La plupart des créateurs ont dû renoncer à leurs assistants. Réalistes, ils tendent vers une plus grande autonomie
PARIS - La récession qui a frappé toute la chaîne du marché de l’art n’a, bien évidemment, pas épargné les artistes. Certains en ont pourtant une vision romantique. Pour le Français Stéphane Pencréac’h, les crises constituent des moments de créativité intense. « Elles donnent un mandat de liberté, les artistes ne sont plus aux prises avec la courtisanerie, ils n’ont plus rien à perdre, et c’est à ce moment-là qu’ils sont les meilleurs, souligne-t-il. Lorsque vous n’avez plus les moyens de produire, vous devez revenir à l’idée. Et les plus grandes avancées formelles ne s’effectuent souvent qu’à un centimètre de ce qui a déjà été fait. Ce sont des idées qui ne nécessitent pas de grands moyens de production. »
Bien qu’on attende encore de voir la couleur de ce sursaut général de créativité, Kendell Geers partage aussi cette vision positiviste. « La crise a été une très bonne chose, un nettoyage intégral, déclare-t-il. L’art doit désormais être pertinent et précis et, comme les ventes n’entrent plus en jeu, l’œuvre d’art redevient une chose créée par amour et pour l’amour. » L’artiste sud-africain a été moins affecté que d’autres par la dépression grâce à son réseau très varié de galeries, comme Yvon Lambert (Paris), Continua (San Gimignano, Pékin) ou Rodolphe Janssen (Bruxelles). Néanmoins, ses acheteurs se rabattent sur des pièces plus collectors friendly de dimensions raisonnables.
Faisant comme si de rien n’était, d’autres tendent à minimiser l’impact du souffle sur leur activité. Le fonctionnement très entrepreneurial de Takashi Murakami laissait présager de sévères déconvenues. Celui-ci prétend toutefois que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Jusqu’en 2008, notre société a connu un boom impressionnant. 2009 a été plus calme certes, mais l’année est stable. Les choses sont revenues comme avant le boom, indique l’artiste nippon. On équilibre entre les dépenses et les recettes et j’ai toujours des gens qui achètent mes œuvres. » Malgré tout, comme Damien Hirst qui a licencié une partie de ses assistants, Murakami a revu l’organisation d’ensemble de sa société Kaikai Kiki, qui compte cent trente employés. « Dans la partie plus administrative, j’ai dû négocier des départs en février », admet-t-il.
« Faire moins avec moins »
Avec beaucoup de lucidité, les créateurs en phase ascendante évoquent les séquelles du chamboulement sur leur mental ou activité. « J’ai cherché un poste de professeur en me disant que ça rassurerait mon banquier », indique Mathieu Mercier. « [2009] était une année très difficile. J’étais dans une dynamique, dans la construction de mon atelier de 1 000 m2 à Eaubonne [Val-d’Oise]. J’ai vécu la crise de plein fouet alors que je n’y avais jamais pensé. En sortant de l’école tout avait été rapide, confie pour sa part le jeune Loris Gréaud. Dès le début de la crise, on a tout gelé pendant un an. Les productions ont été stoppées. Tout était compliqué, la moindre négociation, la moindre réunion devenaient laborieuses. » S’il a pu disposer jusqu’à sept assistants, il n’en a plus gardé qu’un seul. L’artiste constate toutefois une reprise depuis octobre. Trois expositions personnelles annulées au pic de la crise ont été reportées entre 2010 et 2011, et Gréaud, qui vient d’intégrer une prestigieuse galerie new-yorkaise, peut à nouveau recruter des aides.
Devenu l’artiste moyen-oriental le plus cher en 2008, l’Iranien Farhad Moshiri a, lui, connu une succession de méventes aux enchères. « Bien sûr, la première fois qu’il y a un invendu, vous êtes atterré. Vous vous rendez compte que tout cela est bien fragile et vous vous y préparez, explique-t-il. Depuis le premier jour, vous savez que le marché est une montagne russe qui doit trouver son équilibre. Je peux maintenant faire ce que je veux sans être pressé de le faire. » Moralité ? Les galeries de Moshiri peuvent désormais sélectionner les œuvres qu’elles souhaitent exposer, faire le tri – ce qui était impensable autrefois. « Avant, j’étais en avance sur les productions quand je savais que j’avais des expositions, ça tournait vite, rappelle Loris Gréaud. Maintenant je prends plus le temps, c’est moins la course. Je suis prêt pour la prochaine crise ! » Pour Mathieu Mercier, « il faudra faire moins avec moins. Je remets en place une autonomie complète, je m’organise pour moins déléguer, retrouver une pratique que j’avais il y a quelques années, tout maîtriser, tout faire moi-même. » Un credo que Tatiana Trouvé avait fait sien depuis longtemps.
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Les artistes pendant la crise
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Les artistes pendant la crise