Ventes aux enchères

RENCONTRE

David Nordmann, il a fait renaître Ader

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 26 janvier 2025 - 1321 mots

Soutenu par des experts de renom, le commissaire-priseur a redonné en vingt ans son prestige à la maison de ventes Ader, qui figure aujourd’hui dans le top 10 des opérateurs en France.

David Nordmann. © Ader
David Nordmann.
© Ader

Paris. David Nordmann fête les 20 ans de sa première vente chez Ader cette année. Pour retracer le parcours du commissaire-priseur, rendez-vous est pris un peu avant Noël, au lendemain du dîner de fin d’année qu’il a organisé la veille pour son équipe. L’ambiance est joyeuse dans la maison de ventes de la rue Favart, dans le 2e arrondissement. Un café situé à deux pas de là nous ouvre ses portes, « pour plus de tranquillité », avise le commissaire-priseur.

Depuis vingt ans, la maison de ventes n’a cessé de gagner du terrain pour figurer aujourd’hui dans le classement des dix premières sociétés de ventes aux enchères françaises – avoisinant les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Une équipe composée de près de trente personnes, deux commissaires-priseurs associés (six habilités en tout), plusieurs départements, une quarantaine de ventes organisées chaque année, l’ouverture récente d’un bureau à Bruxelles et d’une petite salle des ventes rue de la Grange-Batelière (Paris-9e) : tout a été bâti en l’espace de deux décennies. Car en 2004, lorsque David Nordmann rachète l’étude de Rémi Ader, celle-ci a une activité réduite, n’a plus de correspondant ni de salariés, et tient sa comptabilité à la main sur des cahiers… Mais Ader reste un nom mythique, qui ne demande qu’à renaître et retrouver son lustre d’antan. « Cette étude avait plusieurs avantages : elle était dirigée par Rémi Ader qui s’est avéré être un associé formidable, elle n’avait pas de cadavre dans les placards ni d’affaires juridiques, et la comptabilité était saine. Tout était propre, résume David Nordmann. Avec le temps, j’ai mesuré la formidable opportunité que j’ai eue d’acheter cette maison ! »

« Ader Picard Tajan »

Personne n’a oublié la dynastie Ader, dont la légende a débuté en 1931 avec la nomination de Maurice Ader, puis de son frère Étienne en 1933. « En 1950, l’étude française de MeÉtienne Ader réalisait un chiffre d’affaires équivalent à celui des ventes cumulées de Christie’s et Sotheby’s à la même date », rappelle un rapport du Sénat de 2010. En 1972, Jean-Louis Picard et Jacques Tajan rejoignent Étienne et Antoine Ader pour former « Ader Picard Tajan », qui domine le marché de l’art français pendant plus de vingt ans. Mais avec la crise de 1990-1991 le quadriumvirat explose et chacun part de son côté. Rémi Ader prend la succession de son père Étienne. Tant bien que mal, il va vivoter jusqu’à l’arrivée de David Nordmann.

Celui-ci n’était pas prédestiné à ce métier. Ses parents ne sont pas issus du sérail, mais l’art rentre par petites touches dans sa vie : un premier contact a lieu à l’âge de 16 ans avec le monde des enchères lors de la dispersion en 1986 de la bibliothèque de son grand-père, sous le marteau de Jean-Louis Picard ; mais aussi par l’intermédiaire d’une mère compagne de l’artiste Edgard Pillet (1912-1996), dont il s’occupe désormais de l’œuvre. « Cela m’a donné le goût, notamment pour toute la peinture d’après-guerre, dont l’abstraction des années 1950. » Après une école de commerce et des études d’histoire de l’art – un parcours singulier puisqu’il n’a pas fait d’études de droit –, David Nordmann passe le concours de commissaire-priseur en 1995. Mais ses deux ans de stage ne se passent pas très bien, alors, diplôme en poche, il bifurque. « C’est le démarrage d’Internet alors je crée en 1998 “Inter Auction”, une société de courtage ouvrant pour la première fois le marché de l’art français à Internet. Cela consistait à alerter les acheteurs sur ce qui allait se vendre, en particulier à Drouot. »

La société commence à gagner de l’argent, mais avec l’explosion de la bulle Internet en 2001, tout s’arrête net. Devenu consultant pour une société développant l’informatique à l’usage des commissaires-priseurs, qu’il aide à franchir le cap après la réforme de 2000, David Nordmann retrouve le goût du métier. « Être à leur contact tous les jours m’a permis de découvrir des gens incroyables, qui travaillaient formidablement bien. J’ai pris conscience que l’on pouvait faire ce métier avec intelligence. Cela m’a donné envie d’y retourner. »

L’opportunité se présente avec le rachat de l’étude de Rémi Ader et une association effective en 2005. La maison de ventes remonte la pente après le déménagement de la rue Saint-Marc pour la rue Favart, la tenue d’une vente de prestige – la collection Jacques Prévert (2010) –, puis une étape majeure est franchie avec l’arrivée de Xavier Dominique, diplômé commissaire-priseur en 2012. En deux décennies, l’entreprise, en constante progression, s’est structurée en départements.

« J’ai une très bonne étoile, confie aujourd’hui le commissaire-priseur de 54 ans. D’abord en rencontrant Rémi Ader. Puis, alors que je n’avais pas grand-chose à leur offrir, des experts renommés m’ont fait confiance, comme Jean-Claude Dey (armes et souvenirs historiques), Hélène Bonafous-Murat (estampes anciennes et modernes) ou encore Thierry Bodin (lettres et manuscrits autographes). Ils m’ont permis de développer des ventes de spécialité, la marque de fabrique d’Ader. »

Une console de Diego Giacometti adjugée 3 millions d’euros

Le département phare de la maison, celui des tableaux modernes et contemporains (40 % du chiffre d’affaires), a enregistré quelques récents succès, comme Portrait de jeune femme au chapeau blanc, de Mary Cassatt (1,2 M€) ou Les Saules à Giverny, de Monet (2 M€). En bonne place figurent aussi le département des bijoux, celui des arts du papier (estampes, livres, manuscrits, dessins…), ainsi que les arts décoratifs du XXe siècle (20 % du chiffre d’affaires). « Nous nous taillons la part du lion dans ce domaine grâce à la compétence de notre expert Emmanuel Eyraud. » La maison de ventes a d’ailleurs cédé une console de Diego Giacometti le 4 décembre 2024 pour près de 3 millions d’euros – le plus haut prix enregistré à Drouot en 2024. David Nordmann n’entend cependant pas laisser de côté les arts décoratifs anciens ; il souhaite renforcer ce département et cherche d’ailleurs à recruter. Le domaine est encore plus sélectif : « 90 % de ce que nous vendions par le passé se vend aujourd’hui difficilement, comme les meubles en bois sombre ou les bureaux cylindre, mais certains secteurs marchent très bien, tels que les meubles Napoléon III, la grande décoration, le bois doré, la porcelaine, la miroiterie… » La maison a aussi développé les arts étrangers, à l’exemple des arts de l’Islam, l’archéologie ou encore le département Judaïca (livres, manuscrits, tableaux d’artistes juifs), « mais nous n’arrivons pas à trouver assez de marchandises », fait-il observer.

Celui qui a « un vrai plaisir physique à animer une vente aux enchères, aime la théâtralité du métier et la connivence avec le public », reste convaincu que c’est le meilleur moyen d’obtenir le meilleur prix. C’est aussi de belles histoires à raconter. À son actif et comme tous ces « chercheurs de trésors », David Nordmann se souvient de ce plat Yuan (Chine, XIIe-XIIIe siècle) caché dans une pile d’assiettes sans importance, adjugé 800 000 euros, qui a permis à son propriétaire de se refaire une santé financière ; ou de cette coupe d’Alexandre Noll que les vendeurs prenaient pour un simple cendrier, une pièce adjugée 40 000 euros.

Fier d’avoir pu constituer une équipe en partant de zéro – « tous les matins, je suis impatient d’aller la retrouver ! » –, ce collectionneur « “non-serial” mais qui fonctionne par coup de cœur, essayant tant bien que mal de refréner ses envies d’achat », ainsi qu’il se décrit, voudrait cependant voir évoluer certains points dans le métier. Il aimerait en particulier que le management soit enseigné aux futurs commissaires-priseurs.

Parcours
1995
David Nordmann réussit le concours de commissaire-priseur. 2004 Il rachète l’étude Ader à Rémi Ader.
2009
La maison Ader quitte la rue Saint-Marc pour rejoindre l’adresse actuelle au 3, rue Favart (Paris-2e), cette rue en étant le fief historique.
2016
S’associe avec le commissaire-priseur Xavier Dominique.
2024
Lancement en juin de l’antenne bruxelloise de la maison Ader, avenue de Tervuren.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : David Nordmann, il a fait renaître Ader

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