Le couple Pinault qui
avait acquis la sculpture du pharaon Sésostris III
en 1998, à Drouot, a réitéré
sa demande d’annulation de la vente le 18 février devant
la cour d’appel de Paris.
PARIS - Déboutés en première instance par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris le 31 janvier 2001, les Pinault sont revenu à la charge le 18 février devant la cour d’appel de Paris pour demander la nullité de la vente du Sésostris III, une sculpture égyptienne achetée environ 762 000 euros à Drouot en 1998. Son authenticité avait été mise en doute par l’égyptologue allemand Dietrich Wildung (lire le JdA n° 86, 2 juillet 1999), spécialiste de la période, mais un rapport judiciaire rédigé par deux experts du Louvre, Christiane Desroches-Noblecourt et Élisabeth Delange, avait conclu à un chef-d’œuvre antique daté de la fin du Moyen Empire, soit quelques décennies après la mort du pharaon. Le tribunal avait donc admis que les caractéristiques de la statue, une image unique et posthume et non pas une copie moderne, n’étaient pas éloignées de celles du catalogue et qu’en conséquence, les acheteurs devaient s’acquitter du règlement de la sculpture.
L’affaire n’est toujours pas réglée puisque les Pinault ont interjeté appel du jugement. Leur nouvel avocat, Me Philippe Combeau, assisté de Me Damien Régnier, a dénoncé “l’erreur et le dol” et a demandé au tribunal de tenir compte pour le moins d’un “défaut de conformité de la statue en comparaison avec ce qui est présenté dans le catalogue de vente” et d’un “défaut d’information”, en référence à l’avis du professeur Wildung seulement connu après la vente.
En d’autres termes, pour les demandeurs, la mention des dates de règne du pharaon dans le catalogue annonçait une œuvre réalisée du vivant de Sésostris III et non pas une pièce plus tardive. Or, selon Me Combeau, les époux Pinault n’ont jamais eu l’intention d’acheter une image posthume mais une représentation contemporaine du pharaon. Non satisfaits de l’expertise judiciaire du Louvre, l’homme d’affaires et sa femme qui était présente lors de l’audience, ont chargé un étudiant en égyptologie, Luc Watrin, également présent, de faire une contre-enquête sur l’authenticité de la statue de Sésostris III, laquelle met en doute les conclusions des conservateurs du Louvre. Ils demandent également au tribunal de procéder à une expertise scientifique sur la statue : un examen tracéologique permettra peut-être de trouver des particules de métal d’outils modernes dans les parties incisées, le cartouche notamment, et de faire ainsi la preuve du faux. La tracéologie permet en effet l’étude des traces laissées par les outils du sculpteur.
Un nouveau rapport
Le rapport épais commandité par les Pinault et réalisé par Luc Watrin, un égyptologue poursuivant ses études, a été présenté au tribunal pour prouver la fausseté de la statue. Pour sa démonstration, le spécialiste a repris les arguments de Dietrich Wildung – défauts dans les proportions, erreurs stylistiques et iconographiques. Sous couvert de réaliser “une étude relative à l’iconographie impériale à la XIIe dynastie” pour une association européenne regroupant des égyptologues, il a aussi consulté quelques experts, conservateurs de musée en Europe et à l’étranger, sur la question de l’authenticité de la statue que ces derniers n’ont vue qu’en photos. Il a obtenu quelque dix-huit avis – des courriers joints au rapport à l’insu des personnes consultées, qui vont plus ou moins dans le sens de la non-authenticité de la sculpture. Luc Watrin ne manque pas non plus de souligner que des spécialistes comme Christiane Desroches-Noblecourt ont déjà commis des erreurs de datation dans leur carrière. Enfin, après avoir mené lui-même “une investigation à risque sur les ateliers de faussaires en Égypte”, il dénonce “l’existence de filières de faux en pierre pour la période concernée”. De tout cela, il tire la conclusion que la statue de Sésostris III est “une copie récente”.
Pour Me Jean-Loup Nitot, avocat du vendeur, du commissaire-priseur Olivier Coutau-Bégarie et de l’expert de la vente, Chakib Slitine, “ce rapport manque de sérieux et les attestations des dix-huit archéologues internationaux ne sont pas recevables. En fait, les Pinault ne veulent pas avoir dans leur collection une œuvre qui a été contestée bien qu’elle ait été authentifiée par le Louvre”. Concernant les dates figurant dans le catalogue de la vente, 1878-1843 av. J.C., il a rappelé qu’il s’agissait bien de “celles du règne du pharaon” et qu’“elles ne garantissent aucunement que la pièce ait été sculptée de son vivant. D’ailleurs, ce fait a été reconnu par le TGI”.
Tout en étant réservée sur les expertises sur photos réunies par Luc Watrin, l’avocate générale a noté qu’il y avait un vrai débat sur la datation – pièce moderne ou du Moyen Empire. Elle s’est donc montrée favorable à un éventuel examen de tracéologie. Sinon, elle a demandé à la cour de confirmer le jugement du TGI. Le jugement en appel sera rendu le 25 mars.
Quant au rapport de Luc Watrin, il est actuellement entre les mains de plusieurs égyptologues et il est fort à parier qu’il va faire beaucoup de bruit dans le monde de l’égyptologie...
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Le retour de Sésostris III devant la justice
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : Le retour de Sésostris III devant la justice