Droit - Ventes aux enchères

L’erreur de l’acheteur professionnel aux enchères

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2019 - 740 mots

Par deux arrêts récents, la Cour d’appel de Paris confirme sa position quant au caractère excusable de l’erreur commise par un acheteur professionnel.

Paris. Un acquéreur professionnel, estimant avoir été trompé, peut-il solliciter la nullité de la vente aux enchères d’une œuvre pour défaut d’authenticité ? Telle est la question à laquelle la Cour d’appel de Paris a répondu en mai dernier dans deux affaires distinctes. Comme tout contrat, la vente d’un lot aux enchères doit nécessairement être réalisée en l’absence de tout vice du consentement. À défaut, son annulation peut être sollicitée par la partie viciée, dès lors que ce vice est de telle nature que sans lui elle n’aurait pas contracté.

L’erreur est notamment une cause de nullité de la vente en ce qu’elle porte « sur la substance même de la chose qui en est l’objet » conformément à l’article 1110 ancien du Code civil. En revanche, cette nullité doit être rejetée en cas d’erreur inexcusable, comme en cas de méconnaissance par l’acquéreur des mentions d’un catalogue de vente définissant les caractéristiques de l’œuvre. À l’inverse, la jurisprudence, se fondant sur les dispositions du décret Marcus du 3 mars 1981, considère que les mentions inexactes au catalogue peuvent, selon les cas, entraîner la conviction erronée et excusable de l’acheteur, même professionnel, comme l’illustre les deux affaires portées devant la Cour d’appel de Paris.

Affirmation sans réserve infondée

Dans la première affaire, un antiquaire spécialisé dans l’argenterie ancienne et moderne avait en 2008 acheté aux enchères une paire de flambeaux décrite au catalogue comme des flambeaux en argent d’un maître orfèvre réputé de Troyes au XVIIe siècle. Présentant cette paire à Maastricht l’année suivante, il s’était vu demander son retrait par la commission d’admission de la foire, eu égard aux doutes sur leur authenticité. À la suite des conclusions de l’expert judiciaire retenant que ces flambeaux étaient des faux modernes, l’antiquaire assigna le vendeur en nullité de la vente pour erreur et l’opérateur ainsi que ses experts en dommages et intérêts.

Le Tribunal de grande instance de Paris rejeta l’intégralité de ses demandes, considérant que son erreur, en tant que professionnel averti, était inexcusable tant au regard de ses compétences que des précautions qu’il avait prises avant l’acquisition des flambeaux. Mais pour la Cour d’appel, saisie par l’antiquaire, son erreur ne pouvait être qu’excusable puisqu’outre le fait qu’elle avait été commise par d’autres professionnels, « comme les experts de la vente », il avait été nécessaire de procéder à des analyses et des recherches spécifiques pour conclure qu’il existait un doute sur leur authenticité « alors que le catalogue ne contenait aucune réserve sur ces deux points essentiels ».

Relevant qu’« il était loisible aux experts de la vente de faire réaliser ces analyses en temps voulu, compte tenu du fait que l’origine des flambeaux était insuffisamment documentée ; qu’en tout état de cause, leur affirmation sans réserve n’était pas fondée et engage leur responsabilité », la Cour a donc prononcé la nullité de la vente et retenu la responsabilité in solidum du commissaire-priseur et des experts, appelés en garantie au paiement des dommages et intérêts.

Responsabilité du commissaire-priseur

Dans la seconde affaire, la Cour adopta une position similaire. Une galerie qui avait en 2005 fait l’acquisition aux enchères d’une sculpture d’Ossip Zadkine (1890-1967) s’était vue refuser par le musée Zadkine son inscription au supplément du catalogue raisonné de l’œuvre du sculpteur. La sculpture s’avérant être « plutôt celle d’un de ses élèves » après l’expertise, la galerie assigna ses cocontractants. Elle obtint la confirmation en appel de la nullité de la vente pour erreur, et en outre le versement d’indemnités en réparation de sa perte de chance de réaliser une plus-value et de son préjudice moral. Pour la Cour, en effet, « la vente d’une œuvre d’art avec mention au catalogue du nom de son auteur, sans aucune réserve, constitue, que la vente soit judiciaire ou non, une affirmation de son authenticité, la responsabilité du commissaire-priseur étant engagée en cas d’incertitude sur l’auteur de l’œuvre ». En outre, l’acheteur, « même s’il est un professionnel, n’avait pas à faire avant la vente toutes les recherches d’origine qui incombent précisément au commissaire-priseur et à son expert ».

Appréciées in concreto, ces deux décisions doivent être tempérées eu égard à la position de la Cour de cassation qui, en 2015, avait confirmé l’arrêt d’appel retenant l’erreur inexcusable de l’acquéreur – un expert reconnu en art russe du XXe siècle – pour rejeter l’annu­lation de la vente d’un tableau attribué à un peintre russe.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : L’erreur de l’acheteur professionnel aux enchères

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