Alors que le prix MAIF pour la sculpture vient de dévoiler les cinq nominés de sa sixième édition, le bronze semble jouir d’un véritable renouveau de la part des sculpteurs.
Le sculpteur Johan Creten est formel : le bronze fut longtemps « tabou ». Trop cher, trop vieux, trop épineux. Trop lourd – physiquement, symboliquement. Le bronze, jusque dans les années 1980, fut le matériau conformiste par excellence, susceptible de commémorer les batailles et les morts, de peupler les jardins et les halls, d’exprimer le pouvoir et la puissance. Or les choses ont changé et, depuis plusieurs années, les artistes ont délesté le bronze de sa « connotation bourgeoise » pour lui conférer une véritable « sensualité », loin des préjugés et des oripeaux académiques. Face à cette recrudescence, le prix MAIF, richement doté, récompense pour la sixième année un artiste contemporain en lui offrant la possibilité de traduire en bronze une œuvre exigeante, sélectionnée par un docte jury. Lauréat de l’édition précédente, Vincent Mauger se souvient de cette opportunité souveraine, celle de « pouvoir assister aux différentes étapes de la fabrication et d’acquérir ainsi des connaissances liées à cette technique ». Car c’est une chose d’être un alchimiste, c’en est une autre d’avoir accès à une officine – Susse, Valsuani ou Coubertin –, eu égard à la spécificité et à la complexité du bronze.
Technicité et excellence
La fonte en bronze est une technique délicate, qui réclame des intervenants hautement qualifiés, capables d’adapter leur savoir-faire aux désirs de l’artiste et d’affiner le processus en fonction des innovations techniques. Avant de pouvoir présenter ses sculptures virtuoses chez Perrotin, Johan Creten se souvient avoir cherché « dix ans durant » celui qui saurait incarner dans le bronze ses efflorescences mentales, avant de trouver en Belgique une perle qui, pour être rare, mérite selon lui de rester discrète, si ce n’est secrète.
De même, Gérard Garouste se félicite d’avoir repéré en Normandie l’alchimiste Bocquel, celui qui lui permet désormais d’affronter, dans de hautes solitudes, ce matériau « porteur de mythes », si « longtemps boudé, car saturé d’histoire(s) ». Et de reconnaître les immenses progrès techniques, mieux, technologiques qui ont facilité et optimisé la réalisation des bronzes : fours performants, élastomère infaillible et air comprimé. Ancien directeur de la fonderie Coubertin et expert internationalement reconnu, Jean Dubos enregistre avec plaisir cette « résurgence du bronze » qui voit l’émergence de fondeurs confidentiels et, conséquemment, de sculpteurs émérites – en France, en Angleterre et en Italie. Désormais plébiscitée, la fonte en bronze, dont la main d’œuvre représente 85 % du prix total, demeure particulièrement onéreuse. Et tout le monde n’est pas Anish Kapoor, Tony Cragg ou Bernar Venet. Dont acte avec des initiatives hardies, à l’image du jeune sculpteur Sébastien Pasques qui a élaboré sa propre fonderie domestique pour créer des « ouvrages compétents ». Gagnant en qualité, le bronze gagnerait-il en complexité jusqu’à devenir un matériau ultratechnologique, loin du métier du sculpteur, autrement dit du « modeleur », comme s’interroge Giuseppe Penone ? Et l’Italien, entre les lignes, de s’interroger sur cette désincarnation de l’œuvre, sur cette inquiétante thaumaturgie, sur cette sculpture sans sculpteur.
Solidité et pérennité
Sculpter ne saurait être une récréation ou une recréation, une frivolité dilettante ou une translation médiate. Sculpter, affirme Penone, c’est « affronter la réalité animée » et « refuser la banalisation comme le laboratoire », c’est se saisir de la matière du monde, c’est donner du crédit au temps, qu’il soit météorologique ou chronologique. Et l’écueil est grand, affirme Garouste : « 98 % des sculpteurs sont des nostalgiques indigents ou des imitateurs indigestes. » Certes, le bronze coûte : de l’argent, du temps, de l’espace. Mais c’est précisément ce qui le distingue de la peinture, ce qui en fait, selon Creten, un « instrument politique » en tant qu’il trahit une croyance en la durée et la solidité, loin de la labilité et de l’absurdité du monde. Le bronze est un défi à la déliquescence et à la putrescence. Il établit – des formes, des idées – et impose – un espace, une appréhension. Aussi est-il courtisé par les plus puissants collectionneurs – tels François Pinault ou Charles Saatchi –, certains de tenir là, mythologiquement et spatialement, une possibilité de renouveler le regard ainsi que l’expérience esthétique. Creten, Garouste et Penone en sont convaincus. Dispendieux, le bronze se fait pourtant avec « presque rien », preuve qu’il est un matériau aussi pauvre que noble. Du reste, le regain d’intérêt qu’il connaît doit à son éblouissante singularité, celle qui en fait, physiquement et politiquement, un matériau éminemment résistant, loin de certaines mystifications et impostures contemporaines.
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Le regain de l’airain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Le regain de l’airain