Partagé entre fonctionnalisme et baroque, expérimentation et outil de production affûté, le design italien domine le marché.
Comme la mode, le design est une seconde nature chez les Italiens. Celui-ci a connu son apogée entre 1950 et 1974, grâce à un outil productif performant et des supports de diffusion efficaces, comme la revue Domus créée par Gio Ponti en 1928. Cette stratégie a permis à la Botte de se situer à plusieurs coudées d’avance de ses concurrents. Néanmoins, même si certaines pièces sont devenues iconiques, elles ne sont pas toujours valorisées, car produites en un grand nombre d’exemplaires, voire rééditées.
Le rationalisme italien
Scindé en un versant organique et aérodynamique incarné par Carlo Mollino et un rationalisme dominé par Franco Albini, le mobilier des années 1950 a mis du temps à s’imposer sur le marché. Il n’est exhumé et réhabilité que depuis une petite dizaine d’années, à l’initiative de marchands comme Philippe Denys ou Marc-Antoine Pâtissier. Grand mandarin du modernisme transalpin dans les années 1930, Albini a un mot d’ordre : vaincre la pesanteur. Une de ses bibliothèques archétypales de 1957, le modèle LB7 (1957), vaut autour de 65 000 euros.
Autre ténor du rationalisme, Osvaldo Borsani entre en piste dans les années 1930. Ses créations se révèlent toutefois conventionnelles jusqu’à ce qu’il fonde la firme Tecno. Derrière ces têtes de pont, des figures moins connues, comme Ignazio Gardella, commencent à sortir de l’ombre. Son fauteuil Digamma voit ses prix progresser d’année en année. Marc-Antoine Pâtissier avait cédé voilà neuf ans une paire de ce modèle pour 35 000 francs. Une paire similaire est présentée pour 38 000 euros par HP Studio au Pavillon des arts et du design. Le courant baroque incarné par Mollino connaît son point culminant sur le marché lorsqu’une table de 1949 conçue pour la maison Orengo s’adjuge pour 3,8 millions de dollars chez Christie’s en 2005.
La suprématie italienne s’impose surtout dans les luminaires. Réputé pour son fonctionnalisme esthétique, Gino Sarfatti observe une cote croissante grâce notamment au travail de feu le galeriste Pierre Staudenmeyer. Alors que les créateurs scandinaves cherchaient à masquer les sources de lumière, les modèles de Sarfatti se démarquent par leurs fils et ampoules apparents.
Sottsass, gourou de l’avant-garde
Dans la décennie 1965-1975, on ne réfléchit plus à l’adaptation de la forme à la fonction. La contestation est reine. La culture de l’obsolescence dame le pion à l’artisanat. Les notions de patrimoine ou de transmission sont d’autant plus périmées qu’on ne construit plus pour durer. L’idée de meubles fonctionnels est abandonnée au profit du « paysage domestique ». La nature s’invite ainsi dans le portemanteau cactus de Franco Mello et Guido Drocco. Les pièces semi-artisanales ou celles très avant-gardistes sont les plus susceptibles de voir leur cote progresser.
En 2004, une lampe Moloch (1970) de Gaetano Pesce, petite série numérotée probablement à moins de dix exemplaires, a ainsi décroché le prix record de 145 561 euros chez Artcurial. Les prix du collectif Archizoom, fondé à Florence en 1966, commencent à frémir sur le marché. Leur canapé Safari vaut autour de 30 000 euros. Les créations de Studio Alchimia, formé en 1976, sont tout autant promises à une valorisation.
Difficile de parler du design italien sans mentionner Ettore Sottsass, qui s’impose comme gourou de l’avant-garde dès les années 1950. La Galerie italienne avait présenté en 2004 un ensemble de pièces uniques réalisées en 1953 pour le docteur Gaito pour 300 000 euros. Vers 1964-1965, Sottsass aborde le bois. Une petite armoire avec inclusion de métal et céramique peut valoir 20 000 euros tandis qu’un secrétaire modèle Barbarella vaut dans les 5 000-7 000 euros. Vers 1968, le designer aborde le plexiglas et le stratifié. En 1970, il crée le mobilier Grigi en plastique moulé et luminaire intégré alors révolutionnaire. En revanche, ses créations pour Memphis, notamment sa fameuse bibliothèque Carlton, sont peu recherchées, car ses pièces sont toujours au catalogue de la maison d’édition.
Gio Ponti (1891-1979)
Légère au point qu’on peut la soulever avec un doigt, sa chaise Superleggera (1957) chez Cassina est devenue une icône.
Ettore Sottsass (1917-2007)
Chef de file du design radical, il privilégie le sens sur la forme et fonde en 1980 le groupe Memphis. Il est notamment connu pour ses contributions chez Olivetti au premier ordinateur italien, Elea 9003, et à la machine à écrire Valentine.
Gaetano Pesce (né en 1939)
Réputé pour sa quête permanente de textures incongrues, Pesce manie aussi bien la mousse de polyuréthane rigide que la résine polyester. Ses recherches ont longtemps porté sur la différenciation dans la production de série.
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Le design, l’exception italienne
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Qu’est-ce qui distingue le rationalisme italien du fonctionnalisme à l’œuvre dans d’autres pays ?
Le terme « rationalisme » n’existe qu’en Italie, car ailleurs on utilise le vocable « modernisme ». Ce mot fut utilisé en 1928 pour l’exposition sur l’architecture rationaliste. Le rationalisme se définit par une volonté de ne pas sombrer dans un style international, de trouver une individualité, de garder vivace l’esprit du Bauhaus tout en en modifiant la lettre quand il le fallait.
Vous exposez du Liberty au Néo-Liberty au Pavillon des arts et du design. Qu’est-ce que le Néo-Liberty ?
Les différentes expériences de travail critique ont abouti dans les années 1950 au Néo-Liberty. Ce courant ne cherchait pas à singer le style floral 1900. Le Liberty fut en fait la première voie moderne qu’a suivie l’Italie. Malheureusement, le Liberty est resté un style alors que le rationalisme est une méthode. Néo-Liberty est devenu un sobriquet, mais il y a de vraies réussites.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : Le design, l’exception italienne