La cote des peintures de la Renaissance dépend de leur iconographie et de leur état de conservation. Plus nombreux sur le marché, les dessins de cette période sont parmi les plus recherchés.
PARIS - Sur un marché de la peinture italienne de la Renaissance au gisement quasi épuisé depuis de nombreuses années, la découverte d’une œuvre majeure bien conservée relève presque du miracle. Son prix devient vite important. « Le marché de la peinture italienne de la Renaissance est un marché de très grands amateurs cultivés à la recherche de l’exceptionnel, le plus souvent des collectionneurs américains et italiens, plus quelques européens. Il intéresse aussi les musées », rapporte Elvire de Maintenant, expert en peinture ancienne chez Christie’s France. Mais la marchandise reste si rare qu’il est difficile d’établir la moindre courbe d’évolution des prix. Avec 80 artistes recensés, même le département de cotation d’Artprice n’a pas voulu s’y risquer. « Trop peu d’œuvres sont vendues chaque année aux enchères. Ce ne sont jamais les mêmes artistes que l’on retrouve d’une année sur l’autre et le poids de chacun sur ce secteur particulier est extrêmement fort, avec des rapports de prix qui peuvent varier de 1 à 1 000 entre deux peintres », explique Pierre Capelle, le statisticien du groupe Artprice, avant de conclure que « la structure de ce marché n’est pas assez homogène pour créer un indice fiable ». Chez Christie’s, les ventes de peintures anciennes qui ont lieu à New York et Londres trois fois l’an ne comptent pas plus de 10 à 20 tableaux de la période par vacation.
Le 25 janvier 2001 à New York, Sotheby’s a organisé pour la première fois une vente sur le thème « Arts de la Renaissance », incluant une sélection de peintures, dessins, gravures et sculptures européennes. « On aimerait bien renouveler une vente sur le thème de la Renaissance, encore faudrait-il trouver des pièces de qualité en quantité suffisante », observe Nicolas Joly, expert en peinture et dessins anciens chez Sotheby’s. Très peu de tableaux de grande qualité sont passés sur le marché depuis dix ans. Pour les dessins au contraire, plusieurs pièces exceptionnelles apparues ces dernières années ont atteint des prix fous. Aussi, s’il n’y avait eu le tableau de Mantegna, La Descente aux limbes, vendu dans sa fourchette d’estimation pour 28,5 millions de dollars (24,5 millions d’euros) le 23 janvier 2003 chez Sotheby’s à New York, les dessins figureraient en haut du palmarès des meilleurs prix publics. Le tableau de Mantegna était une œuvre majeure sans être pour autant le chef-d’œuvre de l’artiste, pièce maîtresse difficilement estimable de nos jours. « Les chefs-d’œuvre sont aujourd’hui dans les églises, in situ, ou dans les musées », se résigne Elvire de Maintenant, ce qui ne l’empêche pas de rêver de découvrir une toile d’Andrea Del Sarto, de Corrège ou Titien, dont certaines œuvres restent encore à localiser. Son métier d’expert la conduit le plus souvent à trouver des œuvres moins importantes, à l’instar d’un petit panneau biface d’Antonello Da Messina représentant au recto une Madone à l’Enfant et, au verso, un Ecce Homo en trompe l’œil, adjugé 251 650 livres sterling (362 000 euros) le 9 juillet 2003 à Londres. « Il existe encore des tableaux du XVIe siècle autour de 20 000-30 000 euros », indique-t-elle. Pour ce prix, l’acheteur devra néanmoins accepter d’acquérir soit une pièce d’un artiste moins connu, soit une œuvre dans un état de conservation plus problématique ou à l’iconographie plus difficile.
« un peu usée »
Dans la vente du 29 octobre à Londres chez Christie’s, une Madone à l’Enfant de Michele Di Rodolfo Del Ghirlandaio a été adjugée 16 000 livres (23 300 euros). « C’est un joli tableau qui n’a pas la finesse d’un Bellini, mais l’époque est bonne. L’artiste est connu et fait généralement des prix autour de 20 000 euros. Cependant, l’estimation de cette toile, 15 000 euros, était un peu basse, sans doute parce qu’elle a été restaurée », commente l’expert de Christie’s. Lorsqu’un peintre ne se vend pas à son prix ou qu’un tableau se trouve ravalé, il n’est pas rare que ce soit pour une question d’état de conservation de l’œuvre. Une Madone à l’Enfant d’Andrea Del Sarto a été adjugée seulement 1,1 million de dollars chez Sotheby’s à New York le 28 janvier 2000. « Il y avait des manques. Cela fait toujours peur aux collectionneurs privés. Il a été acheté par un marchand », précise Nicolas Joly. De même, La Nativité de Bartolomeo Della Porta, vendue pour 1,6 million de livres (2,3 millions d’euros), soit à son estimation basse, à Londres chez Christie’s le 11 juillet 2003, était « très jolie mais un peu usée », reconnaît Elvire de Maintenant. Quant au Portrait d’une femme de profil de Botticelli, proposé pour 3 à 5 millions de dollars le 23 janvier 2003 à New York chez Sotheby’s, il est resté invendu. Son mauvais état et une dureté dans le traitement du sujet ont vraisemblablement découragé les amateurs. « Pourtant, note Nicolas Joly, il tient bien la route au Musée du Luxembourg », où il est actuellement présenté dans l’exposition « Botticelli ». Enfin, un tableau qui n’a pas l’autorisation de quitter le territoire italien est généralement vendu à Milan 5 à 10 fois moins cher que s’il avait été offert sur le marché international.
Les dessins, rares et inabordables
Pour les dessins italiens de la Renaissance, qui sont parmi les plus cotés au monde, le marché explose littéralement depuis dix ans, avec des valeurs multipliées par deux dans cet intervalle. Les noms magiques, introuvables en peinture, grisent les collectionneurs. « En dix ans, quatre dessins de Michel-Ange sont passés sur le marché », souligne Nicolas Swed, expert et directeur du département des dessins anciens chez Christie’s. En tête des meilleures adjudications, un dessin de 12 x 8 cm du mythique Léonard de Vinci, Cheval et cavalier, a dépassé les 8,1 millions de livres (11,6 millions d’euros) le 10 juillet 2001 à Londres chez Christie’s. Raphaël est le troisième nom le plus convoité. Une étude de la tête et d’une main d’un apôtre à la craie noire s’est vendue l’équivalent d’environ 7 millions d’euros chez Christie’s à Londres il y a sept ans. « Les dessins italiens des XVe et XVIe siècles deviennent rares et inabordables », constate Nicolas Joly. La clientèle internationale érudite rafle tout ce qu’elle trouve de qualité à des prix ascensionnels. « La facture, l’originalité du trait, la rareté et l’état de conservation sont à prendre en compte, poursuit l’expert. Un dessin de qualité peut être une pièce d’un artiste mineur à 8 000 euros. » La taille de l’œuvre, le sujet ou encore la technique n’ont pas d’incidence sur les prix. En revanche, les restaurations et usures les font dégringoler. « Un dessin anonyme ne fera jamais de gros prix », indique aussi Nicolas Swed. « L’attribution des feuilles est primordiale, confirme Nicolas Joly. C’est un gros travail de recherche. Historiens et conservateurs y participent, et nous publions leurs avis dans les notices de nos catalogues, y compris lorsqu’il y a des désaccords sur un nom. » Mais, vu la rareté des pièces, un beau dessin reflétant l’esprit de la Renaissance, en excellent état, peut battre des records à l’exemple d’une Tête couronnée de lauriers, une feuille superbe attribuée à Lorenzo Di Credi qui s’est envolée à près de 2,3 millions d’euros à Drouot chez Piasa le 23 mars 2001, triplant ainsi son estimation haute. Les collectionneurs fortunés recherchent ce type d’œuvres. Les maisons de ventes comme les acheteurs savent que les plus belles pièces se trouvent aujourd’hui au cœur des anciennes grandes collections. Sotheby’s dispersera prochainement le plus grand ensemble français de dessins italiens des XVIe et XVIIe siècles, celui du millionnaire Charles de Bestégui. Le coup d’envoi sera donné le 21 janvier 2004 à New York, première vacation d’une série de trois. Voilà qui devrait à nouveau stimuler le marché.
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Les artistes italiens séduisent une clientèle d’érudits
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°180 du 7 novembre 2003, avec le titre suivant : Les artistes italiens séduisent une clientèle d’érudits