Christie’s et Sotheby’s se lancent dans l’art moderne et contemporain en France.
Un pari ambitieux.
Christie’s organise le 26 mai une vente d’art impressionniste, moderne et contemporain. Une habitude de cette maison de ventes, si ce n’est qu’elle se déroule en France et non à Londres ou New York, arènes traditionnelles pour cette spécialité. Certes, l’auctioneer a organisé depuis deux ans plusieurs ventes comportant des tableaux – sept cents vendus selon l’expert en art moderne Thomas Seydoux –, mais toujours sous couvert de collection, que ce soit celle de Jean-Charles de Castelbajac pour l’art contemporain, d’un amateur anonyme pour la seconde école de Paris ou encore des Flammarion en octobre dernier. Sotheby’s, qui ne s’était pas encore hasardée sur ce secteur en France, fait une entrée tonitruante avec la vente de la collection d’art américain de Pierre Lescure
le 27 mai, le noyau impressionniste de l’esthète Franco Cesari le 29 juin et enfin le « jardin secret » des galeristes Pierre et Marianne Nahon à Vence le 18 juillet.
Paris serait-elle redevenue une scène attractive, malgré le droit de suite ? Trèves de cocoricos, revenons sur terre ! Comme le précise Thomas Seydoux, 90 à 100 % des tableaux importants collectés à Paris par Christie’s sont aiguillés vers l’étranger. Les dernières ventes d’art impressionnistes, modernes et contemporaines de Christie’s et Sotheby’s à Londres engrangeaient des produits de 66,6 et 47,25 millions de livres sterling. Celles de Christie’s en novembre dernier à New York caracolaient à 439 millions de dollars. Une seule session de vente rapportait alors 62 millions de dollars. D’après Thomas Seydoux, les pièces les plus appropriées pour l’hexagone relèvent de la seconde école de Paris, de Poliakoff à Estève. Rappelons qu’un tableau de Poliakoff de 1969, beau mais un brin tardif estimé 120 000 à 180 000 euros a grimpé à 360 250 euros en avril 2002 chez Christie’s Paris. « Quand je vois qu’un Raymond Jean Legueult peut se vendre à 12 000 euros à Paris quand Londres en donne une estimation de 1 000 livres, je me dis qu’il serait idiot de ne pas vendre à Paris. Il y a peu de collectionneurs en Europe qui puissent acheter pour 2 à 3 millions de dollars.
En revanche de 30 000 à 100 000 euros, il y a un marché important d’amateurs qui ne se déplacent pas nécessairement à Londres ou à New York. D’ailleurs, certains Français pensent qu’on ne vend pas de tableaux. Une telle vente amènera une nouvelle clientèle », précise Thomas Seydoux.
Des propos qui ne réjouissent sans doute pas le leader parisien, la société Artcurial Briest-Poulain-Le Fur, qui effectue la moitié de son chiffre d’affaires sur le segment moderne-contemporain. Artcurial n’a d’ailleurs pas dû apprécier de se voir souffler la collection des Nahon, d’autant que Martin Guesnet, l’expert maison, est un de ses anciens collaborateurs !
La vente du 27 mai de Christie’s commence avec des « pièces de charme » d’Eugène Boudin à Henri Hayden et des dessins de Pierre Bonnard ou Victor Brauner certains à moins de 10 000 euros. La section contemporaine focalise sur l’abstraction lyrique des années 1950 et des petites pièces, surtout graphiques, de Sol LeWitt et Eduardo Chillida. Rien d’affriolant dans tout ça ! Si la collection Castelbajac avait un parfum très dandy européen, celle de Pierre Lescure est plus « Coca-Cola-rock and roll ». La manne est très sexy, sans mauvais jeu de mots. Outre la soixantaine de pin-up peintes notamment par le grand maître du genre, Gil Elvgren, on s’attarde devant quelques spécimens de l’art hyperréaliste américain des années 1960-1990. L’œuvre la plus spectaculaire du lot, Double bonus de Charles Bell, reprend le détail agrandi d’un flipper pour une estimation coquette de 180 000/250 000 euros.
Si la séduction des pin-up ne s’émousse pas, il est moins sûr que l’iconographie des hyperréalistes ait toujours la cote. En parcourant la liste alléchante des radios de luxe, on s’étonne encore de voir cette vente follement « Americana » dans les lambris de la galerie Charpentier ! Après une forte croissance dans les années 1980, les objets américains n’ont plus le vent en poupe comme l’a montré le flop de la collection Guy Azoulay en 1997. Le succès de la vente Lescure dépendra des collectionneurs américains, les vrais maîtres du jeu. Idem pour les impressionnistes de la collection Franco Cesari. Trouvera-t-on en Europe des amateurs capables de débourser 900 000 à 1,2 million d’euros pour Berge et le Pont d’Argenteuil de Caillebotte ? Quel collectionneur européen ne s’effarouchera pas devant une Composition aux deux clowns de Léger, assez tardive, estimée plutôt chèrement 800 000/1,2 million d’euros ? Il n’y a plus qu’à espérer que d’ici là le dollar aura regagné du poil de la bête.
- Vente impressionniste, moderne et contemporain, 26 mai, Christie’s Paris, tél. 01 40 76 85 85. - Vente collection Pierre Lescure, 27 mai, Sotheby’s Paris, tél. 01 53 05 53 05. - Collection Franco Cesari, 29 juin, Sotheby’s Paris, tél. 01 53 05 53 05. - « Le jardin secret de Marianne et Pierre Nahon », 18 juillet, Vence, Sotheby’s , tél. 01 53 05 53 05.
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Le Pari(s) du moderne et contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : Le Pari(s) du moderne et contemporain