Le premier rapport annuel du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères, remis le 12 décembre aux ministres de la Justice et de la Culture, se présente comme le relevé d’une boulimique activité. À l’indice de performance, la nouvelle autorité du marché aligne des résultats quantitatifs impressionnants (voir encadré). Mais l’ouverture attendue ne semble pas à la mesure des efforts déployés. Instance de régulation, le Conseil ne peut se substituer aux opérateurs. Et, sauf quelques exceptions, ceux-ci ne paraissent retenir de la réforme que ce qu’elle peut leur rapporter sans effort. En fixant de très faibles exigences pour l’agrément des SVV, le Conseil s’est sans doute privé d’un atout contre la résurgence des corporatismes.
PARIS - En trente et une pages et treize chapitres, le Conseil a détaillé son action en 2001-2002. Le préambule rappelle les nouvelles données introduites par la réforme : “un environnement libéral, tout en maintenant un niveau élevé de protection pour l’acheteur”, “un régime ouvert à toutes les sociétés de forme commerciale”, “une autorité de régulation indépendante […] qui veille au bon fonctionnement du marché, à sa transparence et à la déontologie des professionnels”. Le texte reproduit les invites de Marylise Lebranchu, alors ministre de la Justice, qui relevait lors de l’installation du Conseil que le législateur en avait fait “un des pivots de la réforme et lui a confié le soin d’en assurer le succès”, en soulignant “qu’il lui appartient maintenant d’établir sa doctrine, d’élaborer sa jurisprudence et de donner les signes […] d’une politique à la fois audacieuse et raisonnée propre à assurer le rayonnement du marché français de l’art”. Qu’est-il advenu de cet ambitieux programme ?
Aménagement du territoire : toute la Gaule est occupée
Mises à part les Hautes-Alpes, l’Ardèche et la Lozère, aucun département de l’intérieur n’a été privé de sa SVV. La Corse fait exception, et l’Alsace fait sécession. Les huissiers alsaciens ont obtenu de la justice locale un référé interdisant une vente projetée par une SVV au motif que la loi de 2000 n’avait pas abrogé le droit local. Le Conseil attend de la cour d’appel de Colmar qu’elle décide si cette province relève bien de sa juridiction.
Pour maintenir un maillage serré (217 villes ont droit à une SVV), le Conseil des ventes a dû réduire à l’extrême ses exigences au regard des stipulations de la loi. Le texte subordonnait en effet l’agrément du Conseil à la présentation de “garanties suffisantes en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l’honorabilité et l’expérience de leurs dirigeants ainsi que les dispositions propres à assurer pour leurs clients la sécurité des opérations”. Pour mesurer l’écart entre la pensée législative et sa mise en œuvre, il faut mentionner que les sénateurs Dejoie et Gouteyron, repris par les rapports à l’Assemblée nationale, relevaient que “cette rédaction est calquée sur celle de [...] la loi qui prévoit l’agrément des sociétés de Bourse par le conseil des bourses de valeur”.
Si le cautionnement des fonds vendeurs et l’assurance de responsabilité professionnelle exigés par ailleurs dans la loi assuraient la sécurité des opérations, il n’est pas évident que la prolifération des EURL, SARL (86 % des SVV selon le recensement du Conseil), formes sociales caractérisant des SVV sans ambition d’association, d’investissement ou d’embauche, se situe dans la perspective du rayonnement du marché.
Si le Conseil a assuré la couverture du territoire, c’est donc en renonçant à une réelle modernisation, et parfois même à un assainissement du réseau. Par-ci par-là, on voit en effet des SVV, et leurs porteurs de marteau qui se sont singularisés dans le passé par des “casseroles”, augurant mal de leurs préoccupations de défense du consommateur. Au passage, on peut estimer que les espoirs de regroupement propres à créer des masses critiques compétitives se sont éloignés. Les atermoiements de Drouot, qui ne s’est pas clairement prononcé sur la place qui serait ménagée aux confrères de province dans les hôtels de la compagnie, n’a pas été pour rien dans cette reconstitution du statu quo provincial.
Bref, on a l’impression qu’on a “pris les mêmes et que l’on recommence”.
Où est la concurrence ?
La logique de la réforme était d’ouvrir le marché par la suppression du monopole. Mais, pour motif de protection du consommateur, l’ouverture était largement encadrée. Les commissaires-priseurs ont vite compris que la barrière réglementaire ne se situait pas dans l’agrément des SVV, mais dans le contrôle des personnes habilitées à conduire les ventes. Pour eux, l’habilitation était de droit. Pour les autres, l’usine à gaz réglementaire confiée à la gestion du Conseil joue un rôle dissuasif évident. Ceci d’autant plus que pour mettre en œuvre la procédure d’agrément, le Conseil a d’emblée “fusionné” l’agrément et l’habilitation. Comme la loi (art. 8 repris en L 321-8 du Code de commerce) prévoit que les SVV “doivent comprendre parmi leurs dirigeants, associés ou salariés au moins une personne ayant la qualification requise pour diriger une vente ...”, le Conseil a logiquement regroupé demandes d’agrément et d’habilitation. Cette logique, en apparence respectueuse des textes, a conduit à vider l’agrément de son sens, pour aboutir à une nouvelle équation de la loi : si une SVV présente une personne habilitée (d’office pour les “ex”), l’agrément ne peut pratiquement pas lui être refusé. C’est sans doute pourquoi on apprend qu’il n’y a eu qu’un seul refus d’agrément de SVV pour “défaut d’expérience professionnelle du dirigeant”. On ne peut mieux interdire l’émergence de la concurrence.
Le rapport du Conseil consacre des développements longs et confus à la question de l’habilitation après avoir constaté que, parmi les 473 personnes qu’il a habilitées, 423 sont des commissaires-priseurs judiciaires, 48, des ex-“futurs commissaires-priseurs”, diplômés sans charge de l’ancien régime et seulement deux des “étrangers” habilités in extremis par le Conseil.
Ceci démontre, si besoin était, que les objectifs d’ouverture sont, dans l’état actuel, des chimères. L’échec n’en revient pas au Conseil, mais aux textes et au contexte qui présentent aux Européens le marché français comme un champ de mines. La cour d’appel de Paris permettra peut-être d’éclairer un peu les choses. En effet, un recours contre un avis négatif du Conseil sur la demande d’habilitation d’un membre d’une SVV déjà agréé lui a été présenté.
Dans ce paysage toujours émietté, le Conseil, en s’étant trop rapidement défait du pouvoir que lui donnait l’agrément, se trouve exposé à une résurgence des archaïsmes, et convié à freiner toute initiative concurrente.
La peur des huissiers
Premier avatar, la peur de l’huissier, clairement désigné par certains comme le nouvel ennemi au cours de l’assemblée du Symev en juillet lire le JdA n° 153, 30 août 2002). Le Conseil a suivi en estimant que les huissiers et les notaires ne pouvaient pas être habilités à diriger des ventes. C’est sans doute pourquoi aucune SVV n’a été agréée en Alsace, comme si cette région, la plus proche du cœur de l’Europe, ne pouvait accommoder une réforme faite au nom de l’entité. C’est aussi sans doute pourquoi les huissiers alsaciens ont entrepris une obstruction judiciaire, en obtenant l’interdiction en référé à Mulhouse d’une vente volontaire organisée par une SVV d’Amiens (le litige serait actuellement pendant devant la cour d’appel de Colmar).
Le Conseil a longuement développé dans son rapport tous les arguments visant à cantonner a minima les ventes volontaires des huissiers et notaires, en précisant notamment que celles-ci “ne peuvent porter que sur des biens qui leur sont remis à titre accessoire de leur activité principale”. Il est manifestement aiguillonné par les plaintes déjà reçues contre des huissiers trop entreprenants.
Dans son analyse, le Conseil cite largement les travaux parlementaires, au point de faire apparaître une irrégularité réglementaire de taille. En effet, citant le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée nationale, le rapport reprend une formule, commentant l’article 2 alinéa 2 de la loi (devenu L. 321-2 du Code de commerce), qui autorise les huissiers et notaires à organiser des ventes volontaires à titre accessoire “dans le cadre de leur office et selon les règles qui leur sont applicables” : “Cela signifie notamment (selon le rapporteur) que leur rémunération restera soumise à un tarif fixé par décret.” Curieusement, dès avril 2002, un décret a accordé aux huissiers et notaires la liberté tarifaire que l’esprit de la loi leur interdisait. Erreur ou lobbying efficace, mais qui ajoute indirectement à l’absence de concurrence. En effet, si les tarifs des huissiers et notaires étaient restés bloqués, les ex-commissaires-priseurs auraient peut-être été dissuadés d’appliquer les très lourdes augmentations qui se soldent actuellement par un transfert massif de valeur ajoutée des amateurs et marchands vers les SVV.
On peut s’étonner que le Conseil ne se soit pas inquiété de cette “entorse” (en tout cas de ne pas l’avoir mentionné dans son rapport aux ministres), ne serait-ce que pour ouvrir un débat : sur un marché où l’ouverture à la concurrence n’a pas encore fait sentir ses effets, est-il déontologique de voir des opérateurs, par ailleurs indemnisés aux frais du contribuable, établir des niveaux tarifaires très élevés ? Bref, après avoir joui d’un monopole légal, s’installer dans une rente de situation a peu de chances de servir le rayonnement du marché de l’art français.
Sortir des confusions
Il revenait au Conseil de clarifier les points obscurs du dispositif légal et réglementaire. Il s’en explique, en passant en revue les différents avis qu’il a rendus (et que l’on peut consulter avec intérêt sur le site web du Conseil : www.conseildesventes.com). Mais cette lecture donne parfois l’impression d’être un peu trop orientée, au risque de faire perdre de vue les objectifs de transparence et de protection de l’usager qui justifiaient la complexité du dispositif et de freiner l’ouverture effective du marché.
Ainsi de la réflexion sur la folle enchère, nécessaire, mais qui aboutit in fine à donner un feu vert pour l’introduction de clauses exonératoires dans les conditions de vente. Sans doute opportune sur ce sujet, cette recommandation ne risque-t-elle pas de renvoyer aux conditions de ventes à l’anglo-saxonne, souvent mises en avant pour expliquer qu’en France on protége mieux le consommateur en refusant la prolifération de ces clauses dans les catalogues de vente.
Même question sur les dénominations et publicités. En proposant, contre l’avis du commissaire du gouvernement, l’utilisation de la dénomination de commissaire-priseur habilité, le Conseil ouvre directement la voie à la confusion. Déjà remarquable dans les publicités de 2002 où l’on voyait allégrement accolées sur des ventes de SVV le titre de “maîtres” (réservé aux auxiliaires de justice), le manque de clarté risque de s’installer à demeure.
Dans le domaine des experts, c’est sans doute ces mêmes risques, accrus par une lecture à deux vitesses des textes, qui expliquent le relatif échec de leur agrément.
L’explication officielle, sous l’intitulé de “dualité du régime des experts”, est que les experts ne veulent pas entrer dans un système leur interdisant de présenter des pièces dont ils sont propriétaires ou d’acheter des pièces dans les ventes où ils interviennent. L’explication est partiellement vraie, car elle s’appuie en fait sur la tolérance de la loi envers des dirigeants, associés ou salariés de SVV, qui peuvent exceptionnellement le faire sous réserve de publicité (le Conseil n’a pas fait l’exégèse du terme exceptionnel de l’article L 321-4 du Code de commerce, comme il l’a fait de façon détaillée pour le terme “accessoire” concernant les huissiers).
Le Conseil, qui précise la procédure d’agrément des experts (beaucoup plus que pour celle des SVV), les qualités qui en sont attendues et la manière de les évaluer, relève que beaucoup viennent des “connaissances par le travail et le maniement des objets pendant de longues années”. Ayant ainsi tracé le portrait de marchands (les conservateurs étant par leur statut interdits d’expertise privée), le Conseil ne peut espérer sortir de la “dualité” qu’en alignant la réglementation et en acceptant un régime équivalent à celui accepté par la loi pour les SVV.
Au passage, le Conseil souligne qu’une “dynamique de la procédure d’agrément, dans laquelle des experts et d’autres professionnels du marché de l’art ainsi que des universitaires et des conservateurs interviennent côte à côte, devrait contribuer à rapprocher les praticiens et les théoriciens, dont les univers sont actuellement trop cloisonnés. Si des liens durables entre ces diverses catégories d’acteurs peuvent s’établir grâce à l’action du Conseil des ventes, il en résultera une meilleure structuration et une reconnaissance accrue de l’expertise”.
Ne serait-ce que pour cela, il faut souhaiter le succès de l’entreprise.
Mais, pour l’assurer, il faudra sortir d’une seconde confusion concernant les experts. Dès lors que le Conseil a admis qu’un expert salarié pouvait être agréé, il ne devrait plus y avoir d’obstacles à unifier le dispositif en imposant aux SVV de ne recourir qu’aux experts agréés. Dans la mesure où le rapport suggère diverses modifications à la loi (dont l’alignement à dix ans de la prescription des actions), l’opportunité existe de régler définitivement la question.
Dans le domaine des ventes électroniques, le Conseil aura également à éviter la confusion. Car son avis du 19 septembre donnant sa définition des biens culturels soumis à la réglementation, même pour le courtage électronique, manifeste à nouveau une excessive considération pour l’ancien régime. Ainsi, en prévoyant que les œuvres d’auteur seront soumises à contrôle dès lors qu’une pièce quelconque du même auteur aurait été présentée antérieurement aux enchères, le Conseil aboutit à verrouiller le dispositif et à interdire le courtage électronique. La réaction immédiate de Ebay, menaçant de saisir les autorités de Bruxelles, est un rappel de la portée de la réforme qui ne peut se cantonner au franco-français, plus Christie’s et Sotheby’s.
Une mission prioritaire : la déontologie
Le Conseil définit sa tâche désormais prioritaire : “l’élaboration de recommandations déontologiques [...] garantes d’un fonctionnement transparent et harmonieux du marché de l’art”. Il signale la création d’un groupe de travail qui a entrepris d’examiner les questions et d’élaborer “des règles de bonne pratique”. Ont été traitées en particulier le contrôle de provenance des objets, la transparence des ventes publiques (en particulier mentions à utiliser dans les catalogues, les relations avec les acheteurs et vendeurs professionnels), les règles applicables aux experts, les relations entre les SVV et avec les autres opérateurs (le rapport mentionne les “apports d’affaires”).
Ces travaux devraient déboucher sur des réalisations intéressantes pour le marché. En particulier, un service d’information sur les œuvres volées ou spoliées permettant la consultation de fichiers pourrait se mettre en place en liaison avec l’OCBC (Office central des biens culturels) et le service TRACFIN (lutte contre le blanchiment).
Le Conseil se propose d’élaborer un guide pratique récapitulant le dispositif légal et réglementaire ainsi que les recommandations déontologiques du Conseil.
Cette ouverture est sans doute l’élément le plus intéressant du rapport, car, dépassant la seule gestion des intérêts des anciens officiers ministériels, il permettra peut-être à la réforme d’impliquer enfin l’ensemble des opérateurs du marché dans une action interprofessionnelle. Le Conseil a du pain sur la planche.
- Le fonctionnement Le budget prévisionnel 2002 – 894 000 euros, préfinancé par la Caisse des dépôts et consignations – serait couvert à 85 % par les cotisations (0,10 % du chiffre d’affaires des SVV et 0,75 % des honoraires des experts agréés). Le budget 2003 devrait être équilibré. Le rapport précise que les salaires et charges représentent environ 38 % du budget, le loyer des locaux de l’avenue de l’Opéra environ 17 %. Le Conseil dispose de cinq salariés, très sollicités en 2002 du fait de l’instruction des demandes d’agrément. Cette activité devrait s’alléger au profit des activités de contrôle et d’enquête. - Les réalisations Au rythme d’une réunion par semaine, 43 au total du 1er septembre 2001 au 30 novembre 2002, le Conseil a examiné plusieurs centaines de demandes d’agrément de SVV et, concomitamment, d’habilitations à conduire les ventes ainsi que de demandes d’agréments d’experts. In fine, le Conseil a agréé 340 sociétés de ventes volontaires (dont 317 créées par des commissaires-priseurs judiciaires), habilité 473 personnes à diriger des ventes (dont 423 commissaires-priseurs judiciaires et 48 des titulaires de l’ancien “diplôme�?). Une seule demande d’agrément a été rejetée pour “défaut d’expérience professionnelle du dirigeant�?. Durant la même période, le Conseil a agréé 75 experts et rejeté 17 demandes, “dont les dossiers étaient incomplets, notamment quant à la justification de l’expérience professionnelle et [qui], dès lors, [ont été] renvoyées à l’examen d’un comité scientifique�?. - Les avis Pour clarifier certaines dispositions de la réforme, le Conseil a rendu plusieurs avis : sur la procédure de folle enchère ; sur la possibilité d’agréer une SNC comme SVV ; sur la nature des baux de location des SVV ; sur le lieu habituel de ventes ; sur le droit des SVV à effectuer des transports : sur les obligations des experts ; sur les ventes en ligne ; en matière de commerce électronique, pour préciser la notion de territoire sur lequel s’applique la réglementation française ; dans le secteur du courtage électronique, pour définir les biens culturels concernés ; sur la situation des notaires et des huissiers par rapport à la réglementation.
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Le Conseil des ventes progresse en terrain miné
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Le Conseil des ventes progresse en terrain miné