L’archéologie a le vent en poupe. Aux États-Unis comme en Europe, de plus en plus de collectionneurs, stimulés par les grandes expositions, se passionnent pour les antiquités et dépensent parfois des sommes très élevées pour se procurer l’objet de leurs rêves. The Art Newspaper et le Journal des arts ont interrogé experts et marchands, afin de mieux comprendre les changements qui s’opèrent sur ce marché.
Combien de clients dépensent 50 000 dollars par an, et qui sont-ils ?
“Ils sont deux fois plus nombreux qu’il y a dix ans”, insiste l’expert David Keresey (Sotheby’s New York). Ce sont surtout des médecins, des avocats, des traders de Wall Street ou des ingénieurs. Les collectionneurs latino-américains sont également nombreux. “La grande différence entre la situation actuelle et celle d’il y a cinq ans est qu’aujourd’hui, les clients augmentent en nombre chaque année, avec 20 à 30 nouveaux acheteurs par vente”, indique de son côté G. Max Bernheimer (Christie’s New York). “Parmi nos mille clients réguliers, plusieurs dizaines dépensent plus de 100 000 dollars par an et certains plus d’un million de dollars. Rares sont ceux qui débutent une collection en étant complètement néophytes ; en règle générale, ils ont des connaissances en histoire de l’antiquité”, explique Jerome Eisenberg (Royal Athena Galleries). La plupart des nouveaux clients qui dépensent des sommes substantielles viennent du Canada, de Suisse et de Belgique.
“On trouve de plus en plus de collectionneurs instruits qui connaissent le marché et n’achètent que les objets haut de gamme. Certains s’intéressent en parallèle aux maîtres anciens du XVIIIe siècle et à l’art contemporain”, souligne Samuel Merrin, qui estime qu’une trentaine de ses clients dépensent plus 50 000 dollars. Pour Didier Wormser (L’Étoile d’Ishtar, Paris), les collectionneurs à même de dépenser de telles sommes seraient au maximum une cinquantaine au monde, dont dix à Paris. “Les grands collectionneurs qui déboursent plus de 300 000 francs se comptent sur les doigts des deux mains. Ce sont en grande majorité des Américains”, précise Jean-Pierre Montesino (galerie Cybele, Paris).
Dans quelle mesure les acheteurs s’inquiètent-ils de la provenance et de l’authenticité des objets ?
“Lorsque les prix sont élevés, c’est-à-dire largement supérieurs à 50 000 dollars, les acheteurs ont besoin de s’assurer de l’authenticité de leur acquisition”, remarque Michael Ward. Samuel Merrin reconnaît, de son côté, que certains de ses clients sont parfois réticents, mais il ajoute que la présence toujours plus forte d’antiquités dans les musées tend à minimiser leurs craintes. “On attache plus d’importance à la provenance qu’à l’authenticité des objets”, souligne Jerome Eisenberg, qui garantit non seulement l’authenticité de ses pièces, mais propose également une description détaillée de chacune d’elles, accompagnée des dates importantes relatives à leur histoire. En revanche, Jean-Pierre Montesino pense que, contrairement aux musées, les collectionneurs privés se préoccupent peu de la provenance et de l’authenticité des objets.
Quel rôle ont joué les musées dans le développement de ce marché ?
Les marchands interrogés insistent tous sur le rôle essentiel des musées, qui ont suscité un intérêt accru pour ces spécialités. “Les expositions ont développé le goût pour l’archéologie, et en particulier pour l’Égypte dont les salles au Louvre sont parmi les plus visitées, par exemple”, souligne Jean-Pierre Montesino. “Les collectionneurs aiment l’histoire inhérente aux objets, pouvoir les replacer dans leur contexte,” insiste Didier Wormser. Aux États-Unis, la réouverture des salles grecques et romaines du Metropolitan Museum of Art aurait eu une influence considérable.
Et les foires ?
“Les foires sont pour nous un moyen de lutter contre les auctioneers et de créer un environnement de vente bien défini et limité dans le temps”, déclare Frederick Schultz qui, lors de la foire des Haughton en octobre, a vendu 150 000 dollars à un nouveau client américain une sculpture romaine de Diane datant du Ier ou du IIe siècle ap. J.-C. “Les foires permettent d’éduquer les clients”, précise de son côté Jerome Eisenberg, qui expose à Maastricht et à Bâle.
Les décorateurs influencent-ils l’évolution du marché ?
Robert Metzger, décorateur d’intérieur à New York, est depuis longtemps célèbre pour ses utilisations de bustes romains. D’autres designers commencent à s’intéresser aux antiquités. G. Max Bernheimer et David Keresey estiment que les décorateurs jouent un rôle important. “Ils ont commencé à acheter sérieusement au cours des années quatre-vingt et font aujourd’hui leur retour sur le marché,” indique Samuel Merrin. Pour Didier Wormser, “ils jouent un rôle de leader de la mode. Quand un décorateur place un bronze égyptien dans un aménagement intérieur, il y a de fortes chances pour qu’il soit imité.”
Quel est le domaine le plus prisé ?
Les objets d’art égyptiens sont les plus demandés. “La France, patrie de Vivant Denon, de Champollion et de Bonaparte, a une affection toute particulière pour l’Égypte et pour son archéologie,” confirme Didier Wormser. L’art du Proche-Orient est en revanche le domaine le moins développé, peut-être parce qu’il est plus difficilement compréhensible. Frederick Schultz souligne, de son côté, l’intérêt d’un nombre croissant de collectionneurs pour l’art celtique et pré-celtique.
Quel est le domaine qui prend actuellement de la valeur ?
“Les vases grecs renchérissent beaucoup plus rapidement que les autres objets. En revanche, les bronzes chutent”, souligne l’expert de Sotheby’s. Le succès des vases grecs tient en partie à leur large gamme des prix – de 5 000 dollars environ à plusieurs millions. La beauté intrinsèque de l’objet, qu’il s’agisse d’un vase grec, d’une tête de l’époque classique ou d’un relief égyptien, contribue à faire grimper les prix, remarque de son côté Torkom Demirjian (Ariadne Fine Arts). Samuel Merrin a pu observer que les bronzes animaliers de l’époque classique ont connu une période de crise, mais semblent à présent revenir en force sur le marché. “C’est ce qu’il faut acheter en ce moment,” insiste-t-il. La grande sculpture figurative, qu’elle soit égyptienne ou classique, est très demandée, indique Frederick Schultz.
Selon G. Max Bernheimer, le marché des objets de moindre valeur (inférieure à 3 000 dollars) n’a, en revanche, pas connu de hausse des prix. Mais, d’une manière générale, Didier Wormser note depuis un an, à Paris, un intérêt grandissant pour l’archéologie : “Les pièces d’archéologie sont peu onéreuses en France. Les collectionneurs les payent en général 20 à 30 % moins cher qu’aux États-Unis.”
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L’archéologie a le vent en poupe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°97 du 21 janvier 2000, avec le titre suivant : L’archéologie a le vent en poupe