La galerie Thaddaeus Ropac offre ses espaces parisiens à l’artiste anglo-indien dont les œuvres font déjà l’objet d’un fort engouement à Londres et New York.
PARIS - À 38 ans, le Britannique (né et élevé en Inde) Raqib Shaw aligne déjà un parcours impressionnant, tant dans l’univers des galeries parmi les plus puissantes que dans celui des plus grands musées. La galerie londonienne Victoria Miro lui a consacré sa première exposition monographique en 2004, soit un an avant Deitch Projects à New York, avant qu’il soit présenté – toujours dans le cadre d’expositions personnelles – dès l’année suivante à la Tate Britain de Londres, puis, en 2008, au Metropolitan Museum of Art (Met) à New York (ses œuvres ont d’ailleurs déjà fait leur entrée dans les collections de la Tate Britain, ainsi que dans celles du Museum of Modern Art et du Met). En 2009 puis en 2011, c’est la galerie White Cube, à Londres, qui lui consacrait la totalité de ses cimaises. Aujourd’hui, outre cette galerie qui le représente toujours au Royaume-Uni, Raqib Shaw est défendu aux États-Unis par la prestigieuse galerie Pace et, en France et en Autriche, par la galerie Thaddaeus Ropac.
Faisant déjà l’objet d’une présence régulière sur le marché des ventes aux enchères et malgré d’assez nombreux ravalements qui témoignent d’une intense spéculation autour de l’artiste, ses œuvres ont parfois atteint des sommets, comme cette enchère record de… 2,7 millions de livres (3,8 millions d’euros) chez Sotheby’s, à Londres en octobre 2007.
Cet engouement du marché ne peut manquer de susciter la curiosité à l’occasion de la première exposition parisienne de Raqib Shaw organisée par la galerie Thaddaeus Ropac, d’autant plus que l’artiste a créé spécialement les œuvres exposées en fonction de leur ville d’accueil. Délaissant les environnements végétaux qui caractérisaient une grande part de son travail antérieur, Raqib Shaw s’est tourné vers le tout début du XVIIIe siècle français, période des grandes conquêtes napoléoniennes, tant militaires que dans le domaine du goût français alors dominant, en Europe et au-delà. Il trouve son inspiration dans le Recueil de décoration intérieure concernant tout ce qui a rapport à l’ameublement publié en 1812 par les architectes Charles Percier et Pierre Fontaine. Voilà pour l’ordre, les canons esthétiques dûment codifiés, l’harmonie et le faste érigés en norme. Pour ce qui est du désordre, le monde animal s’en chargera, avec une exubérance et une férocité qui confrontent l’univers policé précédent à la plus belle pagaille, à la plus pure violence. Le bel agencement du monde est pris d’assaut par des chimères insensées, mêlant furieusement l’homme et l’animal ou diverses créatures animales entre elles, qui cherchent à échapper à leurs chaînes, qui se battent, s’égorgent, se dévorent, là où tout ne devrait être qu’ordre rangé. Cet animal entravé, que l’on voudrait domestiqué et qui se rebelle dans son cadre Empire, n’est-ce pas l’ancien colonisé qui a brisé les chaînes qui l’entravaient et revendique sa liberté ? Contredisant la sauvagerie du motif, les belles et précieuses incrustations de cristaux brillent de mille feux et contredisent la folie barbare qui s’empare des dessins.
Strass et dorure
Au rez-de-chaussée, les œuvres présentées en de magistrales installations – comptant jusqu’à quinze éléments – souffrent quelque peu de la hauteur des cimaises qui tend à les écraser. Si la galerie Thaddaeus Ropac est l’une des plus importantes en surface et en volume à Paris, cela ne joue pas complètement en faveur d’un travail qui repose fondamentalement sur le dessin. Les feuilles de dimensions plus modestes – qui fonctionnent par paires mais qui sont vendues et parfois présentées séparément à l’étage – sont remarquablement accrochées ; elles mettent en scène des créatures hybrides à la sauvagerie débridée posant sur des socles de style Empire. La virtuosité du trait apparaît pleinement, classant Raqib Shaw parmi les grands dessinateurs animaliers, remarquable ornemaniste de surcroît, tant sont séduisantes les incrustations de pierres fines et de cristaux qui enrichissent les socles et une partie des animaux. Ces dessins, tracés au trait, repris à l’encre et à la peinture à l’émail, enrichis d’innombrables strass et de dorure, scintillent sous les lumières, mais aussi par la grâce et la magie du style. Aucune reproduction n’est véritablement en mesure de rendre compte de la richesse visuelle permise par les incrustations, comme en témoignent malheureusement les précédents catalogues consacrés à l’œuvre de Raqib Shaw. Il faut donc aller voir de visu cette exposition « étincelante ».
Nombre d’œuvres : 18 dessins ; 2 suites de 15 dessins, 1 suite de 13 dessins, 2 grands formats et 4 autres pièces
Prix : de 90 000 à 425 000 £ selon le format (de 108 000 à 509 800 €)
Jusqu’au 7 avril, galerie Thaddaeus Ropac, 7, rue Debelleyme, 75003 Paris, tél. 01 42 72 99 00, du mardi au samedi 10h-19h, www.ropac.net
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Le bestiaire fantastique de Raqib Shaw
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Le bestiaire fantastique de Raqib Shaw