Des prix qui n’arrêtent pas de grimper pour des chefs-d’œuvre devenus de plus en plus rares, des toiles de « seconds couteaux » qui se négocient à des sommes très élevées... Le marché des tableaux anciens, dynamisé par les collectionneurs américains, a tendance à se déplacer de Londres vers New York. Bien que mondial, il présente des spécificités nationales dont témoigne par exemple la préférence affichée par les Transalpins pour les peintures religieuses et les vedute du XVIIIe siècle.
LONDRES (de notre correspondant) - “Très stable, très résistant”, “très flexible”, “en pleine santé”. Il n’est pas nécessaire d’interroger longtemps les marchands européens de tableaux anciens sur l’état du marché pour voir émerger une tendance. Les prix ont progressé depuis 1970, pour atteindre un pic en 1989 qui n’a pas été suivi par la récession dont a souffert la peinture impressionniste au début des années quatre-vingt-dix. “Aujourd’hui, avec dix millions de dollars, vous n’irez pas très loin sur le marché de l’Impressionnisme. En revanche, vous pourrez constituer une collection de maîtres anciens parfaitement respectable, ce qui explique le dynamisme du marché, déclare le marchand londonien Johnny Van Haeften, spécialisé en peinture hollandaise et flamande. Les collectionneurs ont tendance à être plus conservateurs dans cette spécialité. C’est un goût qui s’acquiert, quelque chose de plus cérébral”.
Débuter une collection de maîtres anciens est cependant devenu difficile, en raison de la pénurie de tableaux de qualité. Celle-ci est encore accentuée par une économie soutenue qui ne pousse pas les gens à vendre. Duncan Hislop, de l’Art Sales Index, confirme que le nombre de peintures anciennes mises en vente chaque année est resté relativement stable (environ 10 000 tableaux) depuis la fin des années quatre-vingt. Alexander Bell, expert chez Sotheby’s Londres, reconnaît la force du marché, tout en insistant sur le fait que “l’écart entre les chefs-d’œuvre et les œuvres moyennes s’est creusé au cours des dernières années. Les grands tableaux sont relativement rares, ce qui explique la croissance régulière de la cote d’artistes comme Canaletto, Pieter Bruegel le Jeune ou Joos de Momper, qui ont beaucoup peint et dont les œuvres reviennent souvent sur le marché”.
La peinture des maîtres anciens de l’Europe du Nord est un segment du marché particulièrement flexible, où les bons tableaux sont rares. Pour Johnny Van Haeften, “le manque général d’œuvres de qualité provoque beaucoup de frustration qui décourage les collectionneurs et contribue à diminuer l’offre. Certains optent pour des scènes du romantisme hollandais réalisées par des imitateurs du XIXe siècle parce qu’ils ne peuvent pas acquérir de véritables maîtres anciens”.
Un déplacement du marché vers New York
Frustration. Le mot traduit le sentiment des spécialistes en peinture ancienne, mais aussi celui des marchands de dessins, un secteur où, là encore, la demande est supérieure à l’offre. “Il est encore possible d’acheter des dessins importants, même si cela n’arrive pas régulièrement et nécessite aujourd’hui beaucoup plus de moyens, souligne un marchand londonien. Il est pratiquement impossible d’acquérir une peinture de Rembrandt, mais vous pouvez acheter un de ses dessins. Pour acheter sérieusement dans les hautes sphères du marché des dessins anciens, il faut être passionné et disposer d’une fortune conséquente”.
Actuellement, l’argent vient essentiellement d’Amérique, avec des collectionneurs privés comme le financier new-yorkais Leon Black, qui vient de s’offrir un dessin de Léonard de Vinci. De nombreux professionnels européens ont remarqué un déplacement progressif du marché de Londres vers New York, ces dernières années, que confirment les statistiques des salles de vente. La dernière enquête menée par Sotheby’s, en 1997, montrait une prépondérance des acheteurs européens sur les américains dans les ventes de maîtres anciens, à Londres et à New York. Alors que les deux tiers des œuvres étaient vendues à Londres et un tiers à New York, la proportion s’est dernièrement équilibrée à 50 % sur chaque place. Depuis deux ou trois ans, de très grandes ventes de maîtres anciens se tiennent à New York et cette tendance semble bien installée. Comme le souligne un marchand londonien : “Regardez les nouvelles salles de vente somptueuses qu’ils ont construit là-bas. Ils ne l’ont pas fait pour rien”.
Un marché français très international
Malgré l’internationalisation croissante du marché des maîtres anciens, la constitution d’une collection reste toujours influencée par les traditions et les sensibilités nationales. Il est donc possible de distinguer des tendances en fonction des pays.
Les œuvres dont la qualité et l’importance sont dignes d’un musée exerceront toujours un attrait international, mais ce sont les peintures religieuses et les paysages italiens du XVIIIe siècle qui dominent actuellement le marché . Les professionnels des salles de vente ont noté un engouement croissant pour les vedute dont les prix ont monté, particulièrement lorsqu’elles sont de provenance prestigieuse et parfaitement conservées. Alexander Bell, directeur du département des Maîtres anciens chez Sotheby’s à Londres, observe “que les œuvres exceptionnelles d’artistes traditionnellement considérés comme secondaires atteignent des prix de plus en plus élevés. Ce phénomène s’explique par la rareté des œuvres majeures de très grands peintres et par la propension des collectionneurs à préférer un bon tableau d’un maître mineur à une toile signé d’un grand nom mais au sujet ennuyeux ou en mauvais état”.
La France est généralement reconnue comme l’un des marchés européens les plus internationaux, car une large proportion des grands collectionneurs sont des étrangers qui vivent en France. Les marchands de tableaux anciens constatent la même tendance à la hausse que sur les autres marchés européens, et Georges De Jonckheere insiste sur la “force” de l’Hexagone. “Nous vendons surtout aux collectionneurs privés étrangers, explique Daisy Prevost-Marcilhacy, de la galerie de Jonckheere. Bien que nous soyons installés à Paris, nos clients français sont minoritaires”. Jacques Leegenhoek et Éric Coatalem évoquent également l’importance de la clientèle anglo-saxonne et le nombre restreint de grands collectionneurs français. Ils insistent sur la désorganisation du marché hexagonal, notamment dans le domaine les ventes publiques. “La réunion sur quelques jours, à New York et à Londres, des grandes ventes de maîtres anciens a des retombées importantes pour les marchands de ces deux villes dont sont privés les antiquaires parisiens, faute de sessions équivalentes”, déplore Éric Coatalem. “Les très beaux tableaux sont relativement rares sur le marché parisien. En témoignent les catalogues des grandes ventes organisées par Christie’s ou Sotheby’s, qui n’ont rien à voir avec ceux que publient les commissaires-priseurs français”, poursuit Étienne Bréton, expert en tableaux anciens travaillant pour le cabinet Marc Blondeau. Il constate néanmoins l’apparition de nouveaux collectionneurs français en raison du dynamisme de l’économie et de la bonne santé de la bourse. “Les collectionneurs français dépassent rarement la barre du million de dollars, ajoute-t-il. La plupart aiment acheter en France et hésitent à le faire à l’étranger. Mais la France constitue toujours une réserve importante de tableaux pour celui qui est prêt à prospecter.” Jacques Leegenhoek constate, de son côté, que les tableaux des écoles du Nord, nettement plus prisés des collectionneurs, doublent souvent leurs estimations.
“Les bons tableaux se font de plus en plus rares et les prix montent, poursuit un marchand italien. Dans les catalogues de Christie’s et de Sotheby’s, seul un tableau sur trente est italien”. Londres demeure la première place pour les œuvres italiennes. On note cependant l’arrivée de nouveaux collectionneurs transalpins sur le marché des maîtres anciens italiens, de même que sur celui des Flamands et des Hollandais.
À l’exception d’une demi-douzaine de grands noms, les maîtres anciens espagnols demeurent mal connus des collectionneurs. Sotheby’s, qui a cessé d’organiser des ventes en Espagne en avril, expédie aujourd’hui ses tableaux à Londres ou à New York, où ils obtiennent des prix plus élevés que dans leur pays d’origine. Le prix record de la Santa Rufina de Vélasquez chez Christie’s à New York, en janvier 1999, montre bien la tendance à la hausse du marché des grands tableaux espagnols. Ce résultat n’est pas demeuré isolé. Les dispersions par Christie’s des tableaux anciens des collections Ca’n Puig et Castillo de Bendinat, en mai à Majorque, ont elles aussi été très animées. “La participation d’acheteurs non espagnols, surtout italiens et anglais, a été plus importante qu’elle ne l’a jamais été en Espagne, et les prix ont atteint des niveaux équivalents à ceux de Londres ou de New York”, souligne Juan Varez, chez Christie’s. Il note que l’Espagne a maintenant sa place sur le marché international des maîtres anciens. Les musées et autres institutions espagnoles y sont aussi très présents.
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Le marché des maîtres anciens en Europe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°96 du 7 janvier 2000, avec le titre suivant : Le marché des maîtres anciens en Europe