Ventes aux enchères

Le cas de la famille Graf ou l’itinéraire malheureusement classique d’une œuvre spoliée

Par Marine Vazzoler · lejournaldesarts.fr

Le 30 mai 2017 - 612 mots

AMSTERDAM (PAYS-BAS) [30.05.17] – Depuis 1946 les Graf et leurs héritiers tentent, sans succès, de récupérer une vue du Grand Canal de Venise peinte par Michele Marieschi au XVIIIe siècle et spoliée à Vienne en 1938. 70 ans après, les héritiers n’ont pas obtenu la restitution de l’œuvre qui va être vendue en juillet prochain.

La Punta Della Dogana e San Giorgio Maggiore peinte par Michele Marieschi appartenait aux collectionneurs juifs autrichiens Heinrich et Anna Maria Graf. Le couple dû fuir l’Autriche avec ses filles jumelles Erika et Eva, après l’arrivée des nazis en 1937, et laissa derrière lui, caché dans un garde-meuble, l’œuvre ainsi que toute sa collection de tableaux. L’ensemble fut confisqué par la Gestapo le 16 novembre 1940 et la collection du couple fut dispersée.

Depuis près de 70 ans, le couple, puis ses héritiers et ayants droit réclament la restitution du tableau de Michele Marieschi sans jamais avoir eu gain de cause. Il est devenu la possession d’un collectionneur privé qui l’aurait acquis de bonne foi en 1953.

Mais si la vue du Grand Canal de Venise va être vendue aux enchères en juillet prochain, les ayants droit de la famille Graf partageront le produit de la vente avec le Trustee qui gère la collection du détenteur actuel de l’œuvre (décédé en 2013). Selon le New York Times, cet accord laisse un « goût amer » à Stephen Tauber, le mari d’Erika décédée en 2012, qui pensait une restitution encore possible.

Loin d’être un cas isolé, cette situation en rappelle d’autres, à commencer par la controverse suscitée par la mise en vente d’une œuvre peinte par Bartholomeus van der Helst pillée par les nazis et réclamée par les ayants droit. Le point commun entre ces deux cas de figure ? Leur actuelle détention par des privés. En effet, si les musées et collections publiques se doivent de respecter certaines lignes de conduite et engagent de plus en plus de recherches sur la provenance d’œuvres suspectes présentes dans leurs collections, les personnes privées ne s’y sentent pas contraintes. Les maisons de ventes et les marchands d’art ne sont, en effet, pas tenus de révéler le nom de leurs acheteurs et certains Trustee continuent de fermer les yeux sur de potentiels cas de spoliations. Enfin, dans le cas, moins probable, où des survivants de l’Holocauste ou leurs héritiers apprendraient le lieu où se situe un de leurs biens pillés, faire pression pour obtenir restitution reste une démarche longue et intimidante.

Tout comme le portrait peint par Bartholomeus van der Helst, la vue de Michele Marieschi est passée entre différentes mains et a parcouru différents pays avant de se retrouver en vente. En 1998, Erika et Eva, les filles d’Anna Maria et Heinrich Graf, avaient, avec l’aide de la base de données Art Loss Register, publié une reproduction de l’œuvre de Marieschi dans un journal britannique avec la mention : « Acheteurs, soyez prudents : perte due à l’Holocauste. » Grâce à cette annonce, un expert de chez Christie’s contacte les deux sœurs et leur dit avoir vu l’œuvre dans la résidence d’un collectionneur 15 années auparavant. Après de longs pourparlers avec la maison de ventes, les sœurs Graf obtiennent juridiquement le droit de connaître le nom de l’actuel propriétaire de l’œuvre. Ce dernier refuse cependant toute prise de contact avec les ayants droit du couple Graf et a continué à jouir de l’œuvre jusqu’à sa mort en 2013. La restitution n’aura donc jamais lieu et la famille, lassée, a accepté l’accord que le Trustee qui gère actuellement l’œuvre lui proposait. L’œuvre devrait donc être vendue par Sotheby’s en juillet prochain et est estimée entre 650 000 et 905 000 dollars (entre 582 000 et 810 000 euros).

Légende photo

Michele Marieschi, La Punta Della Dogana e San Giorgio Maggiore, 1739-1740, collection particulière.

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