La crise nous a familiarisé avec un leitmotiv : les bons objets continuent à faire de bons prix, tandis que ceux de moindre qualité restent invendus. Il demeure plus vrai que jamais.
PARIS - L’arrivée à Paris de Me Francis Lombrail – qui devait, fin juin, prêter enfin serment à la Chancellerie comme commissaire-priseur – a provoqué tant de commentaires chez certains de ses confrères sur de mystérieuses "pratiques d’Enghien", que l’intéressé semble prendre un malin plaisir à frapper de grands coups. Le dernier s’est joué, le 8 juin, lors de sa deuxième vente de la saison – en association avec son partenaire Me Christian de Quay – d’Art nouveau et d’Art déco.
Les belles pièces de mobilier des années vingt et trente étant rares sur le marché, et la demande pour ce genre de marchandise forte malgré la récession, la vente, à Drouot-Montaigne, avait toutes chances de réussir. Le contenu de la vacation, fort disparate, allait de quelques petites huiles de Paul Jouve et de gouaches d’Erté à du très beau mobilier de Pierre Chareau. Le résultat a fidèlement rejoué le scénario du beau et du moins beau : plus d’une centaine des 198 lots se sont vendus pour un total de plus de huit millions de francs, les pièces moins spectaculaires étant rachetées, et les objets de grande qualité attirant d’importantes enchères.
Une grande sculpture totémique en cuivre, de Jean Lambert-Rucki, pièce unique et non éditée, a été adjugée 460 000 francs, un peu plus que son estimation haute. Parmi six meubles, très impressionnants, de diverses provenances, de Pierre Chareau, seule une bibliothèque d’angle, estimée entre 250 000 et 300 000 francs, est restée invendue. Un grand canapé gainé de cuir, en palissandre, estimé entre 300 000 et 350 000 francs, a été adjugé 635 000 francs, un bureau plat en noyer estimé entre 800 000 et 1 million de francs a trouvé acquéreur à 1 050 000 francs.
Par ailleurs, nombreux sont les exemples d’objets rares et de bonne provenance qui ont suscité la concurrence chez les enchérisseurs et dépassé, souvent de loin, leurs estimations. Ainsi, le 27 mai, à Drouot-Richelieu, Mes Libert et Castor ont adjugé 580 000 francs (641 909 francs avec les frais), un vase de Tiffany & Co, considéré comme l’une des pièces les plus ambitieuses lors de l’Exposition universelle de Paris en 1880, mais qui avait été estimé modestement entre 60 000 et 80 000 francs. Me Claude Boisgirard a également obtenu de beaux prix avec la succession de Marcel Jean, l’ami des surréalistes, qu’il a mise aux enchères à Drouot le 20 mai. Le prix le plus important a été les 656 970 francs (avec les frais) payés pour la composition surréaliste d’Oscar Dominguez, Ouverture ou objet, Paris 1936, estimée seulement entre 120 000 et 150 000 francs. Autre objet convoité, un tarot de Marseille de soixante-dix-huit cartes de 1713, estimé 50 000 francs dans une vente de cartes à jouer chez Ader-Tajan, le 1er juin, s’est envolé à 137 000 francs.
Et les tableaux modernes, secteur particulièrement sensible ? Seuls 27 lots sur 108 ont trouvé preneur pour un total de 933 600 francs, le 2 juin à Drouot, dans la vente de Mes de Quay et Lombrail, qui contenait une majorité d’œuvres de maîtres mineurs et de qualité moyenne. La vente de tableaux XIXe siècle et modernes du 9 juin, par la même étude, en revanche, avec des œuvres plus sérieuses, a connu de meilleurs résultats : 37 lots sur 76 ont été vendus pour un total de 11 246 000 francs. Une huile sur papier marouflé de Géricault, Cheval du plâtrier, a été adjugée 235 000 francs, Monstre de Picabia, également huile sur papier, a trouvé acquéreur à 1,1 million de francs, les deux résultats étant conformes aux estimations des lots.
Résultats mitigés pour Me Guy Loudmer, lors de sa vacation "Importants tableaux et sculptures modernes" le 13 juin à Drouot : 37 lots ont été vendus sur 98, pour un produit de 16 886 000 francs, sans les frais. Tête d’homme, 1972, de Picasso, estimée entre 2,5 et 3 millions de francs, a été adjugée seulement 1,7 million de francs. La Rochelle, le phare, une huile de Signac, a été vendue 1 490 000 francs, conformément à son estimation, et Deauville, la plage privée de Van Dongen a été emportée à 1 090 000 francs, le double de son estimation basse.
Succès honorable pour Maître Rémi Le Fur, qui le 8 juin a mis en vente, à Drouot, cent douze dessins ayant appartenu à l’acteur américain Vincent Price – une collection que la fille du comédien lui a confié, plutôt qu’à Christie’s. La vacation n’a connu que vingt-cinq rachats, mais de nombreux lots se sont vendus en-dessous de leurs estimations. Parmi les adjudications importantes, Nu féminin et Arlequin vers 1918, de Picasso, un dessin au crayon noir, acquis pour 284 687 francs, L’Église de Heiligenhafen de Feininger, à 110 589 francs, un dessin à l’encre brune de la Vierge, de Baroche, acheté 54 748 francs, Les Deux accordéonistes, de Max Beckmann, un dessin au crayon noir et à la plume, qui a trouvé preneur pour 61 317 francs, et une feuille d’études de chevaux et cavaliers, à l’encre brune, de Delacroix achetée 60 222 francs.
Rémi Ader a remporté un joli succès avec une petite vente de bonne qualité, l’une des premières depuis qu’il s’est séparé de son frère Me Antoine Ader et de Me Jacques Tajan. Sur 200 lots de porcelaines d’Extrême-Orient, de faïences du XVIIIe siècle et de cadres anciens, offerts à Drouot le 6 juin, 131 ont été vendus, pour un produit total de 814 700 francs. Une assiette en faïence de Meillonas, estimée entre 10 000 et 15 000 francs, a été adjugée 60 000 francs, une saupoudreuse et couvercle en faïence de Rouen estimée entre 60 000 et 80 000 francs, 70 000 francs.
La cinquième vente consacrée par Me Jean-Louis Picard à la bibliothèque de Henri M. Petiet, le 8 juin, a totalisé 2 977 600 francs, soit un pourcentage de vendus de 92,06 %. Un record mondial a été établi pour une édition des œuvres complètes du poète anglais du XIVe siècle, Geoffrey Chaucer, illustrée par Burne-Jones et publiée par William Morris en 1896, adjugée 320 000 francs. D’autres ventes de la même bibliothèque sont en préparation.
Tintin gagne
Seulement la moitié des deux cents lots de la vente (étude Chayette Calmels) des collections de haute couture de Paco Rabanne a été vendue, le 6 juin, pour un produit plus que modeste de 500 000 francs. L’enchère la plus importante a été de 70 000 francs, pour une robe à bretelles en cotte de mailles de 1970. Les musées ont fait des emplettes. Le Musée de la mode et du costume de Marseille, la Société des amis du Musée Galliéra et le Musée de la dentelle de Calais ont tous acheté des lots.
L’increvable Tintin a encore gagné. Le 4 juin, à Drouot, une vente consacrée au plus célèbre des journalistes belges, dirigée par Me Claude Boisgirard, a totalisé presque 1 200 000 francs, 22 seulement des 275 lots étant ravalés. Un record mondial pour une œuvre d’Hergé, 558 425 francs avec les frais, a été atteint par un dessin original pour la couverture de l’album L’Île noire de 1938, acquis par la Fondation Hergé en Belgique.
La popularité de l’école de Barbizon se maintient. Le 29 mai, lors de la vente organisée par Mes Yves et François Péron à Barbizon même, le Musée municipal de Melun a acquis pour 38 323 francs une huile de Joseph Bail, Le Déjeuner, représentant une femme seule attablée. Un acheteur japonais a payé 40 513 francs un portrait photographique daté 1868 de Jean-François Millet par Nadar. 143 lots sur 194 ont été vendus pour un produit total d’environ 3,8 millions de francs.
La vente d’objets d’art d’Orient du 27 mai, dirigée par Me Boisgirard, d’une très bonne qualité, a rappelé que Drouot sait, aussi, attirer des étrangers. La vedette de la vacation était une mosaïque byzantine, très rare, du XIIe siècle, représentant un saint Jean-Baptiste admirablement hirsute, auréolé d’un nimbe d’or, adjugé 640 000 francs (708 313 francs avec les frais), soit plus du double de son estimation. Une miniature moghole de la fin du XVIIe siècle, représentant l’empereur Jahangir, a été adjugée 145 000 francs, conformément à son estimation. Un rhyton en terre rouge, de 1000 avant Jésus-Christ, estimé entre 70 000 et 90 000 francs, est parti pour 130 000 francs, et un casque sikh, en cuivre doré et gravé de Lahore, du XVIIIe siècle, a été acheté 42 000 francs, légèrement au-dessus de son estimation, par un musée français – tous les autre lots cités ayant été acquis par des collectionneurs étrangers.
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Les bons objets font les bons prix
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Les bons objets font les bons prix