Stimulée par des ventes spécialisées d’art italien à Londres, la cote de l’Arte povera a énormément progressé depuis quelques années. Certains artistes ont été rétablis à leur vrai niveau.
PARIS - Conceptualisé par le critique d’art Germano Celant, défendu par la galerie milanaise Christian Stein, l’Arte povera fédère dans les années 1960-1970 des créateurs italiens en quête d’un art subversif et radical. Foin de la dérive mercantile du pop art, ces derniers conçoivent des environnements plutôt que des objets commercialisables. Contrairement à la Transavangarde italienne, dont la plupart des artistes ont émigré aux États-Unis, les tenants de l’Arte povera n’ont pas déserté leur terre natale. Des constats qui expliquent la sous-évaluation de ce mouvement. Les ventes d’art italien organisées depuis environ quatre ans par Sotheby’s et Christie’s à Londres, de même que l’exposition « Zero to Infinity » à la Tate Modern à Londres en 2001, ont sensiblement modifié la donne. « Le but de ces ventes était de se concentrer sur le génie de l’art italien du XXe siècle qui est sous-coté. Quand on voit certains bonds, on se dit qu’on est parvenus à rétablir certains artistes à leur vrai niveau », s’enflamme Olivier Camu, directeur international de Christie’s à Londres.
Mario Merz (1925-2003) est la figure de proue de l’Arte povera. Son record est très ancien, avec 93 933 livres sterling (883 382 francs) obtenu par Seifenbasende Kuh, une grande toile et néon de 1981-1982 chez Christie’s le 5 avril 1990. Les pièces vraiment emblématiques transitent par les galeries. « Les Igloos n’ont pas vraiment leur place dans une vente publique. Nous en avons eu un de cinq mètres de diamètre, mais que nous avons vendu de gré à gré à une institution », précise Claudia Dwerk, vice-présidente de Sotheby’s Milan. D’après elle, les grands Igloos vaudraient entre 300 000 et 400 000 euros, les plus petits (2 mètres de diamètre) de 200 000 à 300 000 euros. Un Igloo del palacio de las Alhajas (1982) s’est vendu 70 000 livres (704 790 francs) le 22 avril 1998 chez Christie’s. La mort récente du patriarche ne semble pas encore influer sur sa valeur.
Il est tout aussi difficile d’indiquer une cote pour Giuseppe Penone, qui bénéficie actuellement (1) d’une exposition au Centre Pompidou. Une fois n’est pas coutume, l’importance d’un artiste ne se mesure pas à l’aune de ses enchères ! Unghia e tronchi, une pièce de 1987 combinant un tronc d’arbre à un ongle en verre surdimensionné, était présentée pour 60 000 euros par Schönerwald Fine Arts lors de la Foire de Cologne en octobre 2003. Ses dessins sont plus courants sur le marché. Un visage Feuille de 1983 s’est vendu 2 800 euros chez Cornette de Saint Cyr en mars 2003. Son record en vente publique date du 27 juin 1997 pour un bronze, Squash III, adjugé 18 500 livres (180 255 francs) chez Sotheby’s.
Le record de 170 000 livres (269 456 euros) pour Giulio Paolini remonte au 22 octobre 2002 chez Christie’s. Il s’agit d’une pièce baptisée Mimesi, deux Vénus face à face, achetée par une fondation canadienne. Jusqu’à l’apparition des ventes italiennes, la cote de Paolini avait stagné au niveau du record de 51 113 dollars (294 155 francs) obtenu en 1991 chez Sotheby’s par une autre Mimesi, moins spectaculaire. À la Foire de Cologne, la galerie Hans Mayer affichait Contemplator Enim, une grande installation (427 x 650 x 45 cm) de 1991 pour 180 000 euros.
Records pour Pascali
L’univers sombre de Jannis Kounellis est aussi très prisé. La galerie parisienne Karsten Greve proposait à la dernière édition de la FIAC une grande peinture noire récente balafrée de métal pour 200 000 euros. « Kounellis aime faire des ensembles. Il ne conçoit pas ses œuvres comme des pièces individuelles à vendre les unes après les autres », observe Jean Frémon, codirecteur de la Galerie Lelong (Paris). Dans cette même galerie, les prix varient selon l’importance de 100 000 euros à 1 million d’euros pour une installation entière. Les grands tableaux des années 1960 représentant des chiffres en noir sur blanc au pochoir sont très recherchés. Une toile sans titre de 1960 est d’ailleurs partie pour 400 000 livres (environ 4 millions de francs) le 21 octobre 1999 chez Sotheby’s à Londres.
La palme des records revient à Pino Pascali (1935-1968), fauché dans la fleur de l’âge et relativement méconnu. Une sculpture baptisée Canone semovente de 1965 issue de la collection Dakis Joannou a doublé son estimation, déjà coquette, pour atteindre 1,4 million de livres le 21 octobre 2003 chez Christie’s. Dans la même vente, Quattro trofei di caccia (1966) a décroché 480 000 livres (689 259 euros). Une avancée notable par rapport aux 30 000 livres que cette œuvre avait obtenues en 1986 chez Sotheby’s. À la surprise générale, cet artiste marginal a battu les records des maîtres historiques comme Lucio Fontana ou Piero Manzoni !
Une marge de progression non extensible
À côté de ces travaux très radicaux, d’autres sont esthétiquement plus accessibles. Les prix d’Alighiero e Boetti (1940-1994) ont connu des embardées régulières jusqu’au record de 280 000 livres (442 968 euros) enregistré chez Christie’s le 22 octobre 2002 pour une Mappa, une de ses fameuses broderies tissées en Afghanistan. Si les tapisseries de grand format s’alignent sur des prix importants, les plus petites se négocient à partir de 10 000 euros. Les grands dessins réalisés au stylo-bille bleu ou rouge varient entre 40 000 et 50 000 euros. « Mais Arte povera, ça veut dire matériau pauvre. Or les collectionneurs internationaux recherchent dans l’Arte povera le côté décoratif », regrette Claudia Dwerk. Ainsi Italia d’oro, un bronze doré de 1968 édité à trois exemplaires de Luciano Fabro, s’est vendu pour 145 000 livres (229 830 euros) chez Christie’s le 22 octobre 2002. La veille, Italia di Pelo, la version en fourrure conceptuellement plus « Arte povera », s’est contentée de 70 000 livres (111 341 euros) chez Sotheby’s. Les surfaces miroitantes en trompe l’œil de Michelangelo Pistoletto sont aussi d’un accès plus facile. Un Nudo di schiena con chitarra, la bionda svedese s’est gratifié de 45 000 livres (64 666 euros) le 20 octobre 2003 chez Sotheby’s. Le lendemain, la Ragazza que disegna s’arroge 55 000 livres chez Christie’s. L’évolution reste mesurée par rapport aux 48 723 obtenus pour Gabbia chez Christie’s Rome en avril 1990.
Même si une vraie reconnaissance de l’Arte povera vient de commencer, les marges de progression ne sont pas extensibles. Les Italiens sont d’ailleurs de moins en moins vendeurs. « Il y aura une progression, mais moins fulgurante que les bonds observés par certains artistes », reconnaît Olivier Camu. Les bonnes pièces pourront toutefois bientôt s’affranchir du soutien marketing d’une vente d’art italien pour siéger dans les dispersions nocturnes « Postwar » à Londres ou à New York. Une nouvelle forme de consécration.
(1) jusqu’au 23 août.
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L’Arte povera en voie de reconnaissance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : L’Arte povera en voie de reconnaissance