Le jugement rendu dans le procès entre Christie’s et Madame Zelinger de Balkany pourrait avoir d’importantes répercussions sur les relations entre les maisons de ventes aux enchères et leurs acheteurs. Le juge a estimé que le tableau d’Egon Schiele acheté chez Christie’s était\"presque entièrement d’une main inconnue\", à cause de repeints, et qu’il pouvait être assimilé à un faux car le faussaire avait ajouté les initiales du peintre. Madame de Balkany sera remboursée du prix du tableau d’Egon Schiele et des intérêts de la somme. Mais Christie’s, protégée par les termes et les conditions de son contrat de vente, n’a pas été condamnée à payer des dommages.
LONDRES - à Londres, en 1987, Mme de Balkany avait payé 500 000 livres (4 250 000 francs), plus 10 % de frais, une toile présentée par Christie’s dans le catalogue comme étant d’Egon Schiele. C’était une cliente régulière de Christie’s, mais habituellement dans une gamme d’achats à prix modérés.
Charmée par ce tableau à la manière de Klimt, représentant un jeune garçon agenouillé devant Dieu le Père – alors estimé de 400 000 à 600 000 livres –, elle avait laissé un ordre jusqu’à 650 000 livres (5 525 000 francs). Apparemment peu expérimentée, la cliente n’avait demandé aucun rapport complet sur l’état du tableau, se contentant d’une assurance verbale de l’un des directeurs de Christie’s.
La toile s’est révélée ensuite très fortement repeinte. Les analyses demandées par l’acquéreur ont montré que 94 % du tableau étaient d’une autre main que celle de Schiele, notamment le monogramme"E.S.", en bas à droite. Forte de ces découvertes, Mme de Balkany a intenté un procès.
Christie’s a allégué pour sa défense qu’elle n’est pas responsable de l’état de conservation des tableaux qu’elle met en vente ; que le tableau était proposé"dans l’état" ; que Madame de Balkany aurait pu demander un rapport sur l’état du tableau et les conseils d’un expert. Christie’s, mandatée par le vendeur, n’est pas tenue d’apporter son aide à l’acheteur ; la maison n’aurait donc pas été négligente.
Le nœud de la controverse était la fameuse clause II(a) figurant dans les catalogues de Christie’s, établissant que la maison de vente"sera l’arbitre de toute contestation". Ceci la dégage apparemment de toute obligation de restituer l’argent versé.
Sur le fond, le juge a décidé le 13 janvier que cet argument n’était pas recevable. Il a finalement jugé que la toile – bien qu’elle ait sans doute été peinte par Schiele – avait subi de tels repeints qu’elle pouvait être assimilée à un faux, et qu’on pouvait raisonnablement attendre d’une maison comme Christie’s qu’elle décelât la supercherie. Le point décisif a été le rajout du monogramme"E.S." par le"faussaire", indication manifeste d’une intention de tromper.
Mais le juge a formulé des conclusions complémentaires sur l’absence de toute obligation de dommages et intérêts lorsqu’une fausse attribution résulte d’une erreur et non de la volonté de commettre un faux. Celles-ci indiquent clairement qu’en pareil cas, la clause des contrats-types de Christie’s relative à la notion de risques et périls de l’acheteur, est parfaitement légale :"Un acheteur chez Christie’s, de même qu’un acheteur de voiture d’occasion, doit vérifier lui-même la marchandise et ne saurait se retrancher derrière les déclarations de Christie’s."Christie’s n’a pas besoin de modifier quoi que ce soit, a déclaré l’expert Richard Nagy à l’issue du procès, mais la maison devra améliorer les services qu’elle offre aux acheteurs".
Un autre procès est en cours à propos d’un dessin de Schiele, vendu par Sotheby’s. Dans cette affaire, la description du catalogue de Sotheby’s est également mise en cause. Sotheby’s reproduisait partiellement un avis rédigé par un expert, le Dr Leopold, pour un précédent propriétaire de ce dessin (lire le JdA n° 10, janvier).
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Le faux Schiele et le marteau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°11 du 1 février 1995, avec le titre suivant : Le faux Schiele et le marteau