Les effets personnels des célébrités s’envolent aux enchères. Mais ce phénomène qui n’obéit pas aux règles du marché de l’art se développe difficilement en France.
Le 26 septembre dernier, Sotheby’s dispersait à Londres les biens de Vivien Leigh pour 2,4 millions d’euros, cédant l’intégralité des 320 lots. Le lendemain, le succès était au rendez-vous chez Christie’s pour les effets d’Audrey Hepburn, partis pour 6,2 millions d’euros. Dans les deux cas, les prix sont allés au-delà des espérances, y compris pour une kyrielle de petits objets sans valeur vénale : plus de 8 000 euros pour une perruque de la star d’Autant en emporte le vent ; 33 000 euros pour un agenda de la vedette de Breakfast at Tiffany’s. Ces vacations fleuves illustrent le formidable succès des ventes aux enchères de memorabilia, ces souvenirs liés à des personnalités, que le public acquiert pour leur valeur sentimentale. « Des prix ahurissants sont constatés sur des objets memorabilia », confirme Stéphane Aubert, commissaire-priseur chez Artcurial. Et les sommes continuent de monter. Le record pour un objet memorabilia, détenu depuis novembre 2016 par la robe de Marilyn Monroe, vient de franchir une nouvelle étape le 21 novembre dernier chez Bonhams New York. Robby le robot, personnage phare du film de science-fiction américain La planète interdite, atteignait alors 4,5 millions d’euros.
D’étonnantes reliques
Comment expliquer de telles envolées ? « Le phénomène est lié à un rapport fusionnel entre un enfant qui a grandi et une icône. En achetant ces reliques, on perpétue le sentiment religieux », répond Christophe Fumeux, expert des vacations consacrées à la chanson française et internationale pour la maison Coutau-Bégarie. « Les acheteurs viennent s’approprier un morceau d’histoire, observe Stéphane Aubert, ce phénomène est à mettre en parallèle avec l’importance croissante que prend la provenance dans le marché de l’art. » Dans une étude réalisée cette année sur quinze ventes de célébrités (d’avril 2016 à mars 2017), de la collection Givenchy à celle de Claude Berri, le Conseil des ventes volontaires confirmait un « effet célébrité ». Outre les prix, l’organisme observait un taux de ventes exceptionnel : en moyenne 9 % de lots laissés sur le carreau, contre 34,6 % habituellement pour les dix premières OVV du secteur art et objets de collection. Pour obtenir des reliques de leurs idoles, certains acheteurs n’ont guère de limites, dépassant le fétichisme pour tomber dans le mauvais goût - que dire de la vente d’un ongle de Lady Gaga pour 10 000 euros en 2012 ? En 2006, le calcul rénal de William Shatner, vedette de Star Trek, était ainsi acheté 21 000 euros chez Julien’s Auction, qui écoulait dix ans plus tard les cendres de Truman Capote pour 36 800 euros.
Un phénomène venu des États-Unis
Le coup d’envoi du marché a lieu en 1970 aux États-Unis alors que le nouveau président de la Metro Goldwyn Mayer décide, dans le cadre d’un vaste plan d’économie, de passer sous le marteau des centaines d’objets issus de ses films, dont 350 000 costumes. Le pays concentre depuis l’essentiel du marché. Particularité locale, l’un des secteurs les plus actifs est celui du sport, où amateurs se disputent coupes, autographes, maillots, battes de base ball. D’après le site Sports Memorabilia, les États-Unis concentreraient plus de 90 % des enchères sportives. Les maisons de ventes régnant sur le secteur ne sont pas celles du domaine artistique. Sotheby’s et Christie’s offrent ponctuellement des effets personnels de personnalités, mais uniquement dans le cadre de collections. Bonhams est la seule maison internationale à avoir constitué un département spécifique, lequel organise depuis 2000 quatre ventes par an, en partenariat avec Turner Classic Movies. Parallèlement, une myriade de structures spécialisées ont fleuri : côté sport SCP Auctions, Hunt Auctions, Pristine Auction, côté pop culture Julien’s Auctions, basée à Los Angeles, leader de son secteur, ou encore RR Auction.
Mais en France, le marché reste très étroit. Plusieurs acteurs de Drouot organisent ponctuellement des ventes, ainsi de Millon, à l’initiative de la vente Philippe Bouvard fin 2016, ou de Digard Auction qui a dispersé les effets de Simone Signoret et Yves Montand en juin dernier. De son côté, Coutau-Bégarie a formalisé un département et disperse depuis 2013 des vacations autour des stars de la chanson française et internationale. Pourquoi ce fossé entre la France et les États-Unis ? La renommée des artistes, souvent nationale d’un côté, et internationale de l’autre, n’explique pas tout. Pour Marielle Digard, « l’explication est plus profonde. Les Américains partagent beaucoup plus leur vie privée, le public est au courant de tout. Cela se traduit dans les ventes. » Alexandre Millon avance un autre facteur : « Le culte des stars est plus développé, de même que la faculté à fédérer des communautés. »
Dans un pays comme dans l’autre, la valeur intrinsèque des objets n’est aucunement en lien avec les prix réalisés. Lorsque Millon organisait la vente de Locatema, loueur de mobilier et objets de décoration pour le cinéma, des fans achetaient la cuisine du film Léon pour 5 460 euros (est. 50-100 euros). Même scénario pour les amateurs d’Yves Saint-Laurent qui ont acquis le salon du film de Jalil Lespert pour 2 340 euros (est. 40-60 euros). « C’était de la pure création de richesse, au sens capitalistique du terme. Globalement, les prix ont été dans un rapport de 1 à 5 par rapport à une provenance lambda. D’autant que 98 % des objets n’étaient rattachables à aucun film en particulier », s’étonne encore Alexandre Millon. Aussi ce caractère irrationnel rend-il difficile l’estimation de tels objets. « Nous prenons le parti d’expertiser ces objets à leur valeur vénale. Il est très difficile de se projeter sur les sommes qui vont être réalisées aux enchères », explique Maître Digard.
Les prix atteints au marteau ne sont pas forcément calqués sur le succès connu par les artistes. « Malgré leur réussite, certains chanteurs ne sont pas du tout collectionnés. Les enchères sont liées à une alchimie entre l’aura, la carrière, et surtout le désir que suscitent les personnages », explique Christophe Fumeux. Quelles sont alors les pièces les plus demandées ? Pas toujours les effets les plus personnels. « Un vêtement de ville a moins de valeur qu’un costume de scène. Lunettes de Polnareff, blouson de Johnny, chaussures de Gainsbourg : plus la pièce est emblématique, plus on la reconnaît au premier coup d’œil, plus elle aura de succès », analyse l’expert.
Parallèlement aux maisons de ventes, le marché s’est développé sur Internet, du généraliste eBay, aux sites spécialisés. Le rapport Hiscox sur le marché de l’art en ligne 2017 révélait ainsi que 48 % du panel d’acheteurs en ligne interrogés avaient acquis un objet memorabilia l’année précédente, deuxième occurrence derrière les montres, mais devant les beaux-arts (35 %) ou les arts décoratifs (37 %). Un concurrent de taille ? « Dans ce secteur, les faux prolifèrent, certains passent des centaines d’heures à fabriquer des costumes. Pour les maisons de ventes qui engagent leur responsabilité, c’est un bel argument contre Internet ,» se défend Christophe Fumeux. Autre particularité, les acheteurs n’ont pas un profil similaire à ceux des ventes d’art. Outre la présence accrue de néophytes, « la proportion de professionnels et de particuliers est inversée » constate Alexandre Millon, poursuivant ainsi : « Ce type de ventes est une façon pour de nouveaux venus de percer le grand mystère des enchères. Et pour nous, cela peut être une façon de fidéliser des acheteurs par la suite. » Autre atout de ces ventes, celui d’assurer aux maisons une couverture médiatique importante. Qui mieux que Marilyn Monroe ou Yves Montand comme ambassadeur ?
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Les effets de stars font recette
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°492 du 4 janvier 2018, avec le titre suivant : Les effets de stars font recette