), Marion Papillon est présidente du Comité professionnel des galeries d’art.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Les galeries demandent que les œuvres restent taxées à un taux réduit

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