Après les attentats contre le World Trade Center, la question de la survie des assurances a été posée. Dans l’émotion générale, il semblait que rien ne pourrait plus jamais être comme avant. En fait, les réseaux mondiaux de réassurance, déjà accoutumés aux risques catastrophiques, ont absorbé le choc. Reste que toute concentration de valeurs constitue désormais un risque plus grand.
PARIS - La compassion et les statistiques n’appartiennent pas aux mêmes univers. Au moment du drame, on stigmatise le cynisme des assureurs bouliers affairés à évaluer le prix de la douleur. Plus tard, on encaisse les indemnités en se contentant de déplorer qu’elles ne soient pas nécessairement à la mesure de l’émotion ressentie lors du “fait générateur” (c’est ainsi que les polices d’assurance qualifient l’origine des sinistres, catastrophiques ou non). Mais implicitement, on accepte (quelquefois même on se félicite) que les compagnies aient gardé la tête froide.
Si on considère “cliniquement” et financièrement les attentats du 11 Septembre, on peut relever seulement qu’ils ont mis en évidence l’extrême concentration de la richesse et des risques assurables (c’est-à-dire aussi financièrement “solvables”) : deux tours, dont l’emprise au sol représentait 10 hectares et une démographie de 20 à 30 000 personnes pesaient financièrement plus lourd que trois ou quatre États africains. Et leur destruction par quelques dizaines d’hommes avait des conséquences financières plus importantes que celles du cyclone ou du tremblement de terre “du siècle”. Les assureurs ont dû composer avec ce dramatique (et dérisoire) étalon des valeurs.
La division du risque est à la base du calcul d’assurance. Idéalement, la tarification repose sur les statistiques, c’est-à-dire les lois des grands nombres. C’est pourquoi l’assurance vie, qui repose sur des dizaines de millions de sujets, est la valeur-refuge des compagnies : les actuaires disposent, avec les tables de mortalité, de séries fiables ; en outre, la tendance durable à l’allongement de la durée de vie entretient un différentiel favorable.
Au contraire, les risques industriels se prêtent mal à la statistique. Comment évaluer la prime d’un lancement raté d’une fusée Ariane lorsqu’elle repose sur quelques dizaines de lancements ? C’est pourquoi dans ce domaine, le travail des assureurs consiste à diviser : diviser le risque ou diviser la prise de risque. Diviser le risque consiste à éviter sa concentration. On rapporte par exemple que les compagnies avaient imposé il y a quelques années que les tableaux prêtés pour la grande exposition “Van Gogh” aux Pays-Bas soient convoyés dans des avions différents. Il est vrai qu’alors, au sommet de la grande spéculation, un tableau valait aussi cher que le Boeing, ou l’Airbus, qui le transportait.
Mais au bout du compte, pour les grands risques, il n’est pas toujours possible d’empêcher la concentration. Lors d’une exposition temporaire ou d’un salon, si les assureurs peuvent imposer la dispersion des chemins d’accès, ils devront assumer pendant quelques semaines ou quelques mois un regroupement qui concentrera le risque en un seul lieu. Et, en matière de culture, ils devront aussi couvrir la charge symbolique et/ou médiatique susceptible d’attirer les attentions terroristes. Il ne leur restera plus qu’à imposer des mesures de sécurité drastiques et à diviser la prise de risque en répartissant celui-ci entre de très nombreuses compagnies, et en le diluant entre de nombreux pays par le biais des structures internationales de réassurance.
Souvent, la division n’est pas possible, en particulier pour les risques courants. On ne peut par exemple imposer à une galerie d’avoir deux ou trois lieux de stockage ou d’organiser ses expositions dans des bâtiments différents. Dans ce cas, l’assureur pondérera la prime en tenant compte de la répartition des valeurs : ainsi, le tarif sera plus élevé si le capital assuré est réparti entre une dizaine d’œuvres ou des centaines de pièces ; si l’assuré veut limiter le coût, il lui restera la possibilité d’accepter un plafonnement de garantie ou une franchise.
C’est pourquoi en matière d’assurances d’œuvres d’art, la conséquence essentielle de l’attaque du 11 Septembre a été une majoration des primes (de l’ordre de 15 à 20 %) pour les risques professionnels. En revanche, les assurances de collections particulières ne semblent pas avoir été touchées.
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Le risque de la concentration
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : Le risque de la concentration