PARIS
Le Salon du dessin s’est trouvé un nouvel écrin, davantage conforme à son image et à sa renommée, le palais Brongniart. Du 17 au 22 mars, la salle de la Corbeille se prêtera aux échanges et aux transactions de dessins.
Le XIIIe Salon du dessin ouvrira ses portes du 17 au 22 mars, non plus dans les cossus salons Hoche mais à la Bourse de Paris, dite « palais Brongniart ». De l’avis général, ce déménagement est opportun et salutaire pour ce salon arrivé à maturité. La salle de la Corbeille, au décor intact d’époque Restauration, est le nouveau temple de cette manifestation à la réputation internationale. L’espace, plus vaste et présenté sur un seul niveau, permet un agencement plus uniforme des stands, volontairement montés dans une unité de décor. Il invite aussi à fluidifier les axes de circulation et a permis d’augmenter le nombre des participants de 25 à 30 (15 galeries françaises et 15 galeries étrangères selon la parité établie), tout en gardant ce côté intimiste auquel tiennent les neuf membres de la Société du dessin. Enfin, le lieu est central et accessible en voiture puisque doté d’un parking de 600 places.
Le Salon du dessin a trouvé son palais. Plus qu’un palais, tout un symbole, presque une introduction en Bourse ! Le marché du dessin n’est-il pas le domaine qui a le plus progressé en dix ans, évitant mieux qu’un autre les vicissitudes de la vie économique ? Passion, connaissance et exigence restent les trois maîtres mots qui ont su cimenter ce marché sain. Épargné par la spéculation, il tourne sur des cycles de vie suffisamment longs pour ne pas s’emballer et s’essouffler : les collections se constituent amoureusement sur au moins une génération. Les dessins restent en outre abordables pour toute une nouvelle génération de collectionneurs, en particulier les feuilles du XIXe siècle, dont les valeurs sont moindres. Sans compter le plaisir de la chine, de se plonger dans les cartons des marchands et de succomber à un trait de crayon souvent anonyme, parfois d’un grand artiste. Les exposants du Salon du dessin ont fait ce premier travail de recherche et d’attribution en amont. Beaucoup de pièces présentées au salon gardent leur part de mystère concourant à la magie de la rencontre avec le public.
Des maîtres anciens de plus en plus rares
Sur les stands, les maîtres anciens côtoient fréquemment les feuilles du XIXe siècle, voire les œuvres modernes, à l’exemple du marchand londonien Jean-Luc Baroni toujours à la recherche de chefs-d’œuvre toutes époques confondues. Sa Tête de femme tahitienne par Gauguin, l’un des plus beaux pastels de l’artiste, éblouit par sa grâce, sans pour autant faire d’ombre à ses prestigieux colocataires : une grande feuille illustrant Saint Jean l’Évangéliste de la première moitié du XVIe siècle par Perino Del Vaga, « un artiste très rare et un des meilleurs élèves de Raphaël » ; une Tête de garçon du Bernin – « c’est très rare car il en existe une douzaine », commente encore le marchand ; un grand dessin à la plume vers 1630 de Suzanne et les Vieillards par Le Guerchin ; une étude de l’arche de Drusus à Rome à la plume et à l’aquarelle grise et brune par Canaletto (1697-1768) ; une Tête de jeune femme au pastel signée François Boucher (1703-1770) ou encore une étude de personnage à la sanguine d’après Michel-Ange par Francesco Salviati, ami et contemporain de Vasari. Son frère, Jean-François Baroni, installé à Paris, présentera notamment une Vierge à l’Enfant avec sainte Anne et saint Jean-Baptiste par Domenico Piola (1627-1703), l’un des peintres décoratifs à fresque les plus recherchés à Gênes à la fin du XVIIe siècle. La galerie américaine Pandora Old Masters fait sa première entrée au salon. « Nous avons toujours suivi le Salon du dessin bien que n’y participant pas. Cette année, nous sommes très excités d’avoir été invités à prendre part à l’événement, spécialement parce le salon est abrité par le Palais de la Bourse qui est une très jolie place », relate Lester Carissimi, directeur de la galerie, qui exposera une Étude préparatoire de mains en prière pour une Vierge à l’Enfant (vers 1486) de Carpaccio (tableau conservé dans une collection privée américaine). Il s’agit ici de l’un des premiers dessins connus de l’artiste. Le galeriste présentera aussi un jardin italien de Fragonard exécuté lors de son premier voyage en Italie (1757-1761), idéalement conservé et qui a notamment fait partie de la collection de Charles de Beistegui. Elle exposera encore quatre charmantes études de fleurs de Barbara Regina Dietzsch (1706-1783), l’un des plus importants peintres de fleurs au XVIIIe siècle en Allemagne et dont la réputation (liée à une technique exceptionnelle) s’étendait dans toute l’Europe. La galerie proposera également une Tête de femme de Picasso. « Depuis deux ans, nous nous intéressons aux dessins modernes (les derniers impressionnistes et les artistes majeurs du début du XXe siècle), parce qu’il est de plus en plus difficile de trouver des dessins de maîtres anciens de très grande qualité et parce que nous sentons que le marché de l’art moderne a un grand potentiel », commente Lester Carissimi. Son confrère new-yorkais W. M. Brady revient cette année avec notamment : Un dessinateur dans un paysage, un rarissime paysage de plein air de Poussin (1594-1665) qui vient de l’ancienne collection du marquis de Chennevières (1820-1899) ; Mercure rend à Apollon les bœufs d’Admetus (1671), un dessin à la plume et au lavis gris et brun rehaussé de craie blanche très bien conservé signé Claude Lorrain ; un Portrait de Charles-Benjamin de Langes de Montmirail, baron de Lubières (recto et verso) par Liotard (1702-1789) provenant de la famille du modèle, ou encore un plaisant Joueur de mandoline (1853) par François Bonvin. Un magnifique Nu masculin assis au fusain du Guerchin sera la pièce maîtresse de la galerie allemande Arnoldi-Livie qui proposera en outre « des dessins français, italiens et hollandais provenant d’une collection privée allemande ». Chez Thomas Le Claire de Hambourg, Le Jugement de Pâris (1756) de Mengs et un Paysage avec Abraham et les trois anges (1797), de Joseph Anton Koch, se partagent la vedette. Figureront en haut de l’affiche de l’Anglais Agnews : Janvier, premier dessin d’une série sur les mois de l’année par Paul Bril (1554-1626) dont six feuilles sont au Louvre ; une ravissante Tête d’ange de Carlo Maratta (1625-1713), dessin préparatoire pour le tableau de La Mort de saint Joseph conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne et une Madone à l’Enfant de Tiepolo.
À la Galerie de Bayser, Le Balancier de Jean-Michel Moreau le Jeune (1741-1814) « est une collaboration de l’artiste aux volumes des planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ». Quant au dessin au lavis de sanguine montrant des Figures de théâtre, il « représente typiquement l’art de Claude Gillot, artiste né au XVIIe siècle dont l’art influencera énormément le XVIIIe, notamment Antoine Watteau, qui a étudié à ses côtés », nous apprend Mathieu de Bayser. La galerie Didier Aaron, qui porte une attention particulière au XVIIIe siècle, mettra en exergue : le Portrait supposé de Mme Isabey, un dessin signé Isabey et daté 1793, au crayon noir et à la gouache blanche « d’un bel effet, d’un crayon moelleux » selon un critique de l’époque ; une paire d’Études de personnages à la sanguine par Hubert Robert (1733-1808) et une Jeune femme russe lisant, une œuvre aux trois crayons sur papier beige exécutée vers 1760-1765 par Jean-Baptiste Le Prince (1734-1781).
De l’architecture aux voyages
Peu d’exposants se sont inspirés du thème de l’architecture suggéré par la Semaine du dessin, « Un Palais – des dessins », ou par l’histoire du nouveau lieu d’accueil, le Palais de la Bourse (1). Quelques planches aquarellées sont à remarquer sur plusieurs stands : l’Intérieur de la basilique Saint-Marc de Venise signée Rudolf von Alt (1812-1905) chez le Suisse Arturo Cuéllar ; une Vue de Londres, Greenwich à côté du Trafalgar Hotel signée Eugène Lami (1800-1890) chez Emmanuel Moatti, ou encore une Vue de la galerie Mollien au Louvre signée Lenepveu (1819-1898) à la Galerie de La Scala. Plus spectaculaires, deux pièces magnifiques sont à voir à la Galerie Terrades : une paire de dessins de l’architecte néoclassique Victor Louis (1731-1802), liés à la conception de son chef-d’œuvre, le Grand Théâtre de Bordeaux construit entre 1773 et 1780, ainsi qu’une très rare vue d’Intérieur du cabinet de travail de la duchesse d’Orléans au Palais-Royal (vers 1818-20) par Hilaire Thierry, actif de 1800 à 1825. « Cette œuvre intéresse sérieusement l’institution concernée ! », confie Antoine Cahen, l’un des deux associés de la galerie. Deux exposants, la galerie Philippe Heim et la galerie de La Présidence, nous invitent de leur côté au voyage. La première, qui a fait de cette passion le thème de son travail, s’attachera à présenter un ensemble de dessins entre 1840 et 1940 d’artistes voyageurs français et étrangers. La seconde, nouvellement admise au Salon du dessin, se fixera principalement sur l’œuvre d’Albert Marquet (1875-1947) avec une douzaine d’aquarelles tirées de carnets de voyages réalisés en 1933 (en Méditerranée) et 1934 (en Russie) et plusieurs dessins à la plume croqués sur le vif. « Avec Marquet, en quelques traits, tout tient en place », s’émerveille Françoise Chibret-Plaussu, directrice de la galerie, qui contribue à ouvrir le salon sur l’art moderne.
Une plus large ouverture sur les productions du XXe siècle
Le XXe siècle s’immisce en effet de plus en plus dans le salon. Le public apprécie et en redemande. Pour d’autres, les feuilles modernes dispersées sur les stands reposent ou divertissent l’œil de l’amateur de pièces d’époques antérieures. Cependant, « le salon reste voué aux dessins anciens et nous ne ferons pas plus de XXe siècle que ce l’on fait aujourd’hui », prévient Hervé Aaron, président de la Société du dessin. Le Bruxellois Patrick Derom, un habitué du salon auquel il participe à un rythme d’une année sur deux, marquera traditionnellement sa présence par une sélection d’artistes belges tels le postimpressionniste Georges Lemmen, l’expressionniste Frits van den Berg, les symbolistes Xavier Mellery et Jean Delville. De ce dernier, il propose cinq grands dessins au crayon et fusain : « des projets de 120 x 91 cm (sauf la pièce centrale de 2,20 x 1,35 m rehaussée de peinture d’or) pour les peintures de la cour d’assises du Palais de Justice de Bruxelles. Mais les dessins sont plus beaux que les tableaux définitifs », lance le marchand belge. L’art moderne a par ailleurs essaimé sur le stand d’autres spécialistes de la période à l’instar de la galerie anglaise Dickinson, venue avec une Tête de cariatide de Modigliani et une aquarelle fauve par Derain, illustrant La Musique. Notons à la galerie Brame & Lorenceau, une Ébauche de sculpture (1936) d’Henry Moore, dont le dessin a toujours été au fondement de son art, à la galerie Berès, un Portrait de femme de Picasso exécuté très tôt dans la carrière du peintre (vers 1897), ou encore chez Antoine Laurentin, Le Couvert, un dessin au crayon noir signé de Le Corbusier et dédicacé à Jean Follain, poète proche du groupe « Sagesse » et de la mouvance surréaliste. Autant dire qu’il y en aura vraiment pour tous les goûts.
(1) Le galeriste Daniel Greiner, le spécialiste parisien du dessin d’architecture installé 14, passage Véro-Dodat, à quelques encablures de la Bourse, invite les amateurs à découvrir sa sélection de pièces à l’exemple d’une aquarelle montrant la décoration de la chapelle Sixtine au Vatican par Louis-Hippolyte Lebas (1782-1867), qui fut notamment inspecteur des travaux sur le chantier de la Bourse (tél. 01 42 33 43 30).
Du 17 au 22 mars, Palais de la Bourse, place de la Bourse (entrée par la rue Vivienne), 75002 Paris, 12h-20h30, nocturne le 18 mars jusqu’à 22 heures, fermeture le 22 mars à 19h, www.salondu dessin.com, entrée : 10 euros (catalogue inclus).
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Le dessin introduit en Bourse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Le dessin introduit en Bourse