PARIS
Si l’engouement pour le dessin contemporain a mis en lumière une veine figurative, voire hyperréaliste, il ne faut pas oublier la vitalité du dessin « abstrait », comme on peut le vérifier dans les allées de Drawing Now.
Face aux œuvres de Léa Belooussovitch, lauréate de la dixième édition du prix des partenaires du MAMC+ de Saint-Étienne, le doute s’installe : que représentent ces aplats colorés aux contours troubles ? Si on distingue des figures humaines, on ne comprend pas vraiment ce à quoi nous sommes confrontés, à savoir des photographies de presse violentes, réinterprétées par l’artiste à main levée au crayon de couleur sur du feutre blanc. Aussi singulier que soit le travail de Léa Belooussovitch, il témoigne néanmoins de l’incroyable richesse du dessin contemporain, qui ne cesse d’innover en termes d’outils, de supports et de techniques, brouillant les frontières entre figuration et abstraction. Cette séparation serait-elle caduque ? En un sens oui, car l’abstraction ne signifie pas une déconnexion du réel, mais plutôt une mise à distance, une manière de déjouer la frontalité et de laisser une plus grande place à l’interprétation.
Néanmoins, le renouveau du dessin depuis le début du siècle est concomitant de la vague d’engouement pour la figuration en art contemporain. Si notre regard s’est beaucoup porté ces dernières années sur des dessinateurs figuratifs virtuoses, dont la pratique parfois hyperréaliste peut s’apparenter à une démonstration de savoir-faire technique, de nombreux artistes continuent de se distinguer dans l’abstraction, en portant une attention particulière aux formes géométriques, aux lignes et aux couleurs. Selon l’artiste Marine Pagès, cette pratique s’ancre dans la lignée de la période conceptuelle, moment charnière qui a donné une place différente au dessin en faisant de cette pratique non plus seulement un projet, mais un objet à part entière. L’abstraction n’a jamais cessé d’exister, c’est le regard que nous portons sur ces œuvres qui évolue. De nombreux dessinateurs contemporains prouvent que l’abstraction a encore beaucoup à offrir, et peut être sans cesse renouvelée.
Du 10 au 13 juin 2021 se tiendra la quatorzième édition de Drawing Now, première foire d’art contemporain dédiée exclusivement au dessin, dans un ancien grand magasin du 12e arrondissement de Paris, l’occasion de (re)découvrir des artistes toutes générations confondues et d’apprécier la survivance de l’abstraction dans le dessin contemporain.
1_Galerie Catherine Putman
À la croisée du dessin et de la sculpture, le travail de Keita Mori (né au Japon en 1981) témoigne d’un renouvellement de la pratique du dessin par la mise au point d’une technique singulière. Depuis 2011, il réalise des compositions architecturées, souvent denses, à l’aide de fils de divers matériaux (laine, soie, cuivre…) qu’il fixe sur son support avec un pistolet à colle, technique conférant un aspect vibratoire à ses œuvres. Ce dessin récent, jouant de l’éclatement et de l’enchevêtrement de motifs géométriques, est emblématique de son travail.
70 000 €
2_Galerie Jean Fournier
Cette magnifique acrylique sur papier réalisée en 1988 témoigne de la vivacité du travail de Sam Francis (1923-1994) et de sa proximité avec l’expressionnisme abstrait. Se dégage de cette œuvre tout aussi dynamique qu’équilibrée une dimension spectaculaire. Outre l’importance du geste, perceptible dès le premier regard, un temps plus long d’observation permet de déceler la virtuosité du travail sur les teintes et les effets de transparence. Drawing Now sera la première occasion de voir cette œuvre remarquable sur une cimaise.
2 400 €
3_Galerie Bernard Jordan
Cette œuvre sur papier de Marine Pagès (née en 1976) appartient à une série encore en cours intitulée Les Intermédiaires, regroupant des dessins « issus de souvenirs de structures proches de l’architecture et de corps en tension », selon les termes de l’artiste. Cherchant à construire « dans l’espace de la feuille des structures incertaines, fragiles mais possibles », elle joue de la perspective. Quelques lignes blanches habilement tracées suffisent à supposer un basculement, un déséquilibre prêt à advenir à tout moment. Un travail tout en délicatesse à admirer sur le stand de la Galerie Bernard Jordan lors de Drawing Now.
8 800 €
4_Galerie Maubert
Proche du minimalisme, Joachim Bandau (né en Allemagne en 1936) développe depuis les années 1980, en parallèle de ses sculptures, une pratique d’aquarelles. Inspiré de l’architecture des bunkers, son travail formel témoigne d’une attention portée au mouvement et à l’espace. Dessinant à main levée, il procède par accumulation de strates successives d’aplats, dont découle une profondeur des coloris et de subtils jeux de transparence. À Drawing Now, la Galerie Maubert présente une série d’aquarelles jaunes, réalisées entre 2005 et 2006, et constituant comme un pas de côté dans un travail sinon exclusivement composé de variations de gris.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Le dessin contemporain abstrait