La cour d’appel de Paris confirme, dans une affaire concernant un tableau de Van Dongen, une jurisprudence règulière selon laquelle l’auteur d’un catalogue raisonné est libre d’inclure ou non une œuvre, voire de changer d’avis..
Paris. Véritables bibles pour certains, les catalogues raisonnés sont rédigés par des historiens d’art recensant les œuvres d’un artiste de manière exhaustive et impartiale, tout en les situant dans leur époque.
L’insertion ou le refus d’insertion d’une œuvre au sein d’un catalogue raisonné peut jouer un rôle capital sur son authenticité et sur sa valeur marchande, même en l’absence d’expertise judicaire confirmant son authenticité, comme l’illustre un arrêt récent de la cour d’appel de Paris. En l’espèce, le propriétaire d’un tableau de Kees van Dongen, intitulé Portrait de femme, disposant du certificat d’authenticité de la veuve de l’artiste, souhaitait obtenir l’avis du Wildenstein Institute sur son authenticité avant de pouvoir le vendre. L’auteur du catalogue raisonné, en cours de préparation, lui indiquait au nom du comité dans un avis de 1998, qu’en l’état actuel des connaissances, il refusait d’inclure ce tableau au sein du catalogue. Suite à cet avis négatif, le propriétaire a alors obtenu de son vendeur la résolution de la vente de ce tableau, qui in fine fut vendu en 2007, chez Christie’s New York, pour la somme de 733 683 euros, avec un avis du même auteur de catalogue raisonné indiquant son insertion audit catalogue.
Fort de cette volte-face, l’ancien propriétaire a assigné l’auteur et le Wildenstein Institute en responsabilité et dommages et intérêts au visa des anciens articles 1382 et 1383 du code civil, considérant qu’ils avaient commis une faute en émettant deux avis distincts pour la même œuvre à neuf ans d’intervalle, le premier avis l’ayant déterminé à solliciter la résolution de la vente du tableau.
En 2014, ses demandes étaient rejetées par le tribunal de grande instance de Paris pour absence de faute ou de légèreté blâmable des défendeurs. Pour le tribunal, « le choix d’inclure ou d’exclure une œuvre d’un catalogue raisonné – qui n’a pas valeur d’expertise – ne peut constituer une faute » ; ceci d’autant plus que l’avis litigieux rendu « en l’état actuel des connaissances de son auteur » indiquait expressément que cet avis n’avait pas valeur d’expertise. Il relevait par ailleurs que rien n’indiquait que l’avis de l’auteur était erroné puisque l’authenticité de l’œuvre était « toujours incertaine » au jour du jugement.
C’est aussi la solution de la cour d’appel de Paris dans sa décision du 9 juin 2020, retenant en application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que « la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi ». Ainsi pour la cour, « l’élaboration du catalogue nécessite un travail de documentation et d’analyse approfondie de chacune des œuvres de l’artiste, mais également une analyse critique de celles-ci et de l’œuvre globale de l’artiste, qui implique nécessairement une liberté d’appréciation de l’auteur du catalogue ». Elle a aussi rappelé que si l’auteur « doit s’entourer des précautions suffisantes dans son travail de documentation, le choix d’inclure ou d’exclure une œuvre du catalogue, choix qui n’a pas de valeur d’expertise, ne peut en lui-même être constitutif d’une faute ».
Enfin, retenant que les connaissances étaient évolutives dans le domaine de l’art, les juges du fond ont précisé que, malgré leur importance sur le marché, les avis des auteurs de catalogues raisonnés ne se prononcent pas sur l’authenticité de l’œuvre et « n’ont pas de valeur d’expertise » ; raison pour laquelle aucune faute ou légèreté blâmable ne peut être retenue à l’encontre de l’auteur et du Wildenstein Institute. Cet arrêt confirme à nouveau que même en cas de changement d’avis de l’auteur d’un catalogue raisonné en raison de l’évolution de ses connaissances, sa liberté d’appréciation dans son choix d’insérer ou non une œuvre au sein de son catalogue raisonné prime, et cela même si l’authenticité du tableau est toujours incertaine.
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L’auteur d’un catalogue raisonné est libre de ses décisions
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : L’auteur d’un catalogue raisonné est libre de ses décisions