À Bruxelles, la Patinoire Royale affirme son tropisme féminin avec une exposition collective d’artistes américaines et un solo show d’Alice Anderson.
Bruxelles. Par sa taille (3 000 m2 en cœur de ville), son architecture classée et son ambition pédagogique, que traduit une programmation volontiers rétrospective ou thématique, la Patinoire Royale n’est pas une galerie comme les autres. Ce « gros paquebot », comme le qualifie sa fondatrice Valérie Bach, reste cependant une entreprise commerciale. Après « Painting Belgium », réhabilitation en deux volets des artistes de l’abstraction belge de 1945 à 1975, c’est avec une nouvelle exposition collective que le lieu commence l’année 2020. « American Women », sur une proposition de la commissaire Marie Maertens, invite à découvrir des artistes nord-américaines encore jamais vues en Europe, mises en regard avec quelques figures plus anciennes et connues, telles que Kiki Smith, Nancy Spero, Martha Rosler, Carolee Schneemann, Annette Lemieux…
Depuis plusieurs années, Marie Maertens suit de près la scène new-yorkaise, visitant des ateliers d’artistes à chacun de ses séjours. Certains sont d’ailleurs fort éloignés du cœur battant de la mégalopole américaine, comme Amy Lincoln (née en 1981), qui vit et travaille à Glendale, à une heure de Manhattan, et dont l’exposition présente les lumineuses natures mortes de petit format.
Afin d’ancrer cette sélection d’outre-Atlantique dans l’actualité, l’exposition part de l’hypothèse d’une recrudescence des thématiques féministes chez les générations nées entre les années 1970 et la fin de la décennie 1980. Si l’engagement est très présent dans les œuvres des aînées – de la « femme fontaine » de Kiki Smith (Standing Nude, 2005) aux images en noir et blanc documentant la période de gestation de Mary Kelly, de l’intrusion de la sphère publique dans l’intimité vue par Martha Rosler aux gouaches sur papier de Nancy Spero qui s’émancipe de la peinture à l’huile « masculine »… –, il est moins manifeste dans le reste du parcours, qui témoigne surtout d’une nette prédominance de mediums classiques tels que la peinture, la sculpture et le dessin. Et, au final, les cinq chapitres qui le structurent – « le corps sexué », « les archétypes féminins », etc. – sont moins convaincants que certaines des œuvres qui, d’elles-mêmes, parlent avec suffisamment de force, de douceur ou d’ironie.
En ouverture de l’exposition est placée Maria’s First Night in the City (2019, voir ill.), une grande toile de Cassi Namoda (née en 1988), artiste émergente déjà repérée par le Pérez Art Museum de Miami. Son style franc aux larges aplats de couleurs surprend, comme l’apparente simplicité de son sujet. Cette scène de la vie quotidienne, fondée sur des photographies des années 1970 au Mozambique – d’où Namoda est originaire – atteste cependant de l’émancipation féminine en jeu pendant la guerre d’indépendance de l’ancienne colonie lusophone.
La cote des peintures de Loie Hollowell (née en 1983) est montée en flèche depuis que l’artiste a intégré la Pace Gallery (New York). Une option était déjà posée sur son Second Trimester Pendulum, pastel et graphite sur papier dont la palette chromatique, l’ambivalence entre abstraction et figuration, évoquent irrésistiblement Hilma af Klimt ou Georgia O’Keeffe.
Après une apparition remarquée dans une exposition de groupe au MoMA PS1 de New York en 2005, suivie d’un solo show au Hammer Museum de Los Angeles en 2006, Angela Dufresne (née en 1969) a, pour sa part, traversé une sorte de purgatoire, sans doute lié à son inscription dans une veine figurative. Ses portraits de femmes tentent d’en saisir la force et la vulnérabilité dans des peintures expressives et tourmentées.
Si elle aborde des problématiques sociétales sérieuses et affirme ses prises de position politiques, Macon Reed (née en 1981) fait partie, quant à elle, des artistes de la sélection qui le font avec une joyeuse exubérance. Pressing conference, sa tribune participative en bois, carton, papier, feutre et pâte à papier, est une invitation ludique et colorée à prendre la parole de façon décomplexée.
La visite se poursuit avec la seconde exposition personnelle consacrée par la galerie à Alice Anderson. Peintre, sculptrice, vidéaste, cette artiste franco-britannique, nommée pour le prix Marcel-Duchamp 2020, poursuit une œuvre dont la partie visible est la face émergée d’une pratique performative. Avec « Sacred Gestures in Data Worlds », elle introduit le spectateur au cœur de son processus créatif ritualisé. « Empirical Sounds » (2015-2019) est une série d’une centaine de tableaux rectangulaires sur lesquels l’artiste a transcrit le bruit de fond des objets connectés, présences virtuelles matérialisées par des traces laissées à travers un mélange de cuivre. Les toiles tapissent une salle entière, évoquant une sorte de data center sublimé par une expérience alchimique. Les papiers noirs sur lesquels les canevas étaient posés dans l’atelier sont présentés dans une deuxième salle, une série « Compositions libres » à la façon de contremarques, échos fantômes du geste de l’artiste, offrant leurs motifs en résonance. Des sculptures métalliques complètent cette présentation d’une spiritualité très maîtrisée.
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L’Amérique se conjugue au féminin pluriel
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Abonnez-vous dès 1 €Alice Anderson, Sacred Gestures in Data Worlds, jusqu’au 7 mars, Patinoire Royale, galerie Valérie Bach, rue Veydt, 15, 1060 Bruxelles.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : L’Amérique se conjugue au féminin pluriel