Devenue familière grâce aux nombreuses manchettes dédiées aux enseignes de Drouot, Christie’s ou Sotheby’s, la notion de vente publique reste toutefois cantonnée aux maisons médiatiques et aux ventes volontaires. En marge de ces lieux consacrés, le Crédit municipal de Paris, familièrement appelé “Ma tante”?, et les Domaines se construisent leur identité.
PARIS - Le Crédit municipal de Paris est un établissement public communal de crédit et d’aide sociale dont l’histoire est vieille de près de deux cent cinquante ans. Les monts-de-piété [établissements où est mis en œuvre un “crédit de pitié”] sont nés en Italie au XVe siècle pour combattre l’usure, fléau de l’époque. Il s’est développé dans tout le monde latin, les établissements s’adossant tantôt à des collectivités publiques comme en France, tantôt à des caisses d’épargne comme en Espagne. Le Crédit municipal de Paris, placé sous la responsabilité de la Ville depuis 1992, compte plus de 100 000 clients pour un prêt moyen de 600 euros. Les prêts varient de 30 euros à plus de 150 000 euros, le plus important enregistré étant de 533 000 euros. C’est à ce prix qu’un collectionneur d’œuvres d’art souhaitant mettre fin à un prêt hypothécaire a engagé une toile d’un maître impressionniste. Pour rénover un appartement de standing, une cliente a aussi obtenu un prêt de 274 000 euros pour un dessin cubiste. En 1988, le Crédit municipal connaît son prêt le plus légendaire, celui de 8 millions de francs (1,2 million d’euros) pour six lots prestigieux de bijoux laissés par l’homme d’affaires Roberto Polo. Ce prêt n’ayant pas été remboursé, il a donné lieu à une vente qui a généré 20 millions de francs (3,04 millions d’euros). 80 % des prêts concernent des bijoux, le reste relevant de l’argenterie, de petites toiles de maîtres, de fourrures… L’estimation des objets est faite par des clercs de commissaires-priseurs, le service de prêt sur gage prêtant entre 50 % et 70 % de la prisée. Les experts interviennent pour les bijoux de qualité et les objets d’autre nature. “Lorsque nous sommes arrivés, nous avons cherché à réorganiser l’endroit, à le sortir de l’oubli”, rappelle l’expert en bijoux Jean-Norbert Salit, qui a officié dans l’établissement de 1988 à 1999. “Pendant longtemps, il n’y avait pas eu d’expert au Crédit municipal. Pour éviter les erreurs techniques ou celles d’appréciation, on a fait appel à nous. Le chiffre d’affaires de l’époque se faisait alors pour 75 % sur l’or pour des bijoux de qualité moyenne”, poursuit-il.
Huit cents clients par semaine
Christian Vion, qui a repris le flambeau en qualité d’expert, définit ainsi ses fonctions : “J’ai trois missions : monter les ventes cataloguées, vérifier le travail des assesseurs pour deux ventes courantes hebdomadaires et faire des estimations sur des pièces importantes supérieures à
15 000 euros.” Sur la centaine de ventes organisées annuellement, une petite dizaine seulement est l’occasion de la publication d’un catalogue. L’expert est rémunéré par un pourcentage d’environ 2 % sur l’adjudication au moment de la vente, et d’un pour cent de la valeur estimée si le client réclame une expertise écrite. Une faible portion des objets laissés en gage donne lieu à des ventes puisque plus de 90 % des emprunteurs récupèrent leurs biens dans un délai de deux à trois ans, durée moyenne pour un prêt. Le chiffre d’affaires des ventes s’est élevé en 2002 à 6,6 millions d’euros, le montant de l’encours des prêts étant de 47,8 millions d’euros. “Depuis quelques mois, les prêts augmentent de l’ordre de 7 à 8 %. Nous atteignons en ce moment une moyenne de 500 clients en semaine et 300 le samedi”, déclare le directeur des ventes, Jean-Christophe Erard.
Vocation sociale
Le Crédit municipal souffre d’un déficit de notoriété comme d’une image négative liée à l’activité de prêt sur gage. Il cherche à se donner un lustre nouveau, notamment par une campagne de publicité orchestrée en début d’année. Si à l’origine le prêt sur gage avait une vocation sociale d’aide aux plus démunis, le public s’est diversifié ces dernières années. “Beaucoup de gens viennent pour des rénovations d’appartement, des rappels d’ISF. Le point commun de tous ces gens, c’est le besoin d’obtenir de l’argent rapidement. Dans une banque, un prêt prend dans le meilleur des cas huit jours. Chez nous, on repart une heure après avec la somme. Les taux d’intérêt sont par ailleurs en dessous du taux d’usure publié par la Banque de France. Le taux est de 20 % pour un prêt jusqu’à 1 524 euros, 10 % au-delà”, souligne Jean-Christophe Erard. “Pour un tiers des gens, il s’agit du dernier recours. Il y a vraiment un aspect de service social. Ces dossiers sont à perte pour le Crédit municipal, car ils exigent la même manutention que des dossiers plus importants. Les deux autres tiers de clients ont des revenus fonciers intermittents. C’est une partie de la bourgeoisie qui doit faire des jonctions entre deux périodes où ils reçoivent de l’argent”, ajoute Jean-Norbert Salit.
La clientèle des acheteurs, à l’exception des professionnels, reste distincte des autres maisons de ventes. “La clientèle du Crédit municipal est spécifique. Si à Drouot vous avez 70 % de professionnels, au Crédit, vous comptez plus de 60 % de particuliers. La marchandise est fraîche. Il n’y a pas de vente ‘montée’ comme on peut le constater ailleurs. Les adjudications au Crédit municipal sont supérieures de 20 % par rapport à celles de Drouot. On paye le prix de la fraîcheur”, explique Christian Vion.
Une prisée aujourd’hui de qualité
Un rapport de la chambre régionale des comptes de l’Île-de-France, publié en mars 2002 pour les exercices 1995 à 2000, avait épinglé un certain nombre de dysfonctionnements, notamment des exemples de gabegie, aujourd’hui assainis. Ce rapport critiquait en tout premier lieu l’exercice du dernier directeur de cette période, Guy Legris. Ce proche de Jean Tibéri avait été nommé par l’ancien maire à la tête de l’établissement de crédit parisien malgré l’opposition de la commission bancaire. En effet, Guy Legris était un ancien commissaire divisionnaire sans expérience de l’univers bancaire. Il avait toutefois été maintenu pendant deux ans dans ses fonctions jusqu’au changement de majorité de la municipalité parisienne. La nouvelle équipe municipale s’est attachée à pallier le népotisme ambiant. Le nouveau directeur, Luc Matray, issu de la Banque de France, correspond davantage au profil recherché.
Le rapport de la Cour des comptes critiquait aussi certaines pratiques au niveau de la prisée. Les six commissaires-priseurs garantissent normalement le Crédit municipal sur le montant du prêt, plus douze mois d’intérêts. Ils perçoivent 5,8 % d’honoraires, issus des 14,9 % TTC de frais payés par les acheteurs. Le rapport se montre circonspect quant à certaines habitudes : “Dans son rapport de 1998, la Cour des comptes avait déjà relevé que, afin de limiter les risques d’une mise en jeu de leur responsabilité, les commissaires-priseurs avaient tendance à sous-évaluer les biens engagés, de sorte que le produit des ventes excède en général les sommes prêtées d’après ces évaluations. […] La chambre relève toutefois que la caisse a accordé, dans la quasi-totalité des cas, une majoration du montant des prêts consentis sur la base de ces évaluations. À titre d’exemple, en mars 2000, neuf prêts sur dix ont bénéficié d’une telle majoration, à concurrence de 20 % en moyenne. Cette pratique, qui n’a été justifiée par aucune décision, peut avoir de lourdes conséquences dans la mesure où les commissaires-priseurs ne sauraient être tenus à la couverture des pertes résultant d’une telle majoration des prêts, le Crédit municipal s’exposant même à perdre entièrement le bénéficie de leur garantie si le montant du prêt excède l’évaluation du bien gagé.”
La qualité de la prisée semble s’être améliorée. “Depuis mon arrivée, j’ai mis sur pied un tableau de bord permettant de vérifier le rapport entre la prisée et le résultat obtenu. En 2001, on a pu constater 10 % de marge d’erreur en faveur du Crédit municipal. En 2002, il y a eu 4 % de marge d’erreur en faveur des emprunteurs. L’un dans l’autre, cela montre que la prisée est de qualité, défend Jean-Christophe Erard. Le Crédit municipal n’a globalement pas de pertes pour les ventes. Ainsi, en 2002, déduction faite de la perte de 140 000 euros sur les prêts, nos recettes se sont élevées à 1,35 million d’euros. On voit bien que la perte reste minime et ne risque pas de plomber nos comptes.” Les ventes sont aussi suspectées de favoriser certains professionnels par le biais de coups de marteaux hâtifs. “Je me porte en faux contre le favoritisme. Les commissaires-priseurs sentent bien quand les ventes s’arrêtent. Le côté ‘tout est à vendre’ du Crédit stimule la vente, car il n’y a pas le fantôme du prix de réserve”, soutient Jean-Norbert Salit.
Ventes des Domaines
Les ventes des Domaines (directions d’Interventions domaniales) constituent un autre volet de ces vacations peu médiatiques. Le service des Domaines dépend du ministère des Finances, plus précisément de la direction générale des Impôts. Sa vocation est de vendre des biens réformés dont l’État n’a plus usage et de redistribuer la valeur obtenue à l’administration à l’origine de la vente. Au rang des biens susceptibles d’être dispersés par les Domaines figurent aussi les épaves maritimes, des pièces à conviction non réclamées dans les affaires jugées, les biens confisqués, par exemple des voitures ayant servi pour le convoi de drogues, les voitures non récupérées en fourrière après quarante-cinq jours, les objets trouvés un an et un jour après leur dépôt au service des objets trouvés… L’ensemble va du parapluie revendu par les services d’objets trouvés de la RATP au porte-avions Clemenceau, prochainement dispersé, en passant par les cheminées du Louvre et les collections d’armes anciennes provenant des réserves du Musée national de Tulle. On peut aussi glaner au hasard des ventes une affiche lithographique de Toulouse-Lautrec, adjugée 64 000 euros en 2001, des œuvres de Paul Désiré Trouillebert pour 15 000 euros, une pendule en bronze doré d’époque Restauration pour 3 700 euros en 2000. La vente la plus spectaculaire organisée dernièrement fut, en octobre 2000, celle des 25 lots d’arbres arrachés à la suite de la tempête de l’hiver 1999. Ces lots furent achetés par des professionnels du bois, des particuliers et des sculpteurs pour un total de 330 000 francs (50 308 euros). 80 % du chiffre d’affaires, de l’ordre de 46 millions d’euros en 2002, concerne néanmoins les automobiles d’occasion. Ce service est soumis depuis 2001 à une réforme dont l’objet est un regroupement géographique des dix commissariats de vente, censé conduire à un gain d’efficacité. À titre expérimental, les activités de l’ancien commissariat des ventes des Domaines de Lyon ont été privatisées, confiées jusqu’à fin 2003 à des commissaires-priseurs indépendants. “Nous sommes dans une ambiance de restriction budgétaire. La question se pose de voir si notre activité commerciale est en phase avec nos missions régaliennes. On garantit pourtant une transparence et une unicité que des privés ne peuvent défendre”, soutient Michel Pfister, directeur divisionnaire, responsable des Domaines.
Site internet du Crédit municipal de Paris : www.creditmunicipal.fr
Montant des adjudications: 2000 : 6,6 millions euros 2001 : 7,1 millions d’euros 2002 : 6,6 millions d’euros Revenu des ventes aux enchères pour le Crédit municipal 2000 : 1,97 million d’euros 2001 : 1,6 million d’euros 2002 : 1,3 million d’euros Nombre de nouveaux prêts sur gage : 2001 : 36 810 2002 : 39 266 Nombre de prêts en stock Fin 2001 : 78 521 Fin 2002 : 79 598 Valeur de l’encours : Fin 2001 : 44,8 millions d’euros Fin 2002 : 47,8 millions d’euros Revenu des prêts pour le Crédit municipal 2001 : 7 millions d’euros 2002 : 7,3 millions d’euros
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Les autres faces des ventes aux enchères
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°168 du 4 avril 2003, avec le titre suivant : Les autres faces des ventes aux enchères