Après plusieurs éditions assez ternes, les ventes semestrielles d’objets précieux chez Christie’s et Sotheby’s retrouvent leur lustre d’antan.
GENÈVE - La récession de ces dernières années se constatait en feuilletant les catalogues des maisons de ventes aux enchères anglo-saxonnes, d’où émanait une impression d’ennui et de banalité. Mai 1994 sera un brillant retour aux grandes années quatre-vingt.
Comme d’habitude, la plus intéressante vente de Sotheby’s sera consacrée à l’orfèvrerie européenne, le 16 mai. Le fleuron de la vente est sans nul doute une paire de rafraîchissoirs en vermeil qui faisait partie de l’immense service commandé à Odiot en 1817 par le prince Demidoff. Le service, qui dès sa création eut un retentissement énorme, fut présenté à l’Exposition des produits de l’Industrie Française au Louvre en 1817. Le jury, qui lui décerna la médaille d’or, commenta ainsi sa décision : "Ce qui passait tout le reste en magnificence, c’est le riche service en vermeil commandé par M. Demidoff… il est douteux que l’art de l’orfèvrerie ait rien produit de plus magnifique".
Il est à noter que les experts de Sotheby’s ont découvert sur des pièces de Thomire exactement le même motif que sur le service Demidoff, démontrant ainsi la collaboration entre le maître bronzier et l’orfèvre. Il existait à l’origine deux paires de rafraîchissoirs. L’une fut acquise par le Detroit Institute of Arts en 1971 pour le prix très modeste de 7 500 £ et la nôtre, qui est déjà passée deux fois en vente chez Christie’s, en 1982 et de nouveau en 1990, où elle a atteint la somme de 825 000 francs suisses. Sotheby’s l’inscrit dans son catalogue avec une estimation de 700/900 000 francs suisses. Inutile de dire qu’il sera très intéressant de voir si le marché réabsorbera aussi rapidement ces pièces, qui furent achetées à l’époque par le commerce. L’ambassadeur Al-Tajir, qui détient la majeure partie des pièces du service Demidoff, aura une autre opportunité pour les acquérir. Le vendeur et Sotheby’s ont eu l’intelligence de conserver les estimations d’il y a trois ans, ce qui facilitera la tâche.
Une autre paire de pièces de forme d’un service important, estimée à 400 000 francs suisses, est dans la même vente. Il s’agit de deux soupières du service des Lanza, princes de Trabia, famille de vice-rois palermitains, qui fit exécuter en 1770, à Naples, un superbe service rococo tardif, dont Sotheby’s vendit une autre paire de soupières au prix de 528 000 francs suisses en 1990. Dernière pièce remarquable de cette vente, un immense miroir de toilette de 118 cm de haut, de l’orfèvre belge Dutalis, qui date du premier quart du XIXe siècle et qui est estimé à 150 000 francs suisses.
La vente la plus importante de Christie’s est sans aucun doute celle consacrée à Fabergé. Les lots vedettes de la vente sont deux grands œufs. Fabergé produisit pour la famille impériale une série de chefs-d’œuvre sous forme d’œufs de Pâques, que le tsar offrait à son épouse ou à sa mère. En plus, il en produisit une série limitée pour de très riches commanditaires, comme les Yussupof, Consuelo Vanderbilt duchesse de Marlborough, et surtout le magnat des mines d’or Alexander Kelsh, qui en commanda sept pour son épouse. Malheureusement pour le généreux donateur, de graves problèmes financiers en 1905 mirent fin à son mariage, et son ingrate épouse, mettant tous ses œufs dans le même panier, s’en vint vivre en France où elle fut forcée de les vendre dans les années vingt, pour une somme dérisoire, à un marchand parisien. Un de ces œufs obtint immédiatement ses lettres de noblesse et finit dans les collections royales anglaises. Tous les autres furent achetés par un collectionneur américain. Ses héritiers en vendirent deux directement à Forbes, le consommateur le plus glouton de ces friandises. Un autre, l’œuf bonbonnière, resté invendu aux enchères, fut vendu en transaction privée par Christie’s. En mai 1989, Christie’s vendit pour le prix astronomique de 5,28 millions de francs suisses le Pomme de pin. Le Fleur de pommier, qui est le plus gros œuf produit par Fabergé (13,4 cm de long) et qui sera mis en vente à Genève le 17 mai 1994, est fait d’un morceau de néphrite taillé, sur lequel sont appliqués des motifs en forme de tiges en or, de quatre couleurs, avec des pétales en diamant et émail blanc. Son estimation est de 600/800 000 francs suisses.
Un autre client de Fabergé resta célèbre pour sa munificence, il s’agit d’Emmanuel Nobel, neveu d’Alfred, qui fut l’un des premiers à faire fortune dans le pétrole. On aime à raconter qu’Alma Pihl, une des plus remarquables dessinatrices de Fabergé, admirant le givre sur la fenêtre de son atelier, s’en inspira pour toute une série de broches que Nobel offrait aux dames qu’il invitait à ses grands dîners. En 1910, il commanda un œuf dont la surprise était un flocon de neige stylisé. Ce dernier finit dans la même collection américaine et figure aussi dans ce catalogue de Christie’s, estimé à 180/220 000 francs suisses. Les estimations de ces deux objets semblent très raisonnables. Il sera intéressant d’observer les résultats de cette vente, d’autant plus que la famille est encore propriétaire d’un dernier œuf Kelsh, le "Rocaille".
Pour l’amateur atteint d’éléphantofolie, le catalogue de Christie’s comporte dix-sept pachydermes de Fabergé, de 4 000 à 140 000 francs suisses. Il serait de très mauvais goût de parler de porcelaine après cela, mais la veille, Christie’s offre un large choix de Meissen de 1710 à 1780.
Christie’s semble contrôler complètement le marché des miniatures, qui fut pendant des années le domaine de Sotheby’s. Il en offre plus de cent cinquante aux enchères, dont deux ravissants portraits féminins de Sicardi de la fin du XVIIIe siècle, estimés 25/35 000 francs suisses chacun, et un portrait de Catherine II de Russie par le grand miniaturiste viennois Füger (30/40 000 francs suisses).
Enfin, pour clore ce marathon de plusieurs milliers de lots offerts en moins d’une semaine, nous mentionnerons deux boîtes en pierre dure de Dresde, toujours chez Christie’s le 17 mai. La première, de Hoffmann aux alentours de 1750, en quartz, est estimée à 200/300 000 francs suisses et la seconde, de Neuber, qui faisait partie des collections du roi Farouk, 150/250 000 francs suisses.
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Le retour de l’opulence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Le retour de l’opulence