Organisée du 10 au 14 juin, la foire Art Basel se recentre sur les créateurs établis et les « artistes d'artistes ». Toujours aussi nombreuses, les foires « off » poursuivent leur croissance, à l'instar de Volta.
Est-ce un signe des temps ? Entre restriction et contrition, les festivités de la Biennale de Venise et de la Foire de Bâle se déroulent sans flonflon. Pour son quarantième anniversaire, Art Basel fait profil bas, laissant juste au curateur Hans Ulrich Obrist et trois artistes, parmi lesquels Philippe Parreno [lire p. 21 et 39], le soin d’orchestrer un événement singulier, « Il Tempo del Postino ». Après les débordements du marché, les créateurs reprennent leurs droits. « Quarante ans, c’est un anniversaire, mais pas un demi-centenaire. La tradition occupe une place importante dans la foire, pas la nostalgie, souligne Marc Spiegler, codirecteur de la foire. Quel que soit l’environnement économique, l’autocélébration n’est pas une belle chose. Le monde de l’art est aujourd’hui plus centré. On aime boire du champagne, mais on préfère trouver un contenu. »
Sans glissement mélancolique, la foire impose toutefois cette année un devoir de mémoire. « Il faut qu’on revienne vers les origines de l’art. D’où vient-on ? », s’interroge la galeriste Esther Schipper (Berlin), membre du comité de sélection du salon. « On se rend compte qu’il y a eu beaucoup d’artistes intéressants dont le travail ne relève pas de la consommation rapide. » La section « Art Premiere » donne du coup la parole aux « artistes d’artistes » et aux créateurs encore confidentiels malgré un cursus solide. Chez gb agcency (Paris), un dialogue transgénérationnel s’instaure entre les sculptures motorisées de Robert Breer, qui sera exposé en 2010 au Musée Tinguely à Bâle, et les œuvres du jeune Français Marc Geffriaud. « Nous souhaitons créer une rencontre entre deux artistes dont le travail expérimente les seuils d’apparition et de perception de l’œuvre d’art », explique Solène Guillier, codirectrice de la galerie. Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles) orchestre pour sa part un rapprochement inédit entre la peinture matiériste de feu Eugène Leroy et la démarche picturale du photographe Patrick Faigenbaum. Mehdi Chouakri (Berlin) instaure, lui, un dialogue imaginaire entre deux artistes actifs à Francfort-sur-le-Main dans les années 1960, et aujourd’hui décédés, Charlotte Posenenske et Peter Roehr. Estimant que l’art n’aidait pas à résoudre les problèmes sociaux, la première a arrêté en 1968 toute pratique artistique au profit du syndicalisme. La même année, le second trouvait la mort. Bien que fauché à l’âge de 24 ans, celui-ci a produit près de 700 pièces en quatre ans !
« Parodie d’un art viril »
Dans sa course à l’hommage, la section « Art Premiere » a accepté des présentations monographiques, entorse à sa règle initiale imposant un face-à-face. Le revival est de mise chez Lia Rumma (Milan, Naples) avec le solo show de l’insaisissable Gino De Dominicis. Revival encore chez Frédéric Giroux (Paris) qui montre la première vidéo du collectif canadien General Idea, God is my Gigolo (1969), ovni à mi-chemin entre le film expérimental underground et la vidéo contemporaine. Tucci Russo (Turin) réactive pour sa part une pièce de Mario Merz des années 1980. Les aînés contre-attaquent, à l’instar de François Morellet chez Aline Vidal (Paris). Cet octogénaire facétieux a joué sur le libellé « Exceptional Project » inscrit sur le formulaire de candidature des galeries. Il en résulte une installation baptisée ironiquement Basel Exceptional, répartissant au hasard huit lignes droites et bandes monumentales, formant au dire de l’artiste « une sorte de parodie d’un art viril et expressionniste ».
Limité jusque-là aux artistes âgés de 40 ans au plus et dépourvus de visibilité institutionnelle, le secteur « Art Statements » a lui aussi assoupli son règlement. La sélection inclut un outsider chinois de 67 ans, Guo Fengyi, présenté par la galerie Long March (Pékin). De son côté, la galerie Wentrup (Berlin) met en exergue Mathew Hale, qui n’est pas tout à fait un inconnu. Celui-ci prévoit une installation intitulée Die Münze, comportant notamment un ensemble de peintures réalisées à Berlin-Ouest entre 1945 et 1963 par des artistes depuis oubliés, ainsi Walter Wellenstein. Comme l’indique la galeriste Tina Wentrup, il s’agit d’une « réflexion sur l’histoire de l’art, le marché, sur ce que, au final, on retient des artistes ». Ce travail d’anamnèse se lit en filigrane chez In Situ (Paris) dans la juxtaposition entre la série Faces de Khalil Joreige & Joana Hadjithomas et la vidéo Fin de Représentation de Renaud Auguste-Dormeuil. Par le biais de retouches informatiques appliquées sur de vieilles affiches, le duo libanais a tenté de recomposer les visages effacés par le temps de martyrs du Hezbollah. Apparaissent ça et là un sourcil, une arête nasale, de quoi donner une forme même ténue à ces fantômes. Mais « Art Statements » ne se limite pas à un jeu sur le souvenir. Jocelyn Wolff (Paris) y montre le travail d’une jeune artiste allemande, Katinka Bock, pendant que Balice Hertling (Paris) révèle le travail sophistiqué de la Suisse Luca Frei. Et que Art : Concept (Paris) présente le projet Whiteout, de Geert Goiris, projection de trente photos, certaines nettes, d’autres plus laiteuses, prises au pôle Sud en 2008 et 2009.
Pas d’« art loisir »
Dans un contexte où le marché se raccroche aux valeurs sûres, la section moderne pourrait devenir très courue alors que les visiteurs se ruaient autrefois au premier étage contemporain de la foire. La Galerie 1900-2000 (Paris) dédie une exposition à Francis Picabia, avec un dessin de 1920 ayant servi à illustrer le programme du festival Dada à la Salle Gaveau et un ready-made signé de 1925 intitulé Bière Sarrator. Pour son baptême bâlois, la Galerie Zlotowski (Paris) met les petits plats dans les grands en organisant une exposition autour du Purisme. Au menu, un tableau de 1925 de Le Corbusier, Le Dé violet, et une œuvre de Marcelle Kahn, Le Tramway de Strasbourg.
On l’aura compris, dans ce climat rigoureux, toute frivolité est verboten ! Même les tentations d’exotisme sont freinées. « On nous serinait voilà deux ans qu’il fallait plus de galeries d’Inde ou de Chine. Nous sommes allés à notre rythme, rappelle Marc Spiegler. Aucune des galeries ne montre de l’“art loisir”. » Un mot heureusement tabou.
Considérée comme l’antichambre d’Art Basel, la foire Liste a perdu au fil du temps sa vertu de laboratoire au profit d’un fouillis généralisé. Malgré les lézardes, l’aura du salon ne faiblit pas auprès des jeunes galeries comme Cortex Athletico (Bordeaux) – à l’affiche avec un artiste intrigant, Masahide Otani –, Schleicher Lange (Paris) ou la nouvelle arrivante Lucile Corty (Paris). « Nous retrouvons sur Liste des collègues qui ont le même type de format, d’angoisses, de questionnements que nous. C’est un réservoir à idées, confie Thomas Bernard, directeur de Cortex Athletico. On sent plus que sur d’autres foires l’idée de génération. » Sauf que, depuis trois ans, l’événement a assoupli ses règles en accueillant des galeries plus établies comme Cosmic (Paris). Qualifiant la foire de « bon poste d’observation », celle-ci prévoit cette année un stand orchestré autour des questions d’architecture avec Cyprien Gaillard, Wilfried Almendra, Nick Devereux et Haris Epaminonda.
Propriété à 50 % de Messe Schweiz, Design Miami se niche désormais chez son actionnaire, dans le hall 5, mitoyen des bâtiments 1 et 2 d’Art Basel. Le salon a perdu en cours de route un grand nombre de participants new-yorkais tels Moss, Demisch-Danant, R20th Century et Antik. Elle a gagné en revanche Jacques Lacoste (Paris) et deux invités surprises, le galeriste Emmanuel Perrotin (Paris), lequel développe depuis deux ans une section design, et l’antiquaire Patrick Perrin (Paris). Depuis quand le XVIIIe siècle relève-t-il du design ? À force de lui accoler tout et n’importe quoi, ce terme ne veut décidément plus rien dire…
Le déménagement de la foire Volta, installée dans le très beau bâtiment du Markthalle où siégeait l’an dernier Design Miami, s’est accompagné d’une augmentation de sa liste d’exposants, avec notamment l’arrivée des Parisiens Martine Aboucaya, Alain Gutharc, Vanessa Quang ou Patricia Dorfmann. Chacun espère décrocher une miette de l’hostie bâloise et l’onction des acheteurs les plus convoités. « Dans une année de crise, Bâle sera encore plus importante que les autres années, estime Dominique Fiat (Paris). Au lieu de dépenser dans dix foires, les gens préfèrent en choisir deux, et Bâle est l’une de ces deux. Je sais que je verrai des collectionneurs qui, depuis six mois, ne vont plus nulle part. » Celle-ci fait son entrée sur Volta avec des œuvres d’Hannah Collins, de Philippe Gronon, et la série de photos Borderland de Tania Mouraud. Pour Anne Barrault (Paris), qui prévoit un solo show de Guillaume Pinard, « Bâle est d’autant plus incontournable cette année qu’elle coïncide avec la Biennale de Venise ». Certains participants jouent sur le coup de force visuel. Alain Gutharc propose un face-à-face entre les sculptures déchiquetées et rongées d’Anita Molinero et un tableau de quatre mètres de long de Marlène Mocquet. Hervé Loevenbruck (Paris) met en scène une énorme structure lumineuse de Lang/Baumann et des œuvres de Børre Sæthre et Stéphane Sautour. Laurent Godin (Paris) déploie pour sa part quatre grands tableaux d’Henrik Samuelsson, une sculpture baptisée La Prairie de Delphine Coindet et de nouvelles pièces de Vincent Olinet. Valérie Cueto (New York) consacre son stand à une pièce du collectif Bruce High Quality Foundation, grande pizza molle hérissée de buildings new-yorkais rappelant la fragilité de l’empire américain. Baumet Sultana (Paris) fera son entrée avec une exposition sur le thème de l’arc-en-ciel, évocation du calme avant la tempête ou de l’accalmie après l’orage. Cette sensation de ne pas trop savoir sur quel pied danser est symptomatique du marché actuel. « En ce moment, dans les foires c’est la lutte pour faire ses frais, confie Laurent Godin. L’offre est d’une telle qualité que, dans un moment de resserrement, les choses deviennent difficiles. Vendre tient du miracle. »
Liste 09, 9-14 juin, Workshop Community Warteck pp, Burgweg 15, Bâle, du mardi au samedi 13h-21h, 13h-19h dimanche, www.liste.ch
DESIGN MIAMI, 9-13 juin, hall 5 Messe Basel, tlj 11h-19h, www.designmiami.com
VOLTA 5, 8-13 juin, Markthalle, Viadukstraße 10, lundi 16h-20h, du mardi au samedi 12-20h, vendredi 10h-20h, www.voltashow.com
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Les artistes au centre du débat
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Abonnez-vous dès 1 €ART BASEL, 10-14 juin, Halls 1 & 2, Messe Basel, Messeplatz, Bâle, Suisse, www.artbasel.ch, tous les jours 11h-19h.
ART BASEL
Direction : Marc Spiegler et Annette Schönholzer
Nombre d’exposants : 300
Tarif des stands : 560 francs suisses le mètre carré
Nombre de visiteurs en 2008 : 60 000
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : Les artistes au centre du débat