N’ayant jamais fait l’objet d’une présentation générale dans un grand musée français, l’art contemporain autrichien reste relativement méconnu dans notre pays. Pourtant, les profonds changements géopolitiques et culturels qui affectent l’Europe centrale depuis une quinzaine d’années ont abouti à une grande richesse muséale et artistique. Vienne est aujourd’hui l’une des villes européennes offrant le plus grand nombre d’expositions d’art actuel.
L’image courante de l’Autriche culturelle est celle d’un pays profondément conservateur, voire traditionaliste. Gustav Klimt et Egon Schiele ont disparu dès 1918. Oskar Kokoschka est mort en 1980, exilé en Angleterre et en Suisse. Il avait sciemment refusé de participer à l’aventure de l’art moderne après la disparition de l’Empire des Habsbourg. Aucun artiste autrichien n’a joué un rôle important dans l’évolution de l’art moderne entre 1920 et 1960, d’où l’impression que la participation autrichienne à l’histoire de l’art actuel relèverait plus ou moins du passé. Aujourd’hui, c’est plutôt le phénomène inverse. Treize artistes autrichiens ont participé à la dernière Documenta de Cassel, contre seulement dix français. L’Autriche contemporaine compte nombre de créateurs ayant réussi une carrière internationale : le sculpteur Franz West, les peintres Arnulf Rainer et Maria Lassnig, les ténors de la génération postconceptuelle comme Peter Kogler, Heimo Zobernig ou Erwin Wurm, le cinéaste Michael Haneke, les écrivains Peter Handke, Elfriede Jelinek ou Thomas Bernhard, décédé en 1989, ou encore les actionnistes viennois Günter Brus, Otto Mühl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler, dont les happening sanglants, iconoclastes et autodestructeurs ont défrayé la chronique. La réalité de ce pays est paradoxale : la présence internationale de ces artistes cohabite avec de fortes attaques contre l’art contemporain par les forces conservatrices. L’Autriche apparaît comme un laboratoire de contradictions omniprésentes dans les jeunes États de l’Europe centrale.
Les galeries fer de lance
Le “phénomène autrichien” est aujourd’hui double. Depuis dix ans, une vingtaine d’artistes autrichiens s’exportent durablement, même aux États-Unis. Entre 1971 et 1983, le Chancelier Bruno Kreisky a décloisonné la société. Ceci a permis aux artistes “résistants” des années soixante, tels les actionnistes Rainer et Lassnig, mais également à l’architecte Hans Hollein d’être reconnus. En même temps, une politique soutenue d’aides publiques a lancé les jeunes générations dans le monde des expositions internationales.
Dans ce domaine, les galeries ont agi comme fer de lance. Depuis la fin des années soixante-dix, la Chambre nationale de Commerce prend en charge une partie des coûts de participation à toute foire internationale. Presque tous les artistes connus, de Franz West et Ernst Caramelle jusqu’aux jeunes talents tels que Elke Krystufek ou Maria Hahnenkamp, ont ainsi été soutenus à l’étranger par des galeries, avant de rencontrer l’intérêt des institutions publiques, autrichiennes ou étrangères. Parallèlement, certains points communs se sont progressivement affirmés entre les artistes autrichiens d’envergure, comme l’absence quasi-généralisée de l’héritage moderniste. L’œuvre de Franz West pourrait en servir d’exemple. “Beaucoup de peintres ont aujourd’hui du mal à se défaire des formes modernistes, tandis que nous, Autrichiens, avons l’avantage de ne les avoir jamais connus”, constate le peintre Hubert Scheibl. D’autre part, depuis la redécouverte de la “Vienne 1900” au milieu des années quatre-vingt, un certain nombre d’artistes jettent à nouveau des passerelles entre art pur et art décoratif. Ainsi, Franz West est connu pour ses sculptures, mais aussi pour ses meubles. Hans Hollein, architecte mondialement connu, est également un artiste conceptuel. Heimo Zobernig s’affirme comme une référence de la “critique institutionnelle”, tout en concevant des espaces et des meubles d’une élégance sobre, à la mesure de Ludwig Wittgenstein.
Dynamisme des banques et des compagnies d’assurances
Vienne est probablement aujourd’hui, avec Berlin et Londres, la ville européenne offrant le plus d’expositions internationales d’art contemporain de très haut niveau. Depuis une dizaine d’années, le nombre de musées et de lieux d’exposition privés y a quadruplé. En alternant expositions internationales – actuellement : Felix Gonzalez-Torres, puis Bernard Frize – et rétrospectives nationales – Franz West, Valie Export, le peintre Siegfried Anzinger, prochainement Heimo Zobernig –, Lorand Hegyi, directeur depuis 1990, a dynamisé le Musée national d’art moderne. Par ailleurs, banques et compagnies d’assurances se font concurrence pour accueillir des expositions grand public. Installé depuis 1991 dans un bâtiment reconstruit par Gustav Peichl, l’architecte de la Bundeskunsthalle de Bonn, le Kunstforum Bank Austria – galerie d’exposition de la première banque du pays – accueille autant de visiteurs que la Galerie nationale autrichienne au Belvédère, qui expose en permanence Klimt, Schiele et Kokoschka. Au printemps dernier, plus de 200 000 visiteurs ont ainsi vu l’exposition “De Monet à Picasso. Le regard du collectionneur”, dont les œuvres provenaient de plusieurs collections privées. Depuis 1991, la KunstHaus Wien, une galerie d’art contemporain dessinée par Hundertwasser sur le mode de sa fameuse maison HLM inaugurée en 1985, enregistre 300 000 entrées payantes par an, sans subvention publique. La Fondation Generali, créée fin 1989 par la filiale autrichienne d’une compagnie d’assurances, s’affirme comme un des hauts lieux internationaux de la “critique institutionnelle”, et mène un programme de reconstruction d’œuvres d’art éphémères des années soixante et soixante-dix. La deuxième banque du pays a lancé la ERSTE Sammlung, une collection d’art minimal. De leur côté, les pouvoirs publics ont multiplié les efforts. La galerie municipale Kunsthalle Wien, installée depuis 1991 dans un préfabriqué monumental au centre de la ville, a monté des rétrospectives prestigieuses – Giacometti, Archigram –, à l’initiative de son premier directeur Toni Stoos, tandis que la direction actuelle mise sur les jeunes. Le Musée national des arts décoratifs (MAK) a axé sa rénovation spectaculaire, en 1994, sur le croisement entre art pur et art décoratif, avec des salles conçues par Jenny Holzer, Donald Judd ou Heimo Zobernig. Cet été, le musée a présenté “Out of Actions”, la première rétrospective internationale du happening et de la performance, après le MoCA de Los Angeles. Même les deux musées des beaux-arts “traditionnels”, le Kunsthistorisches Museum et le Belvédère, ont organisé des expositions contemporaines. Depuis 1991, deux conservateurs, nommés pour un mandat de deux ans et disposant chacun d’un budget annuel de plus de sept millions de francs, sont chargés de dynamiser la jeune scène artistique.
Une trop forte centralisation
Néanmoins, il faut relever la fermeture de plusieurs galeries pendant la crise du marché de l’art, dont les plus importantes du moment (Pakesch, Metropol...), et la persistance de la centralisation de la vie artistique dans la capitale, en dépit de l’inauguration du Kunsthaus Bregenz, à l’ouest du pays, en 1996, et l’arrivée récente de Peter Weiermair, ancien directeur du Kunstverein de Francfort, au Rupertinum de Salzbourg. Le Museumsquartier, un ensemble multifonctionnel regroupant, sur le modèle du Centre Pompidou, un musée d’art moderne, des espaces d’expositions temporaires et une grande bibliothèque, devrait ouvrir fin 2000 à Vienne et pourrait accentuer ce déséquilibre.
Curieusement, la fameuse Sécession viennoise, fondée en 1898 par un groupe d’artistes modernistes autour de Gustav Klimt, s’est réaffirmée comme le lieu d’exposition le plus avant-gardiste, malgré ses statuts apparemment anachroniques d’association d’artistes. Après “Cities on the Move”, actuellement repris par le CAPC de Bordeaux, et la rétrospective “Le siècle de la liberté artistique”, la commémoration de son centenaire s’achève avec des expositions de Mike Kelley/Paul McCarthy et de Sigmar Polke. Elle a été couronnée par une intervention de l’artiste suisse Marcus Geiger, qui a peint en rouge l’immeuble blanc de Joseph Maria Olbrich. Avec quelques pots de couleur, la “vieille Secession” avait créé le scandale de l’année en Autriche !
FIAC 98, du 7 au 12 octobre, Espace Eiffel-Branly, 29-55 quai Branly, 75007 Paris, tlj 12h-20h, jeudi 12h-22h, samedi et dimanche 10h-20h, lundi 12h-18h. Visites guidées sur réservation au 01 41 90 47 81. Entrée 70 F, catalogue 100 F. Vernissage sur invitation le 6 octobre, 20h-23h, 200 F.
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L’Autriche fait à nouveau Sécession
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : L’Autriche fait à nouveau Sécession