Georges-Philippe et Nathalie Vallois ont réuni onze sculptures réalisées à une période clef de sa carrière.
PARIS - L’exposition consacrée par la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois à Jean Tinguely est formidable pour deux raisons. La première est liée à la qualité, l’ingéniosité et la poésie de cet ensemble de onze œuvres réparties en deux groupes : neuf reliefs muraux de la série des « Méta-Reliefs » et deux machines-sculptures issues des « Meta-Matics », toutes datées entre 1955 et 1961.
1955 : une date clef pour Tinguely (1925-1991), puisque c’est l’année où il s’installe à Paris, où il réalise ses premiers travaux importants, où il présente son premier relief au Salon des Réalités nouvelles et où il est exposé aux côtés d’Agam, Bury, Calder, Duchamp, Jacobsen, Soto et Vasarely dans l’exposition « Le Mouvement » organisée par Denise René (lire p. 27). Soit un démarrage en fanfare, pour un artiste qui a toujours accordé une place au son et cherché à introduire le mouvement dans la sculpture.
1955 est aussi l’année de création de Bleu-Blanc-Noir, un petit tableau (44 cm x 44 cm) qui, sur fond bleu, présente en relief des figures géométriques en noir et blanc. Surtout, grâce à un petit mécanisme caché derrière le tableau, elles tournent sur elles-mêmes à des vitesses – plutôt à des lenteurs – différentes, pour créer des rythmes, des séquences. Magique et hypnotique. Dans le même registre, les huit autres œuvres de la série peuvent complexifier l’agencement de ces figures découpées, assouplir leurs contours en leur donnant un air d’Arp, chorégraphier avec délicatesse des jeux d’ombre. La preuve qu’avec un minimum de moyens et des mécanismes très simples, un petit moteur, des courroies, des poulies, bien loin des technologies sophistiquées, on peut créer des moments de grâce. Et faire bouger un Miró.
C’est également à l’aide de matériaux de récupération, ceux que Tinguely trouve dans des décharges, que sont composés les deux « Méta-Reliefs », aussi appelés « Peintures cinétiques » chez Denise René lorsqu’elle les exposa en 1956, ou encore « Tableaux-Méta-Mécaniques ». Les deux œuvres, de taille différente, ici présentées sont des machines à dessiner de l’art abstrait. Composées d’un nombre invraisemblable d’éléments, roues de machine à coudre ou de vélo, cantines, tiges variées et structures métalliques rouillées, elles présentent une hallucinante complexité. Et pourtant elles marchent, avec humilité. Lorsqu’on tourne la manivelle de la plus grande, un bout de ferraille en entraîne un autre, qui lui-même fait tourner une roue, qui elle-même déclenche un mécanisme et ainsi de suite jusqu’à ce feutre rouge qui dessine par vibration des petits gribouillages sur la feuille d’un rouleau de papier. L’œuvre hoquette, bringuebale, tremble de toute sa carcasse, troublante, touchante, fascinante. La seconde machine-sculpture, plus petite, est portable : Tinguely la trimballait avec ses assistants sur les terrasses des bistrots pour y vendre les petits croquis tachistes qu’elle produisait. Une œuvre exceptionnelle, d’autant plus que Tinguely n’en a réalisé qu’une vingtaine.
La rareté
La seconde raison qui fait de cette exposition un événement est justement la grande rareté des pièces ici ressorties. Elles ont en effet été achetées très tôt par des collectionneurs qui ne les ont pas revendues depuis, ou ont été acquises par les plus grands musées du monde, à l’instigation d’un Pontus Hulten par exemple qui en fera entrer dans les collections du Moderna Museet à Stockholm ou du Musée national d’art moderne à Paris. L’une d’elles vient du Guggenheim Museum de New York, qui la présentait cet été dans son exposition consacrée, à partir des œuvres de sa collection, aux avant-gardes européennes et américaines de 1949 à 1960. La plupart de ces œuvres n’ont pas été vues en galerie depuis plus de cinquante ans, depuis les deux expositions proposées par Denise René en 1956 et 1959. Un bail. Une œuvre belle est rare. Une œuvre rare est chère. Donc une œuvre belle et rare est encore plus chère. C’est sans doute ce qui explique que celles que la galerie a réussi à rassembler, en provenance de collections privées et de la succession de l’artiste, atteignent un certain prix : de 280 000 euros à plus d’1 million d’euros. Il faut toutefois se rappeler que chez Sotheby’s à Londres en juillet 2008 un « Méta-Matic » a atteint le sommet de 2 millions de dollars (1,5 million d’euros). Un record. Mais cette œuvre-là était motorisée.
Jusqu’au 17 novembre, Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 34 61 07, www.galerie-vallois.com, lundi-samedi, 10h30-13h, 14h-19h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les folles machines de Tinguely
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Nombre d’œuvres : 11
- Prix : de 280 000 € à plus d’1 million d’€
Voir la fiche de l'exposition : Jean Tinguely
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Les folles machines de Tinguely